Créé en 1865 par l'archéologue britannique John Lubbock, en même temps que celui de Paléolithique, le terme de Néolithique désigne la phase la plus récente de l'âge de la Pierre, dite aussi âge de la Pierre polie, durant laquelle apparaissent l'agriculture (terres ouvertes), puis l'élevage, mais où est encore inconnue la technique de l'alliage du cuivre et de l'étain pour produire du bronze, caractéristique de l'ère suivante (âge du Bronze). L'étendue chronologique du Néolithique varie en fonction des aires géographiques. En Suisse, elle va d'environ 6500 à 2200 av. J.-C., de sorte que l'archéologie suisse intègre au Néolithique la phase chalcolithique (âge du Cuivre).
Histoire de la recherche
En Suisse, la recherche sur le Néolithique est étroitement liée aux travaux sur les lacustres, parce que les stations littorales offrent de très bonnes conditions de conservation pour les vestiges, mobiliers ou non, de cette époque. En 1857, peu après la publication de la théorie sur les lacustres, Frédéric Troyon, se basant sur les fouilles de Moosseedorf, fut le premier au monde à démontrer que l'agriculture et l'élevage étaient déjà pratiqués à l'âge de la Pierre. Il avait fixé ainsi tous les critères qui allaient servir, un siècle durant environ, à caractériser le Néolithique: l'agriculture, l'élevage, les haches de pierre (pour la construction) et la céramique. Plus tard seulement, les fouilles de l'archéologue britannique Kathleen Mary Kenyon à Jéricho (1952-1956) ont amené à distinguer un Néolithique précéramique (ou acéramique) ayant connu l'agriculture seulement, puis un Néolithique précéramique avec agriculture et élevage.
La chronologie du Néolithique ne s'est que très lentement précisée. En 1901 par exemple, Jakob Heierli ne distinguait que trois phases néolithiques, et encore les deux premières doivent-elles être maintenant inversées. Il fallut attendre Paul Vouga (1929) et Emil Vogt (dès 1934) pour que fût établie une classification chronologique et régionale encore partiellement reconnue par la recherche actuelle. La chronologie relative repose aujourd'hui principalement sur les résultats stratigraphiques des fouilles de Delley-Portalban (1962-1979), Douanne (1974-1976) et Zurich-Kleiner Hafner (1981-1984) et sur les données de la dendrochronologie. Mais jusqu'au milieu des années 1990 encore, en Suisse, on ne s'est intéressé qu'au Néolithique céramique, parce que la preuve de l'existence d'une phase antérieure, caractérisée par l'agriculture mais sans élevage ni céramique, n'a pu être apportée qu'avec l'aide des analyses polliniques. Dans la terminologie traditionnelle, cette phase initiale est classée dans le Mésolithique récent, mais est traitée ici comme Néolithique précéramique. Faute de preuves, l'existence en Suisse d'une phase antérieure à la céramique mais caractérisée par l'agriculture et l'élevage ne peut être que supposée.
Sources, chronologie et différenciations régionales
Les sites et les objets du Néolithique se répartissent d'une manière extrêmement inégale. L'occupation du Plateau suisse de 4300 à 2400 av. J.-C., malgré plusieurs interruptions plus ou moins longues, est bien attestée par les habitats établis en milieu humide. Cette région est, en Europe, l'une des plus riches en vestiges de cette époque, et la conservation des bois a permis non seulement des datations au carbone 14, mais également dans la plupart des cas des datations dendrochronologiques. Les vestiges sont en revanche beaucoup plus rares pour les périodes qui précédèrent et suivirent les sites palafittiques. Cette lacune est particulièrement marquée pour la période de 6500 à 4300 av. J.-C., et lorsqu'il en subsiste quelques vestiges, ils ne peuvent généralement être interprétés que par comparaison avec des objets découverts à l'étranger. La situation est un peu plus favorable pour la période de 2400 à 2200 av. J.-C., dont les trouvailles ont eu de meilleures chances de conservation.
Les préhistoriens ont pris l'habitude de donner aux groupes culturels du Néolithique des noms formés d'après une particularité de la céramique (civilisation de la céramique cordée) ou un site où ce type de céramique est attesté (civilisation de Cortaillod). Quoique passablement arbitraires et contradictoires, ces termes sont maintenant bien implantés et ce sont eux qui seront utilisés ici. Il n'a pas encore été possible d'imposer une dénomination systématique des ensembles culturels du Néolithique suisse.
Le Néolithique précéramique (6500-5400 av. J.-C.)
Le Néolithique précéramique ou Mésolithique récent se caractérise par l'apparition de la céréaliculture, dont la présence ne peut être décelée qu'au moyen d'analyses polliniques. Archéologiquement, il faut y rattacher les objets du Mésolithique récent. Mais les sites de cette époque ne sont pas très nombreux; les objets les plus explicites, issus de la station de Schötz 7 au bord du Wauwilermoos, sont caractérisés par des microlithes trapézoïdaux et des harpons en bois de cerf. Il n'est actuellement pas possible de distinguer des groupes régionaux. Les récentes fouilles d'Arconciel-La Souche ont fait apparaître un cachet décoré en argile cuite (dit pintadera) qui date de peu avant 6000 av. J.-C. et atteste des échanges avec l'aire balkanique. L'existence d'objets présentant les caractéristiques archéologiques du Mésolithique récent mais antérieurs à l'apparition de la céréaliculture peut être présumée, mais n'est pour l'heure pas démontrée.
Le Néolithique céramique ancien (5400-4300 av. J.-C.)
La comparaison avec l'étranger, où les objets de cette époque ont bénéficié de meilleures conditions de conservation, a permis d'attribuer aux ensembles culturels européens connus les rares fragments de céramique découverts en Suisse tout en faisant apparaître de nettes divergences entre la Suisse méridionale, tournée vers la plaine du Pô, la Suisse occidentale, vers la France, et la Suisse orientale, vers l'Europe centrale. La situation du Valais ne peut pas encore être précisément définie, mais les relations orientées vers le sud et vers l'ouest y sont déjà perceptibles, comme cela sera également le cas dans toutes les phases ultérieures du Néolithique. En Suisse centrale, les seuls objets découverts à ce jour sont des silex, ce qui ne permet pas une appréciation plus détaillée. Un habitat a été récemment mis au jour dans les Grisons (Zizers), où sont associés des éléments appartenant à l'aire occidentale de l'Europe centrale (civilisation de Hinkelstein) et d'autres qui doivent être rattachés au Néolithique ancien padano-alpin. En Suisse septentrionale, si les tessons du type La Hoguette mis au jour à Liestal sont le signe d'une orientation culturelle vers l'ouest, la présence de céramique rubanée à Bottmingen témoigne du changement survenu peu après, la région s'étant alors tournée vers l'aire culturelle de l'Europe centrale.
Le Néolithique céramique moyen (4300-2400 av. J.-C.)
De très nombreuses découvertes remontent à cette période et plusieurs aires culturelles se dessinent. Sur le Plateau, la Suisse occidentale, avec une succession ininterrompue du Cortaillod ancien au Cortaillod tardif, présente des relations culturelles très nettement orientées vers la France de l'Est et du Sud; la Suisse centrale, fut imprégnée par la civilisation d'Egolzwil, aux particularités culturelles très marquées, à laquelle succéda le Cortaillod de Suisse centrale, moins individualisé et plutôt tourné vers l'ouest; en Suisse orientale, la succession ininterrompue du Rössen récent au Pfyn tardif caractérise une évolution culturelle influencée par l'Europe centrale. Les limites entre ces aires coïncident à peu près avec l'actuelle frontière linguistique à l'ouest et avec la ligne Limmat-lac de Zurich à l'est. L'évolution est différente au Tessin, en Valais et dans les Grisons. L'influence de la plaine du Pô est indéniable au Tessin jusqu'à l'époque de la civilisation de Lagozza. Avec la céramique à décor de cannelures, le Valais paraît former une aire autonome, malgré une ouverture géographique et culturelle aux influences de la Suisse occidentale notamment, et des relations avec la plaine du Pô. Pour les Grisons, les vestiges connus sont trop clairsemés pour permettre une bonne appréciation régionale, mais dès la découverte des premiers vases entiers datant de peu avant 3000 av. J.-C. (Tamins), la région manifeste sa spécificité culturelle par rapport à la Suisse orientale en même temps que des relations avec le Tessin. De 3800 à 3500 av. J.-C., la Suisse centrale subit l'influence croissante de la partie orientale du Plateau. Après 3500 av. J.-C., l'influence de l'Europe centrale se manifesta jusqu'en Suisse occidentale par la présence de céramiques à fond plat de type Port-Conty et du Horgen occidental; la Suisse centrale, où la phase Horgen est mal connue, était probablement complètement assimilée à l'aire de l'Europe orientale. Avec la civilisation de Lüscherz, la Suisse occidentale s'orienta à nouveau vers l'ouest et le sud-ouest.
D'une manière générale en Suisse, de 4300 à 2800/2700 av. J.-C., l'art de la céramique est en régression, la pâte est plus grossière qu'auparavant et le répertoire des formes s'appauvrit jusqu'à se réduire à la vaisselle de cuisson. Une nouvelle impulsion culturelle venue d'Europe centrale mit fin à cette évolution et sur le Plateau apparurent, avec la céramique cordée, de nouvelles formes à partir desquelles allait ensuite se développer la céramique jusqu'à l'âge du Bronze. En Suisse orientale et centrale, la rupture fut brutale et complète dans la céramique, tandis que les haches de pierre, les gaines en bois de cerf et les manches en bois restaient inchangés: la césure culturelle ne fut ainsi pas totale et n'est pas à mettre en relation avec l'arrivée d'une population nouvelle. Pour la Suisse occidentale, la documentation que constitue la céramique nouvelle, en partie décorée, est beaucoup plus éloquente et permet, dans l'Auvernier-Cordé, de mieux apprécier la part respective des influences culturelles de l'ouest et de l'est. Il se forma une culture mixte au sein de laquelle il convient de distinguer le fonds autochtone issu de la civilisation de Lüscherz et les apports étrangers de céramique cordée. Les deux éléments sont parfois associés sur un même vase. Il est frappant d'observer que les cordelettes ornant les céramiques ont une torsion en S en Suisse centrale et orientale comme en Europe centrale, et la plupart une torsion en Z en Suisse occidentale. Quant aux haches, la Suisse occidentale vit apparaître avec la céramique cordée le type à manche coudé originaire d'Europe centrale. Les nombreuses haches-marteaux sont également un signe de l'influence de l'Europe centrale. L'apparition de la culture mixte de l'Auvernier-Cordé est peut-être due à l'immigration d'un groupe de population allochtone. La Suisse septentrionale et le Jura moyen présentent une situation très particulière: les nombreux sites connus se caractérisent par une quasi-absence de céramique et une abondance de pointes dites de Dickenbännli (commune d'Olten), que des comparaisons avec la Suisse orientale permettent de dater dès 4500 jusqu'au IVe millénaire av. J.-C. La région était sous l'influence de l'aire culturelle de l'Europe centrale.
Le Néolithique céramique final (2400-2200 av. J.-C.) et la transition avec l'âge du Bronze
Pour le Néolithique final, la qualité des trouvailles baisse à nouveau et il n'y a presque pas d'objets en bois conservés. Sans recours possible à la dendrochronologie, l'interprétation des faits souffre de la relative imprécision des datations par le carbone 14. La période de 2400 à 2200 av. J.-C. est celle du Campaniforme, représenté dans toute la Suisse, y compris le Tessin, mais à l'exception des Grisons. Ainsi qu'il ressort de l'ensemble des datations absolues, cette civilisation occupe en Suisse une phase chronologique précise entre la céramique cordée et le Bronze ancien. Les observations stratigraphiques de Wädenswil-Vorder Au ont montré que les premiers vases campaniformes de Suisse (vers 2425 av. J.-C.) se rencontrent dans la phase finale de la céramique cordée. Cela a été mis en évidence à Alle, où l'on a pu analyser la céramique commune à pâte grossière: tout comme les vases campaniformes, elle s'inscrit dans la tradition de la céramique cordée. Il n'est pas impossible que l'uniformisation culturelle de la Suisse - Grisons exceptés - soit en rapport avec la celtisation. Toutefois, la présence de Celtes dans ces régions n'est attestée que plus tard, par des inscriptions du second âge du Fer et par les textes d'auteurs de l'époque romaine. Depuis la période campaniforme, les divers substrats culturels ont toujours exercé une influence et sont restés perceptibles, quoiqu'à des degrés inégaux, dans les phases successives de la protohistoire. La transition entre le Campaniforme et l'âge du Bronze s'est déroulée sans rupture sur le plan culturel, même si cette continuité n'est pas directement attestée par des séries d'objets.
Economie, techniques et échanges
Le Néolithique marque le passage de l'économie de chasse et de cueillette à l'économie de production vivrière, laquelle est aujourd'hui encore le fondement de notre société. Accomplie d'abord au Proche-Orient, cette transition, avec le savoir qu'elle nécessitait, s'est répandue en Europe et en Suisse. L'idée d'une apparition simultanée des trois éléments essentiels du Néolithique (l'agriculture, l'élevage et la céramique) en Europe centrale est maintenant abandonnée au profit d'une apparition échelonnée, l'introduction de l'agriculture ayant précédé celle de l'élevage et de la céramique. Les semences et les animaux doivent avoir été importés, les espèces végétales cultivées (céréales, lin, pois et lentilles) et plusieurs espèces d'animaux domestiques (chèvres, moutons) ne se trouvant pas dans la flore et dans la faune indigènes d'Europe centrale. L'agriculture et l'élevage représentent un changement profond du mode de vie par rapport à la prédation, mais la lenteur du processus l'a probablement rendu à peine perceptible pour les hommes de la Préhistoire. Les analyses polliniques et l'étude des macrorestes végétaux montrent que l'intensification de l'agriculture n'a que très lentement progressé. Au Néolithique précéramique, l'absence de vestiges de maisons invite à supposer qu'il n'y a pas eu de changement dans le mode de vie. Ce n'est qu'au début du Néolithique céramique que la hache de pierre et les habitations deviennent des faits culturels courants, signes de sédentarisation. On peut admettre que dès 3500 av. J.-C. environ, des champs d'une certaine dimension étaient cultivés avec de brèves périodes de friche et utilisés pour la pâture du bétail. Les premiers animaux domestiques connus remontent au Néolithique céramique; le mauvais état de conservation des vestiges du Néolithique précéramique ne permet pas d'attester leur présence à cette période. Autres indices de l'intensification de l'agriculture, les animaux de trait, le joug et la charrue firent également leur apparition vers 3500 av. J.-C. La réaction de la population du Plateau à la dégradation climatique survenue entre 3700 et 3600 av. J.-C., au cours de laquelle la chasse connut une très nette recrudescence, montre que l'agriculture et l'élevage ne furent pas dès le début d'une importance essentielle. La cueillette s'intensifia également, même si le phénomène est plus discret; les ressources alimentaires naturelles étaient loin d'être épuisées. La mouture des céréales à la molette à main sur une meule dormante n'est attestée que depuis le Néolithique céramique. Aucun mortier n'ayant été découvert en Suisse, on ne peut rien affirmer sur la préparation de céréales durant le Néolithique précéramique.
Des différences régionales entre la Suisse occidentale et la Suisse orientale existaient dans le choix des céréales cultivées et dans la composition des troupeaux de bétail, encore que l'observation des restes osseux ou végétaux n'autorise pas des différenciations aussi détaillées que la céramique par exemple, dont les formes et les décors sont mieux caractérisés. D'une manière générale, on élevait plus de chèvres et de moutons en Suisse occidentale et en Valais qu'en Suisse orientale et dans les Grisons, tandis que l'amidonnier était davantage cultivé en Suisse orientale qu'en Suisse occidentale. Après le joug et la charrue, les premiers chars apparurent vers 3200 av. J.-C. La principale découverte, à Zurich-Pressehaus, est constituée de trois roues et d'un axe, restes probables d'un char à quatre roues de la civilisation de la céramique cordée, même si les éléments n'étaient plus tous en connexion. Les voies d'eau étaient importantes pour les transports et les pirogues monoxyles sont connues en Suisse dès le Ve millénaire av. J.-C. (Männedorf, Hauterive-Champréveyres). Les chars devaient en revanche disposer de chemins aménagés, à l'instar de certains accès renforcés aux stations littorales, dont le plus ancien connu à ce jour est celui de Marin-Les Piécettes (3500-3400 av. J.-C.).
L'apparition de la hache de pierre au début du Néolithique céramique inaugura une ère de progrès techniques. Du fait de la rareté des gros nodules de silex en Suisse, les haches étaient fabriquées principalement en serpentine. Les haches en pierre noire des Vosges (aphanite), que l'on échangeait surtout entre 4000 et 3600 av. J.-C., constituent une exception. La hache a permis la construction de maisons qui, à l'époque de la céramique rubanée peu avant 5000 av. J.-C., avaient des dimensions imposantes. Plusieurs de ces maisons allongées ont été observées dans le canton de Schaffhouse. Entre la Suisse occidentale, centrale et orientale, la technique de fabrication des haches varie dans la manière de fixer la lame au manche de bois, par l'intermédiaire d'une gaine en bois de cerf. Le manche coudé, apparu d'abord en Suisse orientale, se répandit en Suisse occidentale à l'époque de la céramique cordée avant de devenir un objet typique de tout l'âge du Bronze. A l'inverse, le manche à ailette originaire de Suisse occidentale devint aussi le type dominant en Suisse centrale. Les gaines en bois de cerf, toujours plus fréquentes en Suisse occidentale à partir de 3800 av. J.-C., ne se répandirent que marginalement en Suisse centrale et orientale avant 3000 av. J.-C. environ.
A la hache de pierre vint s'ajouter vers 3800/3700 av. J.-C. probablement la hache de cuivre, du moins en Suisse orientale et centrale. La récupération de ce métal rend difficile une évaluation précise de son importance, mais dans tous les cas, il ne put supplanter, durant le Néolithique, aucun outillage lithique ou osseux. Le nombre d'objets métalliques et de creusets des civilisations de Pfyn et de Horgen montre que le cuivre tenait une place certainement plus considérable en Suisse orientale et centrale qu'en Suisse occidentale. Le métal provenait en majeure partie de l'est de l'Europe; dès son exploitation dans le sud de la France, à partir de 3000 av. J.-C. seulement, les objets de cuivre devinrent plus fréquents en Suisse occidentale (lames de hache et de poignard, perles). Des observations récentes faites dans les Alpes autrichiennes autorisent à supposer l'exploitation de gisements de cuivre au Néolithique dans les Grisons, mais sans attestation à ce jour. Les autres métaux étaient rares en Suisse. On ne connaît, au Néolithique final (2400-2200 av. J.-C.), qu'une boucle d'oreille en argent (Sion) et un gobelet campaniforme en or (Eschenz). Ces métaux précieux étaient probablement importés. Matière première essentielle, le sel n'a pas laissé en Suisse de traces de son extraction. Les plus proches salines déjà exploitées au Néolithique se trouvent dans le Jura français.
Les pointes de flèche élaborées au cours du Néolithique précéramique prirent ensuite une forme symétrique qui devint le type dominant du Néolithique en Suisse, tandis que les têtes de flèche à tranchant transversal restèrent d'un emploi marginal. A quelques exceptions près, les pointes de flèche étaient faites en silex, dont l'extraction, dans le Jura, avait une grande importance économique; on connaît même des mines de silex, comme à la Löwenbourg. Le silex autochtone n'étant pas toujours de très bonne qualité, il s'en importait depuis des gisements situés en France, en Italie et en Allemagne, éloignés pour certains de 400 kilomètres. Ainsi qu'il est permis de le déduire de la rareté des nodules de silex sur les stations littorales, les échanges portaient principalement sur des lames et des outils manufacturés. Les plus remarquables de ces objets sont les poignards en silex importés de la région du lac de Garde vers 3400 av. J.-C. et ceux du Grand-Pressigny, près de Tours, vers 2800/2600 av. J.-C. On fabriquait aussi des ustensiles en bois, en bois de cerf et en os. Le bois servait aussi à la fabrication de vaisselle. Quant aux objets de parure, ils étaient faits de divers matériaux; les coquillages et les coquilles de mollusques de la Méditerranée, obtenus par troc, passaient probablement, comme le silex et le cuivre, par plusieurs étapes intermédiaires.
Le tressage et le tissage sont maintes fois attestés au Néolithique moyen. Les objets découverts sont toujours en fibres végétales (écorce de chêne ou de tilleul, lin), parce que la laine ne s'est pas conservée dans les sols humides. A partir de 3400 av. J.-C. environ, on peut supposer que la laine de mouton devint une matière première importante. Les premiers textiles furent peut-être réalisés dès le Néolithique précéramique, comme le suggère une graine de lin datant du VIIe millénaire av. J.-C., et les tissages d'écorce de chêne et de tilleul éventuellement plus tôt encore. Le traitement des fibres et la fabrication de tissus sont démontrés par la découverte de restes de textiles préservés en milieu humide, de fusaïoles et de pesons. Les pesons coniques lourds pour le tissage du lin sont connus en Suisse dès 4000 av. J.-C. environ, les pesons sphériques, plus légers, pour la laine, dès 3400 environ. Les fusaïoles se rencontrent sporadiquement dès 4000, mais ce n'est qu'à partir de 3400 av. J.-C. (Arbon-Bleiche 3) qu'elles deviennent courantes; elles servaient notamment au travail de la laine.
L'architecture et les villages
Pour la période antérieure à 5000 av. J.-C., on connaît actuellement les maisons allongées à quatre nefs de Gächlingen (civilisation de la céramique rubanée) et une maison à deux nefs à Bellinzone (Néolithique inférieur), dont les plans sont lisibles à la coloration qu'ont laissée dans le sol les pilotis, les fosses de creusement et les petits fossés. C'est à la seule faveur de la bonne conservation des bois dans les stations littorales que l'on doit d'être mieux renseigné sur leur architecture. Les maisons sont à de rares exceptions près des constructions à poteaux subdivisées en deux nefs. A l'est de Zurich, les planchers sont en baguettes ou en planches, avec une couche d'argile; à l'ouest, on rencontre les mêmes planchers mais sans couche d'argile jusqu'au Wauwilermoos. L'argile n'est plus utilisée là que comme couche de fond sous le foyer. Plus à l'ouest encore, il n'y a plus de planchers, mais seulement de petites chapes d'argile sous les foyers. Dès 4300 av. J.-C. au plus tard, les maisons sont disposées en rangées serrées, encore que l'on trouve en Suisse centrale le type de village à une seule rangée, plus petit. La surface des villages varie entre 1000 et 5000 m². Une maison occupait au maximum une parcelle de 100 m²; il y en avait donc entre dix et cinquante par village. En comptant une moyenne de cinq personnes par maison, on arrive à un total de cinquante à 250 habitants par village. De la Suisse occidentale à la Suisse orientale, de nombreux exemples de clôtures entourant les villages ont été observés.
Sépultures et croyances
Par comparaison avec des périodes plus récentes, les sépultures néolithiques sont rares et les dépôts funéraires moins spectaculaires. On ne trouve en certaine quantité que des tombes en ciste du Ve et du IVe millénaire av. J.-C. en Suisse occidentale, en Valais et en Suisse centrale. Les défunts y étaient enterrés en position repliée. En Valais, les tombes, vers 4500, ne contenaient qu'un seul individu; plus tard, il y en eut parfois plusieurs. Dans la région lémanique, il pouvait y avoir jusqu'à sept individus par tombe, et à Lenzbourg même dix-sept. Au IIIe millénaire apparurent des dolmens mesurant environ 2x3 m et abritant vingt-trois sépultures (Aesch), voire environ nonante (Sion-Petit-Chasseur 3). Les découvertes funéraires sont rares en Suisse orientale, où les tombes collectives font totalement défaut. Dans le canton de Schaffhouse ont été trouvées des tombes datées de la première moitié du IVe millénaire av. J.-C. où les défunts étaient allongés sur le dos. Les cistes d'Opfikon et de Rapperswil (SG), avec leurs défunts également couchés en position dorsale, datent de 3000 à 2500 av. J.-C. Ce mode d'inhumation paraît avoir été propre à la Suisse orientale d'avant la civilisation de la céramique cordée et seules s'en écartent les deux tombes en ciste d'Erlenbach (IVe millénaire av. J.-C.), qui contenaient probablement des individus en position repliée. Avec la céramique cordée apparaissent à Schöfflisdorf et à Sarmenstorf des sépultures à incinération sous tumulus. La tombe collective (douze défunts en position repliée) de Spreitenbach constitue une exception par son apparentement aux traditions funéraires de la Suisse occidentale. Des tombes du Campaniforme sont connues à Allschwil et à Riehen (position repliée) et à Sion-Petit-Chasseur.
D'autres indices de croyances religieuses nous sont donnés par des stèles et des menhirs, isolés ou en groupe, limités toutefois à la Suisse occidentale. Sur plusieurs menhirs des IVe et IIIe millénaires av. J.-C., la forme ou le décor suggèrent une représentation humaine. Parmi les gravures rupestres, il faut citer celles de Saint-Léonard, qui datent probablement toutes du Néolithique et où l'on remarque notamment des figures d'orants. Ce sont vraisemblablement aussi des croyances religieuses qui sont à l'origine des vases gynécomorphes de la civilisation de Cortaillod et des représentations de seins sur les parois des maisons de Thayngen-Weier (civilisation de Pfyn). Les exemples de pratiques religieuses proprement dites, offrandes ou autres, sont en revanche très rares. Le squelette de truie presque complet trouvé sous un foyer du XXXIe siècle av. J.-C. à Douanne paraît témoigner d'un sacrifice de construction; les haches de pierre ou les haches-marteaux retrouvées dans des rivières, comme la Limmat, pourraient avoir été des offrandes aux cours d'eau.
La société néolithique
Le Néolithique couvre une période de plus de 4000 ans au cours de laquelle il faut admettre une évolution des structures sociales. Les groupes humains qui les premiers, vers 6500 av. J.-C., se mirent à cultiver des céréales en Suisse, vivaient probablement encore selon le modèle des chasseurs-cueilleurs du Mésolithique, avec par conséquent une structure sociale égalitaire très faiblement dominée par un individu alpha de sexe masculin. La comparaison avec des exemples ethnologiques permet de reconstituer de petits groupes territoriaux de cinquante à cent individus. Il serait important de connaître la capacité nourricière du Plateau suisse, encore boisé, dans un régime de cueillette et de chasse, afin de pouvoir apprécier l'évolution démographique ultérieure, mais ces estimations n'ont pas été faites à ce jour. Le Plateau ayant une superficie d'environ 10 000 km², si l'on suppose qu'en 6500 av. J.-C. la région comptait environ 5000 habitants (0,5 hab./km²), cela donne entre cinquante et cent communautés. Très progressivement, la société de rangs évolua pour se muer en une société stratifiée, dès lors que l'agriculture et l'élevage permettaient l'accumulation de réserves et de biens. Cette évolution fut sans doute accentuée par l'apparition du cuivre vers 4000 av. J.-C. et cela malgré la répartition apparemment assez équitable des creusets vers 3700-3600 dans le site de Zurich-Mozartstrasse (civilisation de Pfyn), signe que de nombreuses personnes avaient accès au nouveau métal. Deux indices datant de 4300-4200 confirment les efforts des individus alpha en vue de se ménager une position de chefs de village munis de compétences institutionnalisées. Premièrement à Lenzbourg, la plus grande tombe en ciste de la nécropole, la seule à avoir un fond en dalle, contenait un seul individu de sexe masculin, qui était aussi le plus grand en taille et était accompagné du plus grand nombre de dépôts funéraires. Deuxièmement, la hache-marteau de Cham-Eslen est montée sur un manche de longueur démesurée enveloppé d'une écorce de bouleau décorée de motifs et peut être considérée comme un insigne de statut social.
Les sépultures ne renseignent que médiocrement sur la structure sociale. La durée d'utilisation d'un cimetière n'étant généralement pas connue, il est difficile d'estimer combien d'individus, dans une communauté donnée, ont reçu une sépulture. Il est toutefois intéressant d'observer que durant le Néolithique ancien (4500-3500 av. J.-C.), il y a par année près de deux fois plus de tombes connues que durant la période de 3000 à 2200 av. J.-C. Si l'on admet une augmentation progressive de la population au cours du Néolithique, grâce à la production vivrière, on est amené à conclure qu'à la fin du Néolithique déjà, les tombes n'étaient réservées qu'à une petite classe de privilégiés, comme cela fut aussi le cas en Suisse durant l'âge du Bronze et l'âge du Fer. Les sépultures collectives, en cistes ou parfois sous un dolmen, sont un phénomène particulier qui se présentait en Suisse occidentale, en Suisse septentrionale jusqu'à la longitude de Bâle (Laufon, Aesch) et exceptionnellement en Suisse centrale jusqu'à la Limmat (Spreitenbach). Des analogies amènent à supposer que ces sépultures réunissaient des groupes familiaux.
Les villages de la civilisation de la Céramique rubanée, comme dans le canton de Schaffhouse, présentaient habituellement des maisons longues en ordre dispersé. Cette absence d'ordonnance rigoureuse paraît avoir été aussi celle du village de même époque sur le Castel Grande à Bellinzone. Il est difficile de reconstituer une structure sociale correspondant précisément à cette organisation de l'habitat. Elle doit dans tous les cas avoir été différente de la structure sociale du Néolithique céramique moyen (dès 4300 av. J.-C.), dont les villages avaient des rangées serrées de maisons de dimensions modestes et équivalentes, preuve de l'absence de stratification sociale. Mais l'existence même d'un plan pour le village indique que la communauté villageoise était dirigée. Dès 3600 av. J.-C., l'analyse dendrochronologique a permis de reconnaître plusieurs villages dont le développement s'est fait progressivement à partir du noyau formé par une maison ou un petit groupe de maisons. Ces villages furent probablement fondés depuis un emplacement tout proche. Au bord du lac de Bienne, entre 3800 et 2400 av. J.-C., on admet, en plus des villages proprement dits qui ont été repérés, environ neuf territoires villageois qui avaient la maîtrise de deux à trois kilomètres de rivage. Au bord des lacs de Bienne et de Neuchâtel, il est frappant de noter, confirmée par la dendrochronologie, la coexistence de plusieurs villages sur un même territoire défriché vers 2800-2700. Il faut y voir un effet de la croissance démographique, mais aussi le signe d'une structure sociale en voie de complexification. L'étendue des neuf territoires reconnus au bord du lac de Bienne peut servir à l'estimation de la superficie moyenne d'un territoire villageois et, à partir de là, de l'ensemble de la population du Plateau suisse. Pour un territoire d'une superficie moyenne de 50 km², on obtient 200 territoires sur le Plateau, ce qui, avec une moyenne de 100 habitants par territoire, donnerait environ 20 000 habitants, ce qui paraît plausible pour les IVe et IIIe millénaires av. J.-C.
Pour la compréhension de la transition entre les communautés territoriales de chasseurs-cueilleurs et les communautés villageoises, dotées au Néolithique final (IIIe millénaire av. J.-C.) d'une structure plus complexe, il ne faut pas perdre de vue la réalité d'autres unités au-dessus de la communauté du village, comme des communautés matrimoniales ou linguistiques, qui pourraient correspondre aux différences de forme observées dans la céramique (qui sont les cultures archéologiques). La division simplificatrice du Plateau en Suisse occidentale, Suisse centrale et Suisse orientale paraît actuellement insuffisante pour rendre compte de la diversité des styles régionaux, et dans chacune de ces régions, il faut distinguer au moins deux aires culturelles. L'influence croissante venue de l'Europe centrale dès 3800 av. J.-C. environ, quand la région des lacs de Zurich et de Zoug passa dans cette zone d'influence, jusqu'à la civilisation mixte de l'Auvernier-Cordé dans la région des Trois-Lacs (vers 2700-2500 av. J.-C.) ou l'empreinte omniprésente de la civilisation campaniforme en Suisse (Grisons exceptés) dès 2400 av. J.-C., sont des phénomènes qui s'accompagnèrent sans aucun doute de transformations sociales dont le détail cependant nous échappe.
Sources et bibliographie
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Contexte | Age de la Pierre polie, civilisation de la Lagozza |