21.12.1891 à Menzingen, 23.12.1977 à Berne, catholique, de Menzingen. Juriste, politicien zougois, membre du Parti conservateur populaire, conseiller d'Etat, conseiller aux Etats, conseiller fédéral.
Philipp Etter grandit au sein d'une famille de la classe moyenne à Menzingen dans la campagne catholique du canton de Zoug. Cadet d'une fratrie de quatre enfants, il était le fils du maître tonnelier Josef Anton Etter et de Jakobea née Stocker, propriétaire d'un magasin. Après avoir fréquenté l'école primaire à Menzingen, l'école cantonale à Zoug et le gymnase à l'abbaye d'Einsiedeln (1907-1911), il étudia le droit à Zurich (licence en 1917) et obtint le brevet schwytzois d'avocat. En 1918, il épousa Maria Hegglin, fille d'agriculteur. Le couple eut dix enfants.
Rédacteur en chef des Zuger Nachrichten (1912-1934) et juge d'instruction, Etter fut élu en 1918 au Grand Conseil zougois sur les listes du Parti conservateur populaire. Engagé dans différents domaines, actif au sein de la Société des étudiants suisses, président de la Mission intérieure (1929-1934, diaspora) et de la Ligue catholique suisse pour la presse (1930-1934), il gravit rapidement les échelons politiques. De 1923 à 1934, il siégea au Conseil d'Etat zougois (Département militaire et de l'instruction publique, gouvernements cantonaux) et, de 1930 à 1934, au Conseil des Etats (Assemblée fédérale). Comme d'autres intellectuels catholiques de sa génération, il adhérait aux idées des conservateurs catholiques et du Mouvement chrétien-social. Influencé par l'encyclique papale Rerum novarum (1891), consacrée à la question ouvrière, Etter s'intéressa tôt à des postulats sociaux, tels que la loi sur l'assurance maladie et accidents (1912) ou la construction de logements à loyer modique. Issu des cercles catholiques zougois, fidèles aux principes fédéralistes et proches des petits commerçants, il soutint en 1931 l'Assurance vieillesse et survivants (AVS), rejetée en votation populaire.
Durant le «printemps des fronts» (frontisme), en 1933-1934, Etter louvoya entre les différentes ailes du Parti conservateur populaire. Afin de freiner l'élan autoritaire des jeunes conservateurs (jeunesses des partis), il insista, comme d'autres représentants du catholicisme conservateur et de la droite, sur les objectifs communs avec l'extrême-droite frontiste dans la lutte contre le capitalisme, le libéralisme et le socialisme. Tout en critiquant la persécution des juifs par les frontistes (antisémitisme) ainsi que leur centralisme, il recourut à des stéréotypes antisémites pour contrer l'arrivée de réfugiés juifs après l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler. Sans apporter de réponse à la crise économique des années 1930, Etter reprit le projet d'une réorganisation économique et sociale que le pape avait vaguement formulé dans l'encyclique Quadragesimo anno (1931). A l'instar d'autres membres de son parti, il préconisa, en accord avec la doctrine du christianisme social, de réorganiser les corps de métiers et les syndicats, en favorisant la participation de la base et en limitant l'interventionnisme de l'Etat (corporatisme). En tant que publiciste, il s'opposa toutefois à des revendications extrêmes visant à transformer la Confédération en Etat corporatif dictatorial. Il rejeta le national-socialisme et le fascisme à cause du nationalisme excessif, de la soumission à un Führer, de l'idéologie raciale, du centralisme et du despotisme qui caractérisait ces mouvements. En 1934, il considéra toutefois que le «goût pour l'ordre et l'autorité» constituait une composante positive du fascisme italien. L'affirmation répandue depuis les années 1990 selon laquelle Etter aurait défendu des mesures coercitives relevant de l'eugénisme contre des personnes qualifiées d'«anormales» repose toutefois sur de fausses citations.
Après la surprenante démission du conseiller fédéral fribourgeois conservateur Jean-Marie Musy, Etter entra au Conseil fédéral le 28 mars 1934 à l'âge de 42 ans seulement. Elu au premier tour avec 115 voix (majorité absolue 104), il s'imposa face aux candidats saint-gallois Johannes Huber et Emil Mäder qui obtinrent respectivement 62 et 20 voix. La candidature du conseiller d'Etat zougois fut contestée par la gauche et par une partie des libéraux, mais soutenue par une coalition réunissant radicaux et conservateurs, qui considéraient qu'il était plus modéré que Musy. Etter dirigea le Département de l'intérieur qui, durant les vingt-cinq ans de son mandat, gagna en importance.
Sceptique à l'égard d'une révision totale de la Constitution fédérale avant son élection, il adopta une attitude plus favorable durant les premières années de son mandat. Porteur d'espoir pour les jeunes conservateurs, il s'exprima parfois en faveur de la révision tout comme Giuseppe Motta, son collègue de parti au Conseil fédéral. Etter se méfia toutefois de l'initiative pour la révision de la Constitution fédérale de 1935, d'orientation frontiste, récusant notamment ses élans antidémocratiques. Soucieux de renforcer les valeurs qualifiées de suisses et de soustraire la Confédération aux totalitarismes de droite et de gauche, il contribua largement au développement du concept de la défense spirituelle durant les années d'avant-guerre. Pour mettre en œuvre sa politique culturelle conservatrice, qui conduisit par moments à l'isolement intellectuel de la Suisse, Etter s'appuya aussi sur les structures fédéralistes du pays, les associations, les différentes régions ainsi que sur les minorités linguistiques et culturelles. Pro Helvetia, fondée en 1939, encourageait la culture suisse (y compris l'art moderne) sans être soumise à l'administration fédérale ni patronnée par l'autorité. En tant que président de la Confédération, il influença fortement l'esprit de la Landi de 1939 (expositions nationales).
Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, Etter et les autres conseillers fédéraux adoptèrent une politique très prudente vis-à-vis des puissances de l'Axe, focalisée sur la défense de la souveraineté et sur l'approvisionnement du pays. A la suite des pressions répétées de l'Allemagne, il œuvra à un renforcement de la surveillance grâce à la censure de la presse. Co-auteur du discours radiophonique tenu le 25 juin 1940 en allemand par le président de la Confédération Marcel Pilet-Golaz, Etter contribua à renforcer le sentiment d'insécurité au sein de la population. Dans ses directives fédérales, publiées en septembre 1940, il se prononça toutefois en faveur de l'Etat de droit démocratique et fit taire les rumeurs sur des projets de réformes autoritaires qu'il avait lui-même alimentées dans diverses déclarations. Le 4 août 1942, alors qu'Etter était président de la Confédération, le Conseil fédéral ordonna de refouler les réfugiés civils, ce qui entraîna la fermeture des frontières le 13 août. Contrairement à ce que la recherche admit pendant un certain temps, cette décision, prise en l'absence d’Etter, ne fut pas un décret du président de la Confédération, bien que celui-ci défendît une politique d'asile restrictive. Membre du Comité international de la Croix rouge (CICR), il s'opposa en octobre 1942 à un appel demandant aux belligérants de respecter le droit international, qui aurait condamné de manière implicite les déportations nazies. Etter argumenta notamment qu'une telle critique pourrait compromettre le travail du CICR. Peu intéressé au sort des juifs persécutés, il appuya toutefois des initiatives isolées. En 1943, il soutint l'appel consacré à la «question juive», destiné à contrecarrer l'antisémitisme au sein de l'armée, et critiqué par le général Henri Guisan, le conseiller fédéral Eduard von Steiger et la Fédération patriotique suisse.
Etter marqua de son empreinte la réorganisation de la société et de l'économie après la Deuxième Guerre mondiale. En tant que médiateur, il arbitra avec succès le conflit qui opposa jusqu'en 1945 les partisans de l'AVS et leurs détracteurs, qui défendaient les valeurs de la famille, au sujet des fonds de la caisse de compensation. Il fut responsable de l'agrandissement de l'Ecole polytechnique fédérale (EPF) de Zurich, de la création du Fonds national suisse de la recherche scientifique, de l'élaboration d'un article constitutionnel sur le cinéma, du lancement de la construction de routes nationales et alpines, de la révision de l'AVS et de l'introduction de l'Assurance invalidité (AI). Sur le plan culturel, le conseiller fédéral encouragea en 1945 la «sortie du réduit spirituel». Si l'avant-garde artistique bénéficia aussi de cette politique, certains artistes, tel Hans Erni, furent marginalisés à cause de leur engagement pour la gauche. D'abord opposé au suffrage féminin, Etter changea d'avis dans les années 1960. Après sa démission en 1959, on introduisit la formule magique au Conseil fédéral et les socialistes furent davantage intégrés dans l'exécutif national. Etter fut critiqué pour avoir consulté en privé des documents officiels et personnels relatifs à son mandat au Conseil fédéral avant de les remettre aux Archives fédérales. A la retraite, il rédigea des mémoires (non publiés) ainsi que des œuvres littéraires et plus personnelles. Il approuva les réformes du concile Vatican II (1962-1965). L'Université de Neuchâtel, en 1938, et l'EPF de Zurich, en 1955, lui décernèrent un doctorat honoris causa.
Après avoir ardemment défendu les intérêts des cercles catholiques conservateurs, Etter, qu'on surnommait Eternel, devint au cours de son long mandat (président de la Confédération en 1939, 1942, 1947 et 1953), un représentant de la droite bourgeoise soucieux de créer un consensus. Jouissant d'une grande popularité jusque dans les milieux ouvriers, notamment en raison de son talent rhétorique et de son aptitude à se mettre en scène, il n'excella pas en tant que magistrat. Au Conseil fédéral, il soutint les principales réformes sans les avoir initiées. Il joua toutefois un rôle de premier plan au sein du Parti conservateur populaire, lorsqu'il fit office de médiateur dans le conflit qui opposa durant les années 1930 les jeunes conservateurs aux cadres fortement implantés et dans l'acceptation progressive durant les années 1950 d'une économie sociale de marché.
A la fois encensé et critiqué, Etter fut l'un des politiciens les plus brillants du XXe siècle. Avec la résurgence des luttes politiques en 1945, il subit à nouveau la pression de la presse de gauche. La droite quant à elle, qui avait formulé quelques critiques au sujet du Conseil fédéral durant la Deuxième Guerre mondiale, considéra la défense spirituelle comme l'expression d'un devoir patriotique et d'une politique culturelle prudente, respectueuse du fédéralisme et de la subsidiarité. Les socialistes reconnurent que le conseiller fédéral avait fait preuve d'un«état d'esprit social» (Berner Tagwacht) à la fin de son mandat. Les déclarations d'Etter lors du «printemps des fronts» en 1933-1934 firent l'objet de premières recherches scientifiques dans les années 1960, qui soulignèrent toutefois aussi les limites de son antilibéralisme et antisémitisme. Le camp catholique conservateur le défendit contre toute critique et le glorifia déjà de son vivant. Ainsi, le secrétaire général du parti, Martin Rosenberg, le qualifia en 1961 de «maître de la synthèse» toujours soucieux de l'équilibre. En 1970, il apparut dans l'Histoire de la neutralité suisse d'Edgar Bonjour comme un conseiller fédéral prêt à résister et ayant marqué de son empreinte une politique culturelle opposée au totalitarisme. A partir des années 1970 une nouvelle génération d'historiens remit en question l'image d'une Suisse prête à défendre sa liberté et considéra la défense spirituelle comme une forme helvétique de totalitarisme. Georg Kreis jeta en 1973 un regard critique sur la politique médiatique d'Etter au début de la Deuxième Guerre mondiale. Dans cette lignée, la recherche se concentra, à la fin du XXe siècle, sur les propos ambigus d'Etter, qui suggéraient, selon elle, une certaine sympathie pour les idées autoritaires, l'antisémitisme catholique et la politique restrictive de la Suisse à l'égard des réfugiés durant la Deuxième Guerre mondiale. Etter fut dorénavant considéré comme un représentant de la droite catholique, d'orientation corporatiste et antidémocratique. Les études de Martin Pfister (1995) et Thomas Zaugg (2020), basées notamment sur des documents issus du fonds privé d'Etter, le situèrent au contraire dans la mouvance du catholicisme politique de Suisse centrale, relativement modérée pour l'époque. Cette interprétation mit l'accent sur le rôle de médiateur du conseiller fédéral dans les luttes qui opposèrent les ailes réformatrice et traditionaliste au sein du conservatisme catholique. Au niveau fédéral, la plus grande réussite d'Etter fut de s'aligner fréquemment sur la majorité radicale, qui le considérait comme un partenaire fiable.