Par Saint-Siège ou Siège apostolique, on entend le pouvoir institué du souverain pontife, la papauté, ainsi que l'ensemble des congrégations, tribunaux et offices de la curie, qui constituent le gouvernement de l'Eglise romaine.
Moyen Age
Pour le haut Moyen Age, nous n'avons qu'un très petit nombre d'écrits pontificaux destinés à des Eglises "suisses", par exemple à Saint-Maurice d'Agaune (857), Lausanne (878), Genève (882) et Saint-Gall (904). Le pape, sollicité dans des situations difficiles (une élection épiscopale contestée à Lausanne, par exemple), y donne un conseil ou communique une décision. Les relations entre le Saint-Siège et le territoire de la Suisse actuelle s'intensifièrent après le milieu du XIe s. La majorité des bulles transmises sous forme d'entrées de registre (sous Jean VIII, Grégoire VII, Innocent III et ses successeurs), de copie ou d'original (dès 1080) sont postérieures à 1050, moment où les évêques de Rome commencèrent à se conduire en monarques de l'Eglise universelle. Les premières bulles contiennent surtout des privilèges et des confirmations de propriété.
Vers 1050 apparut le collège des cardinaux, qui regroupait les conseillers du pape. Le comte Robert de Genève, né à Annecy (pape à Avignon de 1378 à 1394 sous le nom de Clément VII) fut le seul "Suisse" à y siéger (dès 1371) avant Mathieu Schiner (1465-1522, cardinal en 1511). De la chapelle pontificale se détachèrent avant le XIIe s. la chancellerie (chargée de rédiger les documents officiels) et la chambre (responsable des finances). A ces offices curiaux vinrent s'ajouter au XIIIe s. les pénitenceries (délivrant les absolutions et dispenses in foro interno et externo) et le tribunal suprême dit audientia sacri palatii (la future rote). La différenciation croissante des autorités pontificales répondait à l'augmentation des appels lancés au Saint-Siège pour obtenir justice ou pour se faire attribuer, par une supplique, un bénéfice.
Avec la réforme de l'Eglise du XIe s., la curie romaine devint la plus haute instance judiciaire ecclésiastique. C'est pourquoi un grand nombre de ses décrets sont des sentences et non des actes politiques. Pour des raisons historiques, le pape disposait de larges compétences dans la nomination des évêques et même, dès le XIIIe s., dans l'attribution de bénéfices mineurs, voire de n'importe quel bénéfice (réserve apostolique). Jugeant en dernier ressort (toute possibilité de faire appel contre ses décisions auprès du concile fut éliminée en 1418), il était en même temps un souverain temporel (Etats de l' Eglise en Italie centrale et dès 1348 autour d'Avignon), en concurrence avec d'autres (surtout avec l'empereur), auxquels il essayait d'imposer ses vues.
Confrontations politiques
Le rôle temporel important joué par les évêques dans le Saint Empire conduisit à la querelle des Investitures qui opposa au XIe s. le pape, l'épiscopat et l'empereur, provoquant des schismes à Côme et Constance, ainsi que l'excommunication des évêques de Bâle, Coire et Lausanne. Presque toute la Suisse actuelle prit le parti de l'antipape Clément III. Lors du schisme de 1159-1177, motivé par l'opposition de Frédéric Barberousse à l'élection du pape Alexandre III, l'antipape Victor IV (1159-1164) fut reconnu, selon les sources disponibles, à Bâle, Einsiedeln et Genève, et son successeur Pascal III (1164-1168) à Bâle, alors que Sion se rallia à Alexandre III dès 1163. L'épiscopat se divisa encore quand Innocent IV déposa l'empereur Frédéric II, lors du premier concile de Lyon (1245). Les évêques de Bâle, Constance (dès le milieu de 1246), Lausanne et Sion soutinrent le pape, de même que les comtes de Kibourg; le Tessin était partagé. Lors du Grand Schisme d'Occident (1378-1417), le Tessin et les Confédérés se décidèrent après une brève hésitation pour le pape de Rome, Léopold III de Habsbourg et Bâle tenant pour celui d'Avignon. La mort de Léopold à la bataille de Sempach (1386) accéléra le déclin de l'obédience avignonnaise en Suisse alémanique. Après 1409, on reconnut, au lieu du pontife romain, les élus du concile de Pise, Alexandre V et Jean XXIII. En Suisse romande, Genève resta fidèle au pape d'Avignon jusqu'en 1408 et Lausanne jusqu'en 1410.
La tenue de conciles à Constance (1414-1418) et Bâle (1431-1449) amena des membres de la curie à rechercher des bénéfices ecclésiastiques en Suisse. Le conflit entre Pie II et le duc Sigismond d'Autriche à propos du diocèse de Bressanone, qui culmina avec l'excommunication du Habsbourg, permit aux Confédérés d'occuper la Thurgovie en 1460. Afin de pouvoir recruter des mercenaires pour ses projets guerriers en Italie du Nord, Sixte IV accorda en 1479 aux cantons des droits étendus dans l'attribution de bénéfices mineurs, droits auxquels ils ne renoncèrent pas après la mort de ce pape. La tentative de l'archevêque de la Krajina Andreas Zamometic en vue de convoquer un concile contre Sixte IV à Bâle en 1482 fit quelque bruit, mais n'eut pas de suite. En 1499, Alexandre VIII, qui avait besoin de mercenaires pour la conquête du duché de Milan, confirma aux cantons le droit d'attribuer les bénéfices devenus vacants pendant les "mois pontificaux", c'est-à-dire les mois impairs.
Visites en Suisse du pape et de ses envoyés
Les papes se rendant dans le nord de l'Europe empruntaient la route Grand-Saint-Bernard-Saint-Maurice-Jura. Ainsi firent Etienne II (qui, cherchant refuge auprès du roi franc Pépin le Bref, séjourna en novembre ou décembre 753 à Romainmôtier), Léon IX en septembre 1050 et, en sens inverse, Eugène III en mai 1148, en compagnie du cardinal Hyacinthe, le futur Célestin III. Revenant du deuxième concile de Lyon, Grégoire X s'attarda à Lausanne, où il consacra la cathédrale, et Sion en octobre 1275, avant de poursuivre vers Milan. A la fin d'octobre 1414, Jean XXIII voyagea par bateau, de Rheineck à Kreuzlingen pour gagner Constance; au milieu de mars 1415, fuyant le concile, il alla par Kreuzlingen et Steckborn à Schaffhouse, puis en avril, par Laufenburg à Fribourg-en-Brisgau. Pour son retour à Rome, Martin V passa par Schaffhouse, Baden, Lenzbourg, Aarau, Olten, Soleure, Berne (où il fut reçu solennellement), Fribourg, Lausanne et Genève (mai à août 1418). Enea Silvio Piccolomini, le futur Pie II, connaissait personnellement la Suisse, de même que Félix V et Pie III qui, encore cardinal, passa le Gothard en 1471. Jules II en revanche, évêque de Lausanne de 1472 à 1476, ne mit jamais les pieds dans son diocèse.
Dès le milieu du XIe s., les papes envoyèrent des légats (généralement des cardinaux) et des nonces (Nonciature) défendre leurs intérêts auprès des cours européennes. Ceux qui se rendaient en France et en Allemagne faisaient habituellement étape en Suisse. Des nonces sont attestés auprès des cantons depuis 1460. Leur action, au bas Moyen Age, n'a pas encore fait l'objet d'une étude scientifique. Quelques-uns, tels Gentile de Spolète (1478-1480), Angelo Gerardini (1482-1484) ou Raimondo Peraudi (1504), séjournèrent assez longuement en Suisse. Des contacts réguliers avaient aussi lieu dans le cadre de la visite ad limina des évêques. Dès le début du XIVe s., de nombreux ecclésiastiques sollicitèrent directement (en personne ou par un intermédiaire) des bénéfices auprès de la curie. Avant même le premier jubilé ou année sainte, célébré en 1300, de nombreux pèlerins se rendaient eux aussi à Rome.
XVIe-XVIIIe siècles
Au commencement du XVIe s., les affaires de nature politique et militaire prédominèrent dans les relations entre le Saint-Siège et la Confédération. Jules II (1503-1513) s'intéressa surtout au recrutement de mercenaires pour les Etats de l'Eglise, qu'il voulait unifier et rendre indépendants des grandes puissances. En 1512, il conféra aux Suisses le titre honorifique d'ecclesiasticae libertatis defensores (protecteurs de la liberté de l'Eglise). Les légats pontificaux (tel Mathieu Schiner) et les nonces étaient chargés de missions précises et brèves, souvent relatives à la levée de troupes et à leur financement. A l'époque des guerres d' Italie, les relations militaires furent particulièrement étroites. Ni la défaite des Suisses à Marignan (1515) ni le début de la Réforme à Zurich ne retinrent le pape d'engager des soldats pour ses visées politiques. Il fallut le sac de Rome par les troupes impériales en 1527 pour marquer une césure.
La Réforme et la Réforme catholique
Jusqu'en 1531, le Saint-Siège ne prit pratiquement aucune mesure pour contrer l'expansion de la Réforme dans la Confédération ou pour soutenir Fribourg, Soleure et les V cantons de Suisse centrale. Il ne commença à réagir face à la division de l'Eglise que vers le milieu du XVIe s. A cet égard, le concile de Trente (1545-1547, 1551-1552 et 1562-1563) joua un rôle essentiel, surtout dans sa troisième phase. Les cantons catholiques, habitués à une large autonomie dans les affaires ecclésiastiques, car aucun évêque ne résidait sur leurs territoires, n'étaient pas prêts à abandonner leurs compétences sur le plan administratif, même s'ils décidèrent, après quelques hésitations, d'appliquer les décisions conciliaires en matière de foi (Réforme catholique); cela impliquait une collaboration avec Rome, dont la manifestation la plus importante fut l'institution en 1586 d'une nonciature permanente à Lucerne (Vorort catholique), proposée en 1579 par l'archevêque de Milan Charles Borromée. L'évêque de Côme Giovanni Antonio Volpe, nonce extraordinaire de 1560 à 1564, milita pour la participation au concile de Trente et pour la reconnaissance de ses décisions, Giovanni Francesco Bonomi, nonce de 1579 à 1581, pour leur mise en œuvre concrète.
Les nonces et les cantons catholiques purent compter sur l'appui des nouveaux ordres voués à la propagation de la Contre-Réforme, jésuites et capucins, dont les établissements se multiplièrent, en même temps que l'on procédait à une rénovation du clergé séculier et des ordres traditionnels, tel celui des bénédictins. La collaboration efficace entre légats pontificaux, autorités cantonales et nouveaux ordres porta ses fruits au début du XVIIe s. déjà. Jacques Christophe Blarer de Wartensee, l'énergique évêque de Bâle, allié des cantons catholiques depuis 1579 (le traité fut juré en 1580), imposa la réforme conciliaire dans son diocèse et réussit même à ramener au catholicisme le Laufonnais. En Valais, les nonces ne parvinrent à introduire les nouveautés tridentines que vers le milieu du XVIIe s., grâce au soutien des cantons catholiques, mais contre les résistances des autorités locales, attachées à leurs prérogatives ecclésiastiques, et d'une partie des élites, secrètement favorable au protestantisme.
Le Saint-Siège accorda une attention particulière, dès le milieu du XVIe s., aux pays sujets des III Ligues, la Valteline, Bormio et Chiavenna. Il considérait ces vallées italophones comme la porte par où l'hérésie pourrait entrer en Italie, aussi surveilla-t-il de près la lente progression, tout au long du XVIe s., de la foi nouvelle aux Grisons. Quand les III Ligues furent entraînées dans les conflits européens de la première moitié du XVIIe s., Rome réussit enfin, parfois avec l'appui des grandes puissances (Habsbourg d'Autriche et d'Espagne, France) à raffermir la position du catholicisme dans les pays sujets des Ligues, à assurer la survie du diocèse de Coire et à imposer, avant 1650, la réforme tridentine dans les paroisses grisonnes restées catholiques.
Dégradations des relations (1650-1798)
Si les querelles de compétence avaient gêné la collaboration entre la Suisse catholique et le Saint-Siège, elles ne l'avaient jamais empêchée. Mais, au XVIIe s., elles s'envenimèrent et finirent par troubler les bonnes relations. Après plusieurs tentatives, Fribourg devint enfin en 1688 la résidence de l'évêque de Lausanne; il s'agissait du premier siège épiscopal établi sur le territoire des XIII cantons. A l'époque de la Contre-Réforme (1560-1650) succéda une phase marquée par des différends entre autorités laïques, épiscopat et nonciature, qui portaient sur des objets de faible à moyenne importance (droits de collation des laïcs, droit d'exemption de certains couvents envers l'évêque, droit de visitation des nonces, dispenses matrimoniales délivrées par ces derniers), mais empoisonnaient la vie quotidienne. Les nonces devaient se soucier en premier lieu de l'unité des cantons catholiques et observer en cas de conflit une stricte neutralité. Après la première guerre de Villmergen, le nonce Federico Borromeo (1654-1665) en appela à la pondération, afin de défendre la position acquise par les catholiques après la seconde guerre de Kappel. Après la défaite subie dans la seconde guerre de Villmergen (1712), le comportement malheureux du nonce Giacomo Caracciolo (1710-1716) soumit à rude épreuve les relations avec Rome. Lucerne refusa les ingérences de Caracciolo, exigea sa révocation et mandata en 1714 un agent à Rome chargé de défendre son point de vue à la cour pontificale. L'affaire d' Udligenswil représente un point culminant dans les conflits entre l'Eglise et l'Etat au XVIIIe s.; elle amena le nonce à déplacer temporairement sa résidence à Altdorf (UR). En revanche, les idées des Lumières et l'animosité contre les jésuites ne se développèrent guère dans les cantons catholiques. La suppression de la Compagnie de Jésus en 1773 ne posa pas de problèmes particuliers. Même l'attitude intransigeante des nonces envers des sociétés secrètes comme la franc-maçonnerie et contre la Société helvétique confessionnellement mixte ne provoqua pas de tensions notables. La plupart des cantons catholiques acceptèrent aussi, comme on le leur demandait, de censurer les écrits des partisans des Lumières. Seul le bouleversement politique de 1798 entraîna une rupture passagère des relations. Le gouvernement de la République helvétique priva le nonce Pietro Gravina (1794-1798) de son accréditation. A la demande du diplomate banni, plusieurs prêtres adressèrent au Saint-Siège des rapports sur la situation dans la Confédération, jusqu'à la reprise des relations en 1803.
XIXe et XXe siècles
Le processus de modernisation entamé à la fin du XVIIIe s. s'accompagna d'un dépassement graduel du confessionnalisme qui imprégnait traditionnellement la politique et la société suisses. Cependant, les rapports entre Eglise et Etat restèrent une question centrale, faisant des relations entre le Saint-Siège et la Confédération ou les cantons un thème politique important jusqu'au XXe s. La nonciature fut le canal privilégié pour les contacts que les cantons, la Diète, puis, dès 1848, le Conseil fédéral, entretenaient à propos de sujets relevant de leur politique intérieure et, dans une moindre mesure, extérieure.
La nonciature (1803-1873)
La nomination d'un nonce auprès de la Confédération en 1803 mit fin au vieux principe selon lequel seuls les cantons catholiques devaient avoir des relations officielles avec Rome. Le nonce Fabrizio Sceberras Testaferrata (1803-1816) réussit à faire inscrire dans le projet du Pacte fédéral de 1815 un article sur la garantie des couvents. Pour le Saint-Siège, la Restauration fut une époque faste. Rome réorganisa, d'entente avec les cantons, la carte ecclésiastique de la Suisse. Le rétablissement du diocèse de Bâle fut achevé en 1828, l'érection de celui de Saint-Gall intervint par étapes entre 1823 et 1847. Les limites diocésaines furent adaptées aux frontières politiques, si bien qu'il n'y eut plus aucun territoire suisse au nord des Alpes relevant d'un évêque étranger.
Même dans un pays aussi marqué par le confessionnalisme que la Suisse, le libéralisme naissant remit en cause les liens étroits entre Eglise et Etat, hérités de l'Ancien Régime. Les radicaux quant à eux affichèrent toujours plus ouvertement un anticléricalisme qui les amena à tenter de soumettre l'Eglise catholique à l'Etat. Dès 1830, les débats s'avivèrent entre libéraux, radicaux et conservateurs, ces derniers étant sûrs d'avoir l'appui du Saint-Siège; ils portaient sur la réorganisation des diocèses, sur les couvents et sur les jésuites (Ultramontanisme). En 1834, les cantons libéraux qui adoptèrent les articles de Baden proposèrent, dans l'espoir de limiter l'influence du Saint-Siège, la création d'un archidiocèse suisse. Le pape Grégoire XVI condamna leur initiative par l'encyclique Commissum divinitus, remise le 17 mai 1835 au clergé suisse. Pour protester contre la politique anticléricale du gouvernement lucernois, qui avait convoqué la conférence de Baden, le nonce alla s'installer à Schwytz. Mais le projet libéral échoua, car les articles de Baden n'entrèrent jamais en vigueur, notamment en raison des pressions des puissances étrangères. Après que les conservateurs eurent repris le pouvoir à Lucerne, Vorort catholique, en 1841, le nonce y revint en 1843, triomphalement reçu par les autorités et la population. Le Conseil d'Etat lucernois ne manqua pas d'envoyer au pape un exemplaire de la Constitution conservatrice adoptée par le peuple le 1er mai 1841. La curie romaine milita pour le rappel des jésuites à Lucerne en 1844. Après la guerre du Sonderbund (1848), le nonce Alessandro Macioti quitta définitivement la Suisse. Le pape Pie IX, libéral au début de son pontificat, le remplaça par un délégué extraordinaire, Jean-Félix-Onésime Luquet. Celui-ci eut d'étroits contacts avec la dernière Diète; il souhaitait une détente et soutint qu'il fallait résoudre la question des couvents en tenant compte des besoins et sensibilités du moment. Il signala en outre la possibilité d'un compromis dans la question des diocèses. Mais il fut rappelé à Rome en juin 1848 déjà. Après la fondation de l'Etat fédéral en automne 1848, le pape ne se fit plus représenter que par un chargé d'affaires résidant à Lucerne.
Pendant les vingt premières années de l'Etat fédéral, il n'y eut pas de conflit ouvert entre le Saint-Siège et la Confédération ou les cantons. Puis le Kulturkampf raviva sensiblement les tensions confessionnelles qui semblaient s'apaiser. La proclamation du dogme de l'infaillibilité pontificale (1870) et l'anticléricalisme de la majorité des politiciens radicaux conduisirent à une confrontation ouverte. Après la suppression des Etats de l'Eglise (1870), qui pourtant ne changeait pas le statut du Saint-Siège au point du vue du droit international public, le Conseil fédéral se mit à contester la nécessité d'une nonciature en Suisse. Les procédés parfois violents de cantons comme Berne, Genève et Argovie contre l'Eglise catholique suscitèrent de vives protestations de la part du chargé d'affaires pontifical à Lucerne, Giovanni Battista Agnozzi. Le 21 novembre 1873, Pie IX intervint personnellement dans le Kulturkampf en condamnant dans sa circulaire Etsi multa luctuosa les excès anticatholiques commis sur ordre de l'Etat en Suisse. Sur ces entrefaites, le Conseil fédéral rompit les relations diplomatiques avec le Saint-Siège, le 12 décembre 1873.
Après la rupture (1873-1920)
Les contacts avec la curie romaine ne cessèrent toutefois jamais complètement. En 1878, le Kulturkampf ayant perdu en intensité, le Conseil fédéral félicita le pape Léon XIII de son élection, malgré l'absence de relations officielles. Des négociations directes eurent lieu en 1883-1884; elles permirent la nomination d'un successeur à l'évêque de Bâle Eugène Lachat, qui avait été destitué en 1871 par les gouvernements des cantons radicaux, et l'établissement d'une administration apostolique au Tessin, d'où le même Lachat avait été expulsé. En juillet 1888, une délégation extraordinaire suisse se rendit à Rome pour échanger les instruments de ratification de ces accords, procédure curieuse en une époque de relations rompues. L'affaire qui avait éclaté en 1873 à propos de Gaspard Mermillod, nommé par le pape vicaire apostolique de Genève et expulsé par le Conseil fédéral malgré sa qualité de citoyen suisse, fut résolue dans un premier temps en 1882 par l'élection de l'intéressé à la dignité d'évêque de Lausanne et Genève siégeant à Fribourg. Elle trouva en 1890 un épilogue étonnamment profitable à toutes les parties: Mermillod reçut le chapeau de cardinal et dut aller résider à Rome. Au décès du pape Léon XIII (1903), le Conseil fédéral envoya un télégramme de condoléances; à celui de son successeur Pie X (1914), il fit en outre mettre en berne le drapeau du Palais fédéral. La Garde suisse pontificale contribua aussi à maintenir des liens entre la Suisse catholique et le pape.
Un rapprochement se produisit entre Rome et Berne au cours de la Première Guerre mondiale; l'occasion en fut donnée par une mission humanitaire qui fut envoyée en Suisse, pays neutre épargné par la guerre, par le Saint-Siège également neutre, et qui se transforma bientôt en représentation officieuse. Celle-ci jouissait de tous les privilèges réservés normalement par les autorités fédérales aux diplomates. Son chef, Luigi Maglione, ne quitta pas la Suisse après la fin du conflit, car le Saint-Siège comme les politiciens catholiques suisses souhaitaient qu'il poursuive sa mission officieuse.
Le rétablissement de la nonciature (1920)
Le 20 juin 1920, le Conseil fédéral décida d'autoriser le retour de la nonciature, après quarante-sept ans d'absence. En dépit des préjugés confessionnels tenaces, Giuseppe Motta, nouveau chef de la diplomatie suisse, avait réussi à convaincre discrètement ses collègues radicaux et protestants de la nécessité d'une reprise des relations diplomatiques avec le Saint-Siège. L'idée passa la rampe parce que l'opinion publique suisse était préoccupée depuis 1918 par d'autres problèmes, plus importants, comme les conséquences de la grève générale, la situation économique difficile et le bouleversement du paysage politique. En outre, l'image du pape s'était améliorée dans le monde après la fin de la Première Guerre mondiale. Malgré le rétablissement de la nonciature, dont le siège fut fixé à Berne, les relations entre la Suisse et le Saint-Siège gardèrent un aspect insolite, puisque la première renonça sciemment à la réciprocité. Motta fit valoir le fait que, par le passé, jamais les cantons catholiques ni la Confédération n'avaient disposé d'un représentant permanent auprès du pape.
Même après la conclusion des accords du Latran et la création de l'Etat du Vatican (1929), la nonciature de Berne resta le seul point de contact officiel entre les deux Etats. Certes la reconnaissance de la souveraineté pontificale sur la minuscule cité du Vatican ne changeait rien au statut du Saint-Siège en droit international public, mais elle accrut le prestige du pape et de la curie. Le poste de nonce apostolique fut occupé de 1920 à 1926 par Maglione (qui sera plus tard cardinal secrétaire d'Etat). La majorité des catholiques saluèrent le retour du nonce; il y eut cependant en 1923-1924 des tensions avec la Conférence des évêques suisses, parce que celle-ci n'avait pas invité Maglione à ses réunions annuelles en qualité de visiteur spirituel. Le conflit se termina par un compromis: le nonce recevrait désormais une invitation formelle, mais la présidence des délibérations était du seul ressort de la Conférence, qui préservait ainsi son indépendance. Les visites officielles du nonce dans les cantons, en 1922-1924, furent suivies attentivement par l'opinion publique. Si les cantons catholiques réservèrent à Maglione des réceptions enthousiastes, ces visites suscitèrent de la gêne dans les cantons protestants et mixtes. Maglione y renonça en 1924. Il eut à accepter le titre et le privilège, traditionnellement réservé au nonce, de doyen du corps diplomatique.
Poursuite de la normalisation
Durant l'entre-deux-guerres, la position de l'envoyé pontifical s'affermit nettement. Contrairement aux craintes éprouvées, surtout du côté protestant, la nonciature ne renforça pas les oppositions confessionnelles. En 1939, le Conseil fédéral se fit représenter, pour la première fois, au couronnement d'un pape (Pie XII). Après 1945, les relations entre le Saint-Siège et la Suisse devinrent une question moins explosive sur le plan intérieur. Le mouvement œcuménique progressa à la suite du concile Vatican II. La méfiance entre catholiques et protestants diminua. En Suisse aussi, l'appartenance confessionnelle perdit de son importance dans la société d'après-guerre. En 1969, Paul VI fut reçu à Genève par le président de la Confédération Ludwig von Moos, au cours de la première visite qu'un pape ait rendue à la Suisse moderne. La visite pastorale de Jean-Paul II, du 12 au 17 juin 1984, fut l'un des grands moments d'une époque marquée par des rapports plus détendus entre les communautés confessionnelles et par la normalisation des relations avec le Saint-Siège. Le chef de l'Eglise catholique romaine se rendit à Lugano, Genève, Fribourg, Flüeli, Einsiedeln, Sion et Berne, où il fut reçu par le Conseil fédéral in corpore.
De nouvelles tensions apparurent dans les années 1990, dues aux débats suscités par Wolfgang Haas, évêque auxiliaire, puis évêque de Coire. Le Saint-Siège et la nonciature jouèrent dans cette affaire un rôle peu heureux, critiqué même par leurs coreligionnaires. Une écrasante majorité de catholiques suisses fut choquée par le soutien que la curie apporta temporairement à Mgr Haas et à son cercle ultraconservateur. On en vint à penser que Rome ne disposait pas d'informations objectives, ce qui incita à créer une représentation diplomatique auprès du pape. Le Conseil fédéral nomma en octobre 1991 un ambassadeur en mission spéciale, mettant ainsi fin à la non-réciprocité des relations diplomatiques. Néanmoins, la mission spéciale se chargeait uniquement de tâches limitées, soit dans le temps, soit dans leur portée. La normalisation n'intervint qu'à la fin de mai 2004, à la veille de la seconde visite de Jean-Paul II à Berne (5-6 juin): le Conseil fédéral désigna un ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire auprès du Saint-Siège, mais seulement en coaccréditation.
Sources et bibliographie
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- A. Fleury, «Le Saint-Siège et les négociations de 1917», in Les pourparlers de paix de 1917 avec l'Autriche-Hongrie, éd., L.-E. Roulet, 1994, 17-29
- U. Fink, Die Luzerner Nuntiatur 1586-1873, 1997
- Les relations diplomatiques entre la Confédération Suisse et le Saint-Siège, 2023 (Revue suisse d'histoire religieuse et culturelle, 117).
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