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Alpes

Les Alpes couvrent plus de la moitié du territoire de la Suisse. Elles en ont marqué fortement toute l'histoire. C'est pourquoi il a paru opportun de rassembler en un article tous les éléments caractéristiques de l'évolution historique des régions alpines du pays, succinctement exposés et articulés par grandes périodes et par thèmes.

Cet article ne prend pas pour base une définition précise du concept Alpes telle qu'en proposent la géographie physique (critère d'altitude), humaine (peuplement) ou politique (cantons alpins ou partiellement alpins), car ces critères ne sont pas propres à rendre compte du développement historique dans ses phases successives et sous ses diverses facettes. Il retient plutôt l'acception courante du nom Alpes désignant un vaste espace au relief accentué, le fond des sillons glaciaires compris. Aux Alpes proprement dites sont associées les Préalpes, dans la mesure où ces dernières ont suivi un destin sensiblement identique, sous réserve de différences régionales. En d'autres termes, Alpes est ici compris par contraste avec les deux autres espaces naturels de la Suisse, le Plateau suisse ou Moyen Pays (Mittelland) et la chaîne du Jura. Il n'est question que de la partie suisse des Alpes (environ 10% de l'ensemble), même si beaucoup de réalités exposées ici sont valables pour tout ou partie de massif alpin au-delà des frontières que l'arbitraire de l'histoire politique y a tracées.

L'arc alpin de Marseille à Vienne
L'arc alpin de Marseille à Vienne […]

Une histoire globale et cohérente des Alpes n'est pas encore réalisable à l'heure actuelle. En effet, en dépit de nombreuses monographies locales et de quelques études thématiques d'horizon plus large, elle n'en est qu'à ses débuts. C'est pourquoi l'article qui suit, même pour le seul espace alpin suisse, ne peut être considéré comme une synthèse. Il juxtapose informations et perspectives dues à des auteurs de disciplines et d'approches diverses. Répétitions, contradictions éventuelles et ruptures n'ont pu être évitées tout à fait. Elles rendent compte elles aussi de la complexité du sujet.

Histoire naturelle, préhistoire, époque romaine

Données géographiques

Géologie

Le territoire de la Suisse occupe un espace fortement articulé par le relief alpin. Au Tertiaire (de - 66 à - 1,5 millions d'années), la dérive des continents a provoqué, à partir du sud et en plusieurs étapes, le soulèvement et le plissement du socle cristallin, formé surtout de granite et de gneiss, ainsi que des sédiments accumulés au Mésozoïque (de - 230 à - 66 millions d'années) sur les fonds marins de la Téthys: nappes helvétiques au nord, nappes penniques dans la partie centrale plus profonde, nappes est-alpines au sud. Durant des millions d'années, les matériaux arrachés par l'érosion à la chaîne alpine naissante ont rempli le bassin molassique au nord et la plaine du Pô au sud.

Structure géologique et lithologie des Alpes
Structure géologique et lithologie des Alpes […]

Les glaciers alpins ont envahi plusieurs fois le Plateau au cours des glaciations du Pléistocène (de -1,5 million à - 10'000). Ils ont plus fortement marqué la morphologie des Alpes (vallées en U, gradins, arasement des cols les plus bas) que les phénomènes d'érosion plus récents, tels que le comblement progressif par l'amont des lacs du pied des Alpes ou les éboulements qui ont coupé certaines vallées (et qui, couverts de forêts, marquent parfois des frontières, par exemple le bois de Finges marque celle entre le Haut-Valais et le Bas-Valais, celui de Kern entre Obwald et Nidwald, l'éboulement de Flims entre Surselva et Sutselva). Les cônes de déjection sur lesquels beaucoup de villages ont été bâtis afin d'éviter les fonds de vallée (souvent inondés avant les corrections de cours d'eau des XIXe-XXe s.) se sont généralement formés au début de la période postglaciaire.

Climat, sols, flore et faune

La diversité que l'on observe dans les modes de colonisation et d'exploitation des Alpes par l'homme reflète celle des climats, des sols, de la flore et de la faune, combinée à celle du relief et de l'hydrographie.

Le climat des Alpes varie selon l'altitude. Plus on s'élève, plus les températures sont basses et les précipitations abondantes. Cependant, sur ce dernier point, la répartition est très inégale. Les sommets des Alpes bernoises et valaisannes exposés aux vents d'ouest, les plus humides, reçoivent plus de 400 cm d'eau par an, alors que les vallées du Valais et des Grisons sont des îlots secs (51 cm par an à Sion). Les vents du nord ou du sud donnent des pluies abondantes sur le versant auquel ils se heurtent; au-delà, ils provoquent un courant sec, surtout dans les vallées orientées nord-sud (foehn).

La crête des Alpes est une frontière climatique. L'altitude des étages de végétation (étages des collines, montagnard ou des feuillus, subalpin ou des conifères, alpin) diffère selon les versants: au nord la limite des neiges se situe vers 2400 m, celle des forêts vers 1800 m, au sud elles sont 400 à 600 m plus haut. En outre, le relief influe fortement sur le microclimat par la durée et l'intensité de l'ensoleillement. Dans les vallées orientées d'est en ouest, les températures des versants nord et sud, donc les limites des étages de végétation, divergent fortement et l'agriculture doit en tenir compte.

Du point de vue de leur composition chimique et minéralogique, les sols des Alpes sont soit silicatés soit carbonatés. Sur les sous-sols rocheux riches en silicates (granite, gneiss par exemple) de l'étage alpin on trouve souvent des sols peu profonds, caillouteux ou rocheux, à faible capacité de décomposition, couverts d'une couche d'humus acide. Ce «sol de forêt de résineux» ou «moder» est peu approprié à l'exploitation agricole ou au pâturage, contrairement aux sols carbonatés, alcalins et profonds (marne calcaire, dolomite, flysch par exemple). La fertilité des sols dépend aussi de leurs caractéristiques thermiques et de leur richesse nutritive, de leur aération et de leur profondeur, facteurs qui agissent sur la croissance des plantes et sur le développement de leur système radiculaire. Au sud (Tessin, val Poschiavo) dominent les sols chauds, sablonneux ou caillouteux, souvent lessivés par de fortes pluies mais soumis aussi à de longues sécheresses. La pauvreté en eau caractérise les sols des vallées intérieures, chaudes et ensoleillées, sauf dans les fonds de plaine, souvent inondés, où les sols sont plus riches en minéraux et plus fertiles (vallée du Rhône, Basse-Engadine). Au nord, sous un climat plutôt frais et pluvieux, les sols sont profonds, argileux ou sablonneux; parfois gorgés d'eau à cause de marnes peu perméables. Sur les terrains humides du flysch (grès et schistes argileux) prédominent les joncs et d'autres plantes de piètre qualité fourragère. En certains endroits on trouve des tourbières (Lenzerheide, Gessenay), des marais (entre le Hohgant et le Pilate) et des prairies inondables (rives des principaux cours d'eau).

Les étages de végétation se distinguent particulièrement bien au nord: de haut en bas se succèdent dans l'étage alpin les pelouses sans arbres, les arbrisseaux (pins nains, aulnes à feuilles vertes), les épicéas de plus en plus denses. Puis vient à l'étage montagnard la forêt mixte de hêtres et de sapins, à laquelle se mêlent des chênes à l'étage des collines. Sur les versants méridionaux secs du Tessin et du Valais, le chêne pubescent et l'orne dominent à ces étages. Les vallées intérieures ont des pins au lieu de feuillus au-dessous des épicéas. A la limite supérieure de la forêt on trouve l'épicéa ou le sapin rouge au nord, le mélèze et l'arolle au centre et au sud.

La flore alpine subit depuis le Néolithique l'influence humaine. Les arbres reculent devant les assauts des céréales et des autres plantes herbacées. La forêt s'éclaircit peu à peu à cause des défrichements et parce qu'on y fait paître le bétail. Les meilleures terres, les sols profonds, notamment au fond des vallées, sont réservés à l'agriculture. Comme les champs trop pentus sont victimes de l'érosion, les paysans ont aussi mis en culture des sols peu profonds. Certains peuplements végétaux marqués par l'intervention humaine, comme les châtaigneraies exploitées depuis l'époque romaine, peuvent être considérés comme de véritables cultures.

La diversité de la faune fait distinguer cinq régions, Nord, Valais, Sud, Grisons et Engadine, chacune divisée en deux zones selon l'altitude. L'homme a modifié l'équilibre des espèces sauvages et fortement influencé la faune alpine par la chasse et la cueillette, puis par l'agriculture, la colonisation, les améliorations foncières, finalement par le tourisme et les activités sportives. Certaines espèces comme le bouquetin, le loup, l'ours, le gypaète barbu, la marmotte, le chamois, le lynx, disparus ou presque au début du XXe siècle, ont été ou pourraient être réintroduits au nom de la protection de la nature.

Histoire du climat

L'étude des glaciers et de la végétation permet de reconstituer l'histoire du climat dans les Alpes suisses (climatologie, glaciologie). Dans l'état actuel de nos connaissances, on peut la résumer ainsi: à l'époque la plus chaude, entre 7400 et 4900 av. J.-C. environ, la limite de la neige se situait 200 à 300 m plus haut qu'aujourd'hui, celle de la forêt était à son maximum (d'autant que des activités humaines, telles que les défrichements ou l'exploitation des pâturages, des mines et du bois, n'avaient pas encore pour effet de la ramener en dessous de son potentiel naturel). Le Néolithique connut deux refroidissements (4100-3800 et 3600-3200 av. J.-C. environ). Au Néolithique final et à l'âge du Bronze, une longue période chaude (2800-1000 av. J.-C. environ) permit la colonisation de sites élevés. Phases fraîches, l'âge du Fer (1000-300 av. J.-C. environ), puis le début du Moyen Age encadrent la phase chaude de l'époque romaine (250 av.- 400 apr. J.-C. environ) qui favorisa le peuplement, le trafic et l'économie.

Soldats surpris par une avalanche dans le massif du Gothard. Illustration de la Chronique confédérale de Werner Schodeler, copiée en 1572 par Christoph Silberysen (Aargauer Kantonsbibliothek, Aarau, MsWettF 16: 2, fol. 251v; e-codices).
Soldats surpris par une avalanche dans le massif du Gothard. Illustration de la Chronique confédérale de Werner Schodeler, copiée en 1572 par Christoph Silberysen (Aargauer Kantonsbibliothek, Aarau, MsWettF 16: 2, fol. 251v; e-codices).

Au Moyen Age, seuls les Xe et XIIIe siècles furent doux (on constate une légère avance des glaciers vers 1100). Un brusque abaissement des températures hivernales annonça vers 1300 le petit âge glaciaire: jusque vers la fin du XIXe siècle (avec un sommet entre 1812 et 1860), des étés froids et humides entraînèrent fréquemment un enneigement prolongé, donc un estivage raccourci ou impossible, une récolte de foin gâtée par la pluie, d'où une production laitière hivernale moindre, l'immaturité de beaucoup de céréales et enfin la disette. Si la crue des glaciers de 1340-1370 est peut-être à l'origine des légendes de la Blüemlisalp, celle des années 1600 engloutit des champs cultivés, par exemple à Grindelwald. Les hivers humides de 1718-1727 causèrent plusieurs avalanches catastrophiques. De fortes pluies d'arrière-été et d'automne provoquèrent entre 1829 et 1876 une série d'inondations dévastatrices, où l'on vit les effets de la déforestation.

Au XXe siècle, la fonte des neiges se fit toujours plus précoce jusqu'en 1945-1953 (sommet de chaleur) et redevint plus tardive vers 1980, peut-être en raison de précipitations hivernales et printanières plus abondantes. On peut lire comme un indice de changement climatique la série inhabituelle d'hivers doux depuis la fin des années 1980 (mais non la fréquence des crues de torrents dans la seconde moitié de la période 1961-1990). Les variations de la limite du permafrost sont encore insuffisamment étudiées.

Préhistoire

Dans l'environnement alpin, l'homme subsiste difficilement et doit faire preuve d'une forte capacité d'adaptation. Pourtant il pénétra les Alpes très tôt, avant la fin de la glaciation de Würm déjà, et y habita en permanence dès le Néolithique au moins, parce qu'il y trouvait des ressources spécifiques, gibier, pâturages, minerais, minéraux, et en empruntait les passages pour se livrer à des activités d'échange.

Les éléments naturels agissent aussi sur l'état des sources archéologiques, en recouvrant, déplaçant ou détruisant des sites, parfois en les révélant par hasard. Ces découvertes fortuites, doublées, surtout avant 1970, de recherches non systématiques dans des endroits prometteurs, sont à l'origine d'une bonne part du matériel dont nous disposons. Seuls de grands chantiers de construction récents ont permis de découvrir à 5 ou 8 m de profondeur les couches néolithiques de Tec Nev (Mesocco) ou de Sous-le-Scex à Sion.

Les plus anciennes traces d'activité humaine découvertes à ce jour dans les Alpes suisses se trouvent dans quelques grottes de Suisse orientale (Drachenloch, Wildenmannlisloch, Wildkirchli), du Simmental ou du Valais (Vouvry). Il s'agit de campements saisonniers de chasseurs du Paléolithique moyen et final (50'000-10'000 av. J.-C.). Des groupes de population mésolithique suivent de peu le retrait des glaciers (dès le VIIIe millénaire av. J.-C.). Les sites de cette époque, tel l'abri de Collombey-Muraz ou des vestiges de campement à Château-d'Œx, sont encore rares, mais il est permis d'en espérer d'autres après la découverte de camps de chasseurs sur le versant italien du Splügen, à plus de 2000 m d'altitude.

La situation changea dès le Ve millénaire av. J.-C., avec l'arrivée, dans un contexte européen, de communautés de paysans et d'éleveurs néolithiques. Les vestiges archéologiques viennent surtout des vallées: l'emplacement des habitats semble avoir dépendu des sols et du climat, comme le montre la station de Heidnisch-Bühl (Rarogne). L'analyse palynologique de sédiments lacustres et palustres prouve l'extension parallèle des céréales cultivées et des défrichements.

Site de Rossplatten au-dessus d'Hospental (Photographie Philippe Della Casa).
Site de Rossplatten au-dessus d'Hospental (Photographie Philippe Della Casa). […]

Au cours du Néolithique, l'exploitation des ressources naturelles s'intensifia tout en se diversifiant. Ainsi, le site de Cazis-Petrushügel révèle un groupe du Néolithique récent spécialisé dans la chasse au cerf, tandis qu'à Hospental-Rossplatten le cristal de roche trouvé dans les failles environnantes servait à faire des outils. L'espace alpin était déjà pleinement intégré dans les grands courants européens. Par exemple le mobilier funéraire de la nouvelle population qui s'installa au Petit-Chasseur (Sion) relève de la civilisation des vases campaniformes.

L'expansion humaine se poursuivit à l'âge du Bronze (2000-800 av. J.-C.): colonisation de vallées retirées, comme à Lumbrein-Crestaulta dans la Lumnezia, activités sur des cols et alpages de haute altitude attestées par des vestiges isolés. Après la découverte du métal, la recherche de minerai de cuivre, puis de fer, a sans doute contribué à peupler les régions alpines. On réduisait le minerai et on travaillait le métal notamment dans l'Oberhalbstein, comme le montrent les crassiers préhistoriques et les vestiges d'artisanat métallurgique de Padnal près de Savognin.

A l'âge du Fer (800-15 av. J.-C.), la présence humaine ne semble guère régresser, même si les sites connus sont moins nombreux. L'importance du trafic à travers les Alpes apparaît aussi bien dans la richesse du mobilier funéraire (singulière abondance de métal à Castaneda au débouché du val Calanca, et d'objets celtes en métaux précieux dans les trésors d'Erstfeld et de Burvagn) que dans le fait qu'on y trouve pêle-mêle des objets qui se rattachent aux civilisations du nord et du sud.

Epoque romaine

Pendant longtemps, les Romains ne se préoccupèrent guère des Alpes: leurs habitants (Celtes ou Rhètes) passaient pour des barbares hostiles et l'on affirmait terrifiants les dangers encourus lors de leur passage. Mais on les savait perméables: c'est après les avoir traversées que des peuples gaulois avaient occupé l'Italie du Nord (Gaule cisalpine). Après la conquête de cette dernière (IIe s. av. J.-C.), les Romains se prémunirent des dangers d'invasion par l'établissement ou le renforcement de places fortes; ainsi Eporedia (Ivrée), au débouché des cols du Petit et du Grand-Saint-Bernard, Comum (Côme) à celui du Splügen, du Septimer et du Julier.

Peuples alpins à l'époque romaine
Peuples alpins à l'époque romaine […]

Dans un premier temps les Romains s'assurèrent le passage des Alpes en négociant avec des notables ou des dynastes locaux. La tentative de Jules César de mettre la main sur le Grand-Saint-Bernard, en 57/56 av. J.-C. s'étant soldée par un échec devant Octodurus (De bello gallico III, 1-6), les Alpes «suisses» ne passèrent sous la domination romaine qu'en 15 av. J.-C., lors des opérations menées par Tibère et Drusus contre les Rhètes et les Vindéliciens, reportant les frontières de l'Empire au Rhin et au Danube. Excepté le Tessin méridional et le val Bregaglia, rattachés à la Gaule cisalpine, les Alpes furent intégrées dans la nouvelle province de Rhétie, Vindélicie et Vallée poenine, dont la capitale était Augsbourg (Augusta Vindelicum). La Vallis Poenina, le Valais, en fut détachée, vraisemblablement sous le règne de Claude (41-54 apr. J.-C.) pour former une nouvelle province, souvent (ou toujours?) réunie aux Alpes Grées sous l'autorité d'un même procurateur (gouverneur impérial) résidant tantôt à Axima (Aime-en-Tarentaise), tantôt à Octodurus (Martigny), fondées entre 41 et 47 apr. J.-C. On peut mettre cette réorganisation en relation avec l'étatisation de la voie du Grand-Saint-Bernard qui semble dès lors carrossable sur tout son tracé et qui permettait la communication la plus directe entre l'Italie et la Grande-Bretagne dont Claude entreprit la conquête au début de son règne. C'est probablement à cette époque que les Ceutrons des Alpes Grées, comme les «Octoduriens» (il faut comprendre par là tous les Valaisans), reçurent le droit de cité latin.

Les Romains s'intéressèrent aux Alpes pour le contrôle, le développement et l'entretien des voies transalpines, non pour la possession de nouveaux territoires. Ils établirent, parfois en remplacement d'anciens péages, les postes de douane de la Quadragesima Galliarum, taxe de 2,5% prélevée sur toute marchandise franchissant les Alpes, dans un sens comme dans l'autre. Mis à part quelques détachements qui assuraient le contrôle des routes ou appartenaient à l'état-major des gouverneurs de province, aucune troupe ne fut stationnée dans les Alpes suisses pendant le Haut-Empire et aucune agglomération ne fut fortifiée.

Comme ressources des habitants des Alpes, on peut citer le transport des marchandises et des voyageurs, l'entretien des routes, le service militaire, l'agriculture (céréales), l'apiculture, l'élevage (moutons, chèvres, porcs et bovins), l'exploitation des forêts, de gisements de plomb argentifères, de cuivre et de fer, de carrières de marbre, de calcaire et de pierre ollaire, la recherche de cristal de roche. Le bois était exporté jusqu'à Rome. Et le fromage des Alpes y était apprécié.

Les effets de la romanisation se ressentirent surtout le long et près des grands axes alpins, à Martigny et Massongex, à Coire et dans les villae de Sargans et de Nendeln (Eschen, FL), à Bellinzone, aux points de rupture de charge, mais aussi au débouché de cols d'importance secondaire, comme à Locarno-Muralto, dans des centres régionaux et dans les domaines agricoles appartenant à des notables locaux, par exemple sur l'adret valaisan (Fully, Ardon, Conthey, Sion et Sierre), dans les relais (mutationes) et les gîtes d'étape (mansiones), comme Riom, ainsi que dans les sanctuaires qui jalonnaient les grandes voies transalpines. Ailleurs, ils se firent plus discrets malgré la diffusion assez large de nombreux produits d'importation (vaisselle, fibules, parures), l'introduction de l'usage de la monnaie et celle du latin comme langue de communication. Ainsi les habitants de l'agglomération indigène de Gamsen, au pied du Simplon, alors col d'importance régionale, continuèrent-ils à vivre dans des cabanes semblables à celles de leurs ancêtres des âges du Fer et ignorèrent-ils le confort matériel dont jouissaient nombre de leurs contemporains alpins. La romanisation apparemment moindre des Grisons tient à l'aménagement, vers 50 apr. J.-C., de la via Claudia Augusta qui, par le col de Reschen et le Fernpass draîna l'essentiel du trafic entre l'Italie et la région d'Augsbourg, avant d'être plus tard elle-même supplantée par le Brenner plus à l'est.

La Raetia fut gouvernée tantôt par un légat de rang sénatorial, tantôt par un procurateur équestre, en fonction des troupes qui y stationnaient. Au Bas-Empire, on vit se fortifier, dans les Alpes rhétiques, des sites de hauteur tels ceux de Schaan-Krüppel (FL), de Castiel-Carschlingg, de Tiefencastel, de Coire. Le Valais, en ces périodes d'insécurité, semble ne pas avoir souffert des invasions barbares, stoppées au verrou de Saint-Maurice. En 381 au plus tard, un siège épiscopal est attesté à Martigny. Il faudra attendre le milieu du Ve siècle pour qu'il en soit de même à Coire, alors capitale de la province de Rhétie première (Raetia prima).

Histoire sociale

Moyen Age

Peuplement

Les populations gallo-romaines soumises à la pression des Alamans se retirèrent dès le IVe siècle vers le flanc nord des Alpes, où elles se maintinrent encore longtemps. Les Lombards pénétrèrent dans les vallées du sud dès la fin du VIe siècle, mais ils furent ensuite romanisés. Les colons alamans arrivèrent dans les Alpes centrales vers le début du VIIe siècle. Ils ne commencèrent à germaniser la Rhétie qu'au XIe siècle. Ils s'installèrent jusqu'à l'altitude de 1500 m dans les zones sèches du Valais, avant de poursuivre au XIIe siècle, sous le nom de Walser et déjà dans le cadre des défrichements médiévaux, vers l'Oberland bernois, les hautes vallées contiguës au sud des Alpes et les Grisons à l'est.

La colonisation intérieure se tourna ensuite vers des sites moins favorables, plus pentus, plus élevés, moins bien exposés, vers les vallons latéraux et l'extrémité des vallées, où s'installèrent généralement des fermes isolées pratiquant l'élevage, tandis que dans les sites plus centraux les hameaux d'agriculteurs-éleveurs devenaient des villages, selon une évolution qui s'est poursuivie jusqu'à l'époque moderne. Dans les vallées principales, certaines agglomérations jouissaient d'un statut juridique privilégié ou remplissaient les fonctions d'un centre: les cités épiscopales de Coire et Sion, quelques petites villes fortifiées; cependant les marchés se tenaient le plus souvent dans des bourgs ouverts.

On ne peut décrire l'évolution démographique que dans ses grandes lignes. Les données chiffrées sûres sont rares dans les sources; il s'agit surtout d'indications de décès. Une estimation très approximative donne pour le flanc nord des Alpes suisses une population de 150'000 à 180'000 habitants vers 1300, soit 7 à 10 habitants par km². Il est moins téméraire d'indiquer des tendances. La croissance commença aux IXe-Xe siècles déjà et subit deux coups d'arrêt: le premier au début du XIe siècle se traduisit par l'abandon de terres et par des villages désertés, tout comme le second, qui fut déclenché au début du XIVe siècle par le refroidissement du climat et dramatiquement aggravé par la peste dès 1349. Cependant, il semble que les épidémies ont souvent été moins violentes, et par conséquent la crise du bas Moyen Age moins forte en montagne qu'en plaine. Certains historiens pensent qu'une surpopulation relative est à l'origine des mouvements migratoires médiévaux et du mercenariat à la fin du Moyen Age.

Structures seigneuriales

Les évêchés de Coire et de Sion furent les entités politiques médiévales les plus stables des Alpes suisses. Tous deux relevaient dès le VIe siècle du royaume franc. Mais ils ne s'affirmèrent comme puissances temporelles que peu à peu, pas avant le VIIIe siècle en Rhétie.

Ce furent les abbayes qui permirent de rattacher les régions alpines aux réseaux politiques et économiques environnants, la plus ancienne étant celle de Saint-Maurice-d'Agaune, fondée au début du VIe siècle par Sigismond, roi des Burgondes et devenue centre spirituel du second royaume de Bourgogne. Poursuivant ce mouvement d'implantation, les Carolingiens fondèrent les plus importantes abbayes de Rhétie: Pfäfers, Disentis et Müstair. Disentis servit d'appui aux Ottoniens, comme église impériale, et aux Hohenstaufen, qui cherchaient la maîtrise des cols. Dans les Alpes centrales, toute une série d'abbayes et de chapitres exerçaient des pouvoirs temporels: Säckingen et Schänis dans le pays de Glaris, Schänis et Einsiedeln à Schwytz, le Fraumünster de Zurich et Wettingen à Uri, Lucerne-Murbach, Beromünster, Muri et Engelberg à Unterwald, Interlaken dans l'Oberland bernois et le chapitre cathédral de Milan au Tessin (Blenio, Léventine, Bedretto, Riviera).

Dès le XIIe siècle, la haute noblesse se mit à édifier des seigneuries dans les Alpes. Les comtes de Savoie, remontant la vallée du Rhône, entrèrent en conflit permanent avec les évêques de Sion. Les comtes de Lenzbourg s'emparèrent de terres (en partie vierges) dans les vallées de Glaris, Schwytz, Obwald, dans la Léventine et le val Blenio; les ducs de Zähringen firent de même dans l'Oberland bernois. A côté de ces puissants dynastes, on peut citer d'autres seigneurs et avoués d'institutions religieuses: les Rapperswil à Schwytz et Uri, les d'Attinghausen à Uri, les Brienz-Ringgenberg-Rarogne à Uri, Obwald, dans l'Oberland bernois et le Haut-Valais, les Strättligen et les Weissenburg dans l'Oberland bernois, les La Tour dans l'Oberland bernois et le Haut-Valais, les comtes de Gruyère dans la haute vallée de la Sarine; les von Vaz et les von Matsch, avoués épiscopaux, les premiers aux environs de Coire et sur le Rhin postérieur, les seconds en Basse-Engadine et dans les vals Müstair et Poschiavo.

Avant la fin du XIIIe siècle, les seigneuries et avoueries les plus importantes entre le Rhin et les Alpes étaient tombées aux mains des Habsbourg, qui ne purent cependant exercer leur souveraineté dans les vallées alpines. Les communautés d'Uri et de Schwytz faisaient valoir l'immédiateté impériale qu'elles avaient obtenue sous les Hohenstaufen. Unterwald avait le même statut, depuis moins longtemps. Vers le milieu du XIVe siècle, les trois Waldstätten arrachèrent le pays de Glaris à la domination autrichienne. La ville de Berne soumit l'Oberland à son contrôle avant le début du XVe siècle et la région d'Aigle en 1475, lors des guerres de Bourgogne.

Aux Grisons, les seigneuries nobles et l'abbaye de Disentis gardèrent leur indépendance jusqu'au milieu du XVe siècle. Parmi ces nobles (les Toggenbourg et leurs successeurs, von Matsch, Werdenberg-Sargans, Werdenberg-Heiligenberg, Rhäzüns, Sax-Misox), quelques-uns adhérèrent vers 1400 à la Ligue grise, qui s'associa dans la seconde moitié du XVe siècle avec la Ligue de la Maison-Dieu et avec la Ligue des Dix-Juridictions (formée sur les anciennes terres des Toggenbourg). Parmi les familles dirigeantes des III Ligues, beaucoup étaient issues de ministériaux des évêques (Planta, Marmels, Schauenstein, Lumbrein) ou étaient d'origine paysanne (Capaul, Sprecher).

Au bas Moyen Age, les communautés de vallée (Talschaft), formes sociales typiquement alpines, entre grande commune et Etat miniature, s'affirmèrent politiquement. Les juridictions grisonnes et les dizains valaisans exerçaient des pouvoirs locaux. La diète des dizains revendiquait des droits encore plus étendus que ceux de la Ligue de la Maison-Dieu, comme celui d'élire l'évêque. Les Hauts-Valaisans abattirent la puissance des barons de La Tour et de Rarogne, chassèrent la noblesse savoyarde du chapitre cathédral de Sion et conquirent le Bas-Valais lors des guerres de Bourgogne.

Les contacts entre les communautés des diverses régions se renforcèrent après 1400. Les Waldstätten (sauf Schwytz) s'allièrent avec les dizains valaisans, notamment pour des campagnes dans le val d'Ossola. Les gens de Suisse centrale firent plusieurs expéditions jusqu'en 1500 pour prendre le contrôle de la Léventine et du val Blenio. La Ligue grise s'allia avec Glaris et s'empara de la Mesolcina à la fin du XVe siècle.

Société et vie quotidienne

Dans les Alpes, les liens de vassalité étaient moins courants qu'en plaine, tout comme la dépendance et le servage. En outre les terres à défricher offraient la liberté à leurs colons. A la fin du Moyen Age, on constate un recul de la réserve seigneuriale. De plus, les redevances féodales furent abolies dans plusieurs régions des Alpes, généralement dans la seconde moitié du XIVe siècle (Oberland bernois, Uri, Obwald). L'organisation économique et sociale ne relevait donc pas du responsable d'un domaine seigneurial utilisant des corvéables, mais d'une communauté de voisinage, association locale des paysans-exploitants, qui réglait l'usage des champs et des communaux (partages, limites, irrigation, exploitation du sol). L'exercice de cette autonomie (communauté) fit que souvent les associations s'institutionnalisèrent en une commune. Cependant la société villageoise n'était pas homogène: la faiblesse du pouvoir seigneurial permettait une individualisation croissante de la propriété, pour peu que le voisinage n'y mît le holà, et les terres étaient de plus en plus partagées, vendues ou hypothéquées. Les bénéficiaires de ce marché foncier occupaient aussi les principales charges publiques. Au bas de l'échelle on trouvait les «habitants» sans droit de bourgeoisie. En Suisse centrale, on observe une mutation dans le groupe dirigeant: aux seigneurs fonciers (d'Attinghausen, Meier von Silenen, Wolfenschiessen, Hunwil) succédèrent les grands éleveurs (Beroldingen, Reding, Wirz, Zelger).

La vie quotidienne se déroulait dans le cadre de la famille, structure première de la société, communauté de production et de consommation vivant sous un même toit. S'il en existait plusieurs formes, le type le plus répandu, au moins au bas Moyen Age, était la famille nucléaire (parents et enfants). La famille-souche était plus rare qu'on ne l'a cru. La famille élargie, accueillant la parenté, était en fait une structure polynucléaire se divisant en plusieurs foyers.

La structure familiale était corrélée avec celle de la propriété et de l'exploitation. La famille éclatait au cours des migrations saisonnières entre village, mayens et alpages. En général les femmes s'occupaient des récoltes (domaine intérieur), les hommes du bétail et du lait (domaine extérieur). Cette répartition des tâches connaissait toutefois de nombreuses exceptions; elle était tout à fait inhabituelle pour les observateurs étrangers, qui en tirèrent au XVe siècle des stéréotypes hostiles aux Suisses.

Christ des jours de fête figurant sur une peinture murale de l'église Saint-Georges à Rhäzüns, vers 1400 (Denkmalpflege Graubünden, Coire; photographie Wolfgang Roelli).
Christ des jours de fête figurant sur une peinture murale de l'église Saint-Georges à Rhäzüns, vers 1400 (Denkmalpflege Graubünden, Coire; photographie Wolfgang Roelli). […]

On retrouve dans les Alpes des caractéristiques qui appartiennent à toutes les sociétés médiévales agraires: un haut degré de violence, une mentalité belliqueuse et indisciplinée, une religiosité ostentatoire, mêlée peut-être de traditions populaires païennes, un goût pour les excès festifs tranchant vivement sur le dur labeur quotidien. Si la plupart des fêtes sont religieuses, on aime les célébrer de façon profane; le carnaval et les fêtes patronales sont l'occasion de grands débordements.

Epoque moderne

Peuplement

Il n'y a guère de différence dans les structures de peuplement des Alpes entre la fin du Moyen Age et 1800, si ce n'est une densification des habitats existants, qui connaissent deux formes principales: les villages très compacts du Valais, du Tessin et des Grisons; une combinaison de villages et d'habitat dispersé dans les vallées du nord.

Tout en passant de 50% à 28% du total suisse, la population des régions alpines s'accrut entre 1500 et 1800, avec de fortes disparités régionales: la croissance est très faible en Valais, aux Grisons, dans l'Oberland bernois et la densité, vers 1800, varie de 9 habitants par km² (Basse-Engadine) à 19 (Oberhasli). Le nord du Tessin (19 habitants au km² dans le val Blenio) et les Alpes centrales (32 à Schwytz) ont connu une croissance moyenne. Glaris (34 habitants au km²) et surtout Appenzell Rhodes-Extérieures (200 habitants au km²) se signalent par une croissance beaucoup plus marquée.

Population de l'espace alpin suisse 1500-1800a

Année1500160017001800
Population289 000390 000408 000466 000
Croissance annuelle 3‰0,5‰1,3‰
En % de la population suisse50433428

a Base de calcul, en % de la surface des cantons: UR, SZ, OW/NW, ZG, GL, AI/AR: 100%; TI: 90%; GR, VS: 80%; BE: 20%; VD: 10%.

Population de l'espace alpin suisse 1500-1800 -  Mattmüller, Markus: «Agricoltura e popolazione nelle Alpi centrali», in: Martinengo, Edoardo (éd.): Le alpi per l'Europa, 1988, p. 65

La croissance démographique relativement faible des régions alpines ne s'explique pas par les épidémies: la peste en particulier, fréquente en Suisse jusqu'en 1668, arrivait généralement par Genève ou Bâle et ne parvenait pas toujours dans les vallées écartées. Et la Suisse centrale et le Tessin bénéficiaient des mesures sanitaires très strictes des villes italiennes. En revanche, la production de céréales indigènes était insuffisante; en cas de renchérissement des grains importés, il y avait disette et surmortalité. La présence de troupes d'occupation et le passage d'armées étrangères entre 1798 et 1803 eurent les mêmes conséquences.

Quand la terre ne pouvait nourrir toutes les bouches, il ne restait qu'à émigrer. On sait que 39% des natifs d'Einsiedeln vivaient durablement hors de la commune dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, cette proportion dépassant 64% dans les Rhodes-Extérieures et atteignant 75% à Kerns. Les émigrants gagnaient une commune voisine, une zone où se développait l'industrie à domicile, plus rarement un autre canton ou l'étranger. Dans ce dernier cas, ils privilégiaient l'Europe, jusqu'en Russie; très peu partaient outre-mer. Le travail saisonnier poussait notamment Tessinois et Grisons vers l'Italie du Nord, les jeunes Grisons vers l'Allemagne du Sud (Schwabengängerei, encore pratiquée au XIXe s.). Le service étranger ne recrutait guère plus dans les Alpes qu'en plaine: selon des estimations prudentes, il enrôlait chaque année en Suisse 1,4% des hommes susceptibles de l'être; or au XVIIIe siècle, à Uri, ce chiffre était de 1,5%. La moitié des mercenaires revenant au pays, il ne faut pas surestimer l'influence démographique du service étranger, qui était surtout une soupape de sûreté en temps de crise.

Vie politique

L'espace alpin sous l'Ancien Régime est caractérisé par diverses formes d'organisation politique, qui ne manquent pas d'influencer la vie sociale et économique. Au centre et à l'est, les cantons campagnards à landsgemeinde ont des sujets, non à l'intérieur, mais à l'extérieur, surtout au Tessin. A l'est la République des III Ligues réunit une cinquantaine de juridictions, chacune avec son organisation particulière. Les sept dizains du Valais ont le Bas-Valais pour sujet. L'Oberland, sujet de Berne, se répartit entre les bailliages d'Oberhasli (qui avait eu l'immédiateté impériale et joui de certains privilèges), Interlaken, Frutigen, Niedersimmental, Obersimmental et Gessenay (avec le Pays-d'Enhaut). Des baillis fribourgeois gouvernent la Gruyère. Partout les entités locales (communes, paroisses) se font plus nombreuses et gagnent en autonomie. Elles procèdent au rachat de droits féodaux et développent leurs institutions. Dans les vallées latérales, des filiales ou des fondations nouvelles se détachent des églises-mères. Tout cela montre que la population qui s'accroît s'affirme aussi politiquement.

Société et vie quotidienne

L'essor d'une économie de marché fondée sur l'élevage et celui de grandes exploitations à haut niveau d'investissement (les capitaux provenant en partie de magistrats et d'aristocrates qui les plaçaient avec profit dans l'économie alpestre) s'accompagna de l'émergence d'une classe de paysans riches, de marchands de bétail et de fromage, par exemple dans le pays de Glaris, le Gessenay et en Gruyère. Les ressources collectives (communaux) étaient aux mains des anciennes familles; les nouveaux arrivés en étaient exclus ou presque. Ces limitations avaient aussi pour but de maintenir un équilibre entre ressources et population.

Les habitudes alimentaires différaient selon les zones agraires: tantôt dominaient le pain et les bouillies (zone de culture des céréales), tantôt le lait, le fromage, le beurre, le sérac (zone d'élevage). A cela s'ajoutaient les légumes (choux, légumineuses, bettes), les fruits séchés et dès le XVIIIe siècle la pomme de terre. La viande était plus rare qu'au bas Moyen Age. Le pain n'était pas courant, on le réservait aux malades. La chasse et la cueillette des petits fruits permettaient de varier les menus. Une parcelle de 300 m² et cinq ou six vaches suffisaient en temps normal pour nourrir un ménage de grandeur moyenne (jusqu'à six personnes), mais non pour surmonter les crises (mauvaise récolte, épizootie, cherté). Le régime à base de produits laitiers, trop riche en protéines et en lipides, présentait des carences en vitamines B et en fer.

Vue générale de Loèche-les-Bains en 1786. Aquarelle d'Abraham Samuel Fischer (Bibliothèque nationale suisse, Berne, Collection Gugelmann).
Vue générale de Loèche-les-Bains en 1786. Aquarelle d'Abraham Samuel Fischer (Bibliothèque nationale suisse, Berne, Collection Gugelmann). […]

La famille nucléaire est la plus répandue, avec en moyenne 3,5 à 5 personnes. Seuls les propriétaires aisés ont des domestiques en permanence. Il est plus courant d'engager un journalier ou un artisan pour un travail déterminé. En bien des endroits, la coopération entre parents et voisins est de rigueur (travaux de construction, transport du foin à Uri, labours et laiterie hivernale en Basse-Engadine par exemple). Partout il existe, en complément des exploitations familiales, des formes communautaires d'organisation du travail et des ressources (transports, alpages, communaux). Le partage des tâches entre les sexes se heurtait au fait qu'au cours du nomadisme saisonnier entre village, mayens et alpages, hommes et femmes vivaient séparés durant de longues périodes, jusqu'à huit mois dans la Bregaglia, et devaient donc s'occuper de tout, travaux agricoles comme les regains ou la fabrication du fromage et tâches ménagères. La diversité des structures sociales reflétait celle des conditions naturelles et des évolutions historiques régionales.

XIXe-XXe siècles

Peuplement

Le développement des moyens de transport et du tourisme, voire l'industrialisation ont profondément modifié la structure du peuplement aux XIXe et XXe siècles. La concentration du trafic ferroviaire puis routier sur quelques grands axes comme le Gothard et les vallées du Rhin et du Rhône provoqua l'essor, parfois éphémère, des localités riveraines; et l'industrie, attirant la main-d'œuvre, celui des centres urbains, comme Coire, Sion, Sierre et Brigue-Glis. Le tourisme fit naître des stations en des endroits pratiquement vierges, comme Verbier, Montana ou Lenzerheide, et favorisa au XXe siècle la construction de résidences secondaires, tandis que des localités écartées étaient abandonnées, par exemple dans le Safiental ou les vallées latérales de la Maggia.

Les grands travaux de correction des eaux de la Linth, de la Reuss, du Rhin, du Rhône, de l'Aar et de nombreux torrents, les ouvrages de protection contre les avalanches et d'amples améliorations foncières ont permis de stabiliser les terres cultivables, voire d'en gagner de nouvelles, de limiter les dégâts dus aux forces de la nature, de faciliter l'existence et d'accroître les surfaces constructibles.

Ouvrages de protection contre les avalanches à Fusio. Photographie de Dany Gignoux (Bibliothèque de Genève).
Ouvrages de protection contre les avalanches à Fusio. Photographie de Dany Gignoux (Bibliothèque de Genève).

Grâce à une forte natalité, supérieure même à la moyenne jusque dans les années 1960, la population des régions alpines s'est accrue depuis 1800, mais pas autant que celle du Plateau qui a presque quadruplé. Cette différence vient des mouvements migratoires, dont le solde est constamment négatif pour les cantons de montagne. Le service étranger ne jouait plus guère de rôle au XIXe siècle, même avant son interdiction (1859), et les émigrants étaient plutôt attirés, soit par le Plateau suisse qui s'industrialisait, soit par l'étranger, surtout les pays d'outre-mer, avec des pointes en 1816-1817, 1850-1855 et 1880-1885. Des colonies suisses apparurent dans les deux Amériques, comme New Glarus aux Etats-Unis ou San Jeronimo Norte en Argentine. L'Europe gardait son attrait pour les migrations saisonnières traditionnelles des Grisons et des Tessinois. De nombreux fromagers de l'Oberland bernois partirent pour la Russie, les Fribourgeois préférant la France. L'émigration se poursuivit après 1960, malgré la haute conjoncture, faute d'emplois qualifiés pour les jeunes bien formés.

Population de l'espace alpin suisse 1800-1990a

Année18001850190019501990
Population375 641483 829587 492732 7461 003 898
Indice100128,8156,4195,1267,3
En % de la population suisse22,620,217,715,514,6

a UR, SZ, OW/NW, GL, AI/AR, GR, VS; districts de l'Oberland bernois: Oberhasli, Interlaken, Frutigen, Niedersimmental, Obersimmental et Saanen; TI sans les districts de Lugano et Mendrisio; districts vaudois du Pays-d'Enhaut et d'Aigle.

Population de l'espace alpin suisse 1800-1990 -  Office fédéral de la statistique

Le solde migratoire aurait été encore plus défavorable sans l'arrivée d'étrangers et de Confédérés attirés par la construction des réseaux de transports modernes, par le tourisme, par les entreprises électriques et industrielles. L'évolution démographique diffère selon les régions. Les chefs-lieux de canton et les centres régionaux (comme Sion, Brigue, Coire) et les régions industrielles ou touristiques (comme l'Unterland de Glaris, les vallées de la Reuss, de Saas, de Saint-Nicolas, le district d'Interlaken, le Schanfigg, le Prättigau) présentent une croissance continue. Les vallées pratiquant l'agriculture traditionnelle, le travail à domicile et les activités de transport ont stagné ou même, dans la seconde moitié du XIXe siècle et après 1950, régressé, pour diverses raisons: conditions d'existence difficiles des paysans de montagne, qui préfèrent trouver un emploi dans une région plus prospère; passage à une culture extensive, sinon à la jachère (par exemple dans les vals Blenio et Verzasca); recul du travail à domicile et nouveaux moyens de transport (par exemple en Appenzell, dans la vallée du Rhin antérieur, dans le Meiental uranais); abandon des cultures en certains endroits à la suite de catastrophes naturelles (inondations, avalanches, éboulements), doublées de difficultés d'écoulement de la production entraînant un endettement excessif (par exemple Elm).

Vie politique

De grands changements intervinrent sous la République helvétique et la Médiation. Tous les pays sujets furent émancipés en 1798. Les nouveaux cantons du Tessin, des Grisons et de Vaud entrèrent dans la Confédération en 1803, celui du Valais en 1815. Dans les anciens cantons, les oligarques de l'Ancien Régime reprirent le pouvoir sous la Restauration, mais avec une influence moindre, car ils avaient perdu leurs principales ressources: le service étranger et les bailliages. Si le mouvement de la Régénération toucha peu les cantons alpins (le Tessin en 1830, Glaris en 1836), la Constitution fédérale de 1848 y renouvela comme ailleurs les bases de la vie sociale et économique. Dans beaucoup d'endroits cependant, par exemple à Uri, Schwytz et au Tessin, les bourgeois ayants droit transférèrent la propriété des biens communaux (prés, forêts, alpages, etc.) à des corporations d'usagers, pour les soustraire à la convoitise du canton et des communes et en interdire l'usage aux nouveaux arrivés.

La Confédération se penche avec plus de sollicitude sur les problèmes économiques et sociaux des régions alpines depuis les années 1920. Elle mène des enquêtes et prend des mesures afin d'améliorer les infrastructures et d'encourager l'économie et la formation. La motion du conseiller national Georg Baumberger, en 1926, déboucha sur une meilleure législation agricole. En 1943 furent créés le Groupement suisse pour les régions de montagne et l'Aide suisse aux montagnards (ASM). En 1971 parut le rapport du Conseil fédéral sur le développement économique des régions de montagne, dont procéda en 1974 la loi fédérale sur l'aide aux investissements dans les régions de montagne (LIM). Plus récemment, les cantons des Grisons, du Valais, d'Uri et du Tessin se sont mis à coopérer pour élaborer une politique en fait de ressources hydrauliques et défendre leurs intérêts face à la Confédération et aux compagnies d'électricité.

Société et vie quotidienne

La stagnation, voire le déclin, de l'économie et de la vie sociale eut pour corollaire dans certaines vallées, en Suisse centrale et au Tessin notamment, une alimentation trop peu variée, avec des carences en vitamines et en fer. L'état sanitaire de la population était mauvais, d'autant plus que l'alcoolisme faisait des ravages. Les mesures de la Confédération améliorèrent les choses. Le développement inégal des réseaux de transport et le fossé économique et culturel toujours plus profond entre les centres et les régions marginales influèrent sur les structures sociales: l'émigration de nombreuses jeunes femmes fit augmenter la proportion des célibataires dans la paysannerie de montagne. Les domaines s'agrandirent (10 ha en moyenne en 1990), exploités de plus en plus à titre accessoire (40% à Uri en 1993), l'économie forestière, la construction, le tourisme ou l'industrie offrant des activités complémentaires. Le Valais et Uri eurent de nombreux paysans-ouvriers, domiciliés souvent fort loin de l'usine. Dans une paysannerie de mentalité généralement conservatrice, ce sont ici plutôt les hommes (Schächental), là plutôt les femmes (Lötschental) qui se sont faits les gardiens des traditions. Mais la plupart des personnes actives exclusivement dans les secteurs secondaire et tertiaire vivent dans les centres industriels et touristiques et ne se distinguent guère des habitants du Plateau.

Histoire économique

L'agriculture au Moyen Age

L'agriculture des Alpes suisses fut longtemps une économie de subsistance, mais vers 1300 à l'ouest et au centre, un peu plus tard à l'est, elle entra dans un système d'échanges avec les régions préalpines, notamment les villes lombardes. Ainsi les vallées du nord des Alpes se concentrèrent sur l'élevage. En échange de céréales, elles livraient à des foires spécialisées, par exemple Arona (I), Bellinzone, Côme (I), Varèse (I) au sud ou Villeneuve (VD) à l'ouest, et sur de nombreux marchés plus petits au nord, du bétail de boucherie ou reproducteur, des chevaux et des produits laitiers (commerce de bétail).

Ce phénomène est beaucoup moins marqué dans les vallées intérieures: le climat sec y favorisait les terres ouvertes jusqu'à haute altitude et non pas les prairies, dont l'exploitation dépendait souvent d'une irrigation qui, comme les bisses du Valais central, exigeait d'énormes efforts. Dans ces régions, on n'élevait que les animaux dont on avait besoin pour l'engrais et pour tirer la charrue (du moins dans les parcelles accessibles: ailleurs on labourait à la houe).

Les types d'exploitation se reflétaient dans la distribution des terres. Là où dominait l'élevage, les parcelles étaient relativement grandes; des fermes isolées disposaient de domaines d'un seul tenant. Là où se pratiquait l'économie mixte (élevage et culture), les terres étaient beaucoup plus morcelées, de sorte qu'il fallait coordonner les travaux. Les défrichements médiévaux avaient augmenté les surfaces labourées, mais au bas Moyen Age beaucoup de champs furent convertis en prairies, à cause de la prédominance de l'élevage. Ce changement prit notamment la forme de l'assolement sans jachère, qui s'imposa au nord: certains champs sont cultivés sans interruption durant deux à cinq ans, puis servent de prairie trois à dix ans, avant d'être remis en culture pour un nouveau cycle; ainsi le sol se régénère sans jachère (rotation culturale). Dans les vallées intérieures (Valais, Engadine, Tessin), on pratiquait la culture continue: champs de céréales chaque année, sans interruption, avec même deux récoltes au sud du Tessin. Là où la culture continue et l'assolement sans jachère coexistaient, il semble que le premier système régnait sur les terres de culture intensive proches du village (infield), soumises à une alternance décidée par la communauté, et le second, plus flexible, dans les zones plus éloignées (outfield). Le système de l'assolement triennal est attesté dans les marges de la zone alpine, quant au Valais, il a connu l'assolement biennal dans la région de Sion dès le XIIIe siècle.

La conversion à l'élevage fut d'abord une réponse à la crise démographique du bas Moyen Age: cette activité demande moins de bras que la culture des champs; mais elle exige plus de capital et promet des gains plus élevés. Elle offrait aux bourgeois des villes et aux couvents la possibilité d'investir dans des troupeaux loués ensuite à des bergers (bail à cheptel). Les gros propriétaires pouvaient se décharger en confiant une partie de leurs bêtes à de petites exploitations pour l'estivage. Mais les communes et les corporations d'alpage ne voyaient pas ces pratiques d'un bon œil.

L'annonce aux bergers. Peinture murale dans l'église Saint-Georges à Rhäzüns, vers 1400 (Denkmalpflege Graubünden, Coire).
L'annonce aux bergers. Peinture murale dans l'église Saint-Georges à Rhäzüns, vers 1400 (Denkmalpflege Graubünden, Coire). […]

L'essor de l'élevage au bas Moyen Age fut celui du gros bétail, auparavant minoritaire même si les couvents l'encourageaient, par exemple l'abbaye d'Einsiedeln, grâce à laquelle les Schwytzois eurent une longueur d'avance en ce domaine. La prédominance du petit puis du gros bétail est liée à l'économie urbaine: la prospérité puis le déclin de l'industrie drapière de Fribourg fit que les régions avoisinantes pratiquèrent l'élevage intensif des ovins au XIVe siècle et passèrent à l'économie laitière au XVe. Il en alla autrement en Engadine où le petit bétail domina jusqu'à la fin du bas Moyen Age.

La croissance du cheptel bovin demandait une plus grosse production de foin. Chaque fermier en emmagasinait dans des fenils disposés à diverses altitudes: ce système se répandit au bas Moyen Age, particulièrement en Valais central, où beaucoup de familles exploitaient des terres qui s'étageaient sur quelque 2000 m de dénivellation, entre les vignes de la plaine du Rhône et les plus hauts alpages (à environ 2500 m d'altitude). Plus l'on s'élevait, plus on se limitait à une pâture extensive. L'exploitation des alpages supérieurs débute généralement aux XIe-XIIIe siècles au plus tôt. Aux étages intermédiaires, on défricha des mayens: pâturages de printemps privés ou communaux, habitations temporaires des vachers (armailli).

Les déplacements saisonniers des paysans de montagne
Les déplacements saisonniers des paysans de montagne […]

Il existait diverses formes de propriété et d'exploitation dans l'économie alpestre. L'évolution typique voit les exploitations familiales s'intégrer dans des associations plus vastes, en même temps que les villages se densifient. Beaucoup d'alpages furent d'abord concédés par des seigneurs fonciers à des groupes d'usagers qui peu à peu devinrent des corporations autonomes. En outre, il y avait des alpages appartenant aux communes, en particulier aux Grisons et à Glaris, souvent exploités collectivement. Quant à la fabrication du fromage, elle s'organisait en général collectivement dans les vallées intérieures, mais individuellement au nord. Les règlements d'exploitation se firent toujours plus précis. Le plus ancien que nous connaissons (XIIe s.) se trouve dans les Acta Murensia: il fixe pour les alpages de l'abbaye de Muri, très dispersés en Suisse centrale, les droits d'usage, les taxes et le mode de fabrication des produits laitiers (droits d'alpage).

La concurrence entre usagers se fit de plus en plus rude; leurs querelles prirent souvent une allure de conflits territoriaux quand les alpages jouxtaient les frontières, par exemple entre Schwytz, Uri et Einsiedeln (Marchenstreit), Engelberg ou Glaris. Des conflits liés aux droits d'usage éclataient aussi constamment, à propos de limites de pâturages, de droits de pâture temporaire, de droits de passage. Il y avait en outre des risques de surexploitation à l'intérieur d'un même alpage; c'est pourquoi les corporations répartissaient un nombre limité de droits de vaches ou «pâquiers» (allemand Stoss), ou interdisaient l'estivage de bêtes que leurs membres n'avaient pas nourries durant l'hiver avec leur propre foin.

L'estivage d'un nombre de têtes croissant en haute montagne imposait d'utiliser aussi les biens communaux dans la vallée afin de produire du fourrage pour l'hiver. C'est pourquoi les communautés louaient, vendaient ou même attribuaient par tirage au sort des parcelles à tels de leurs membres; ces terrains ainsi privatisés et clos (enclosures) restaient cependant soumis à certains droits d'usage collectifs, en particulier la vaine pâture au printemps et en automne.

Parmi les cultures spéciales, la plus importante était la vigne, dans la partie inférieure des vallées du sud des Alpes, dans le Valais central et le Bas-Valais, et dans une moindre mesure aux environs de Coire et au bord du lac des Quatre-Cantons. Les jardins donnaient des fruits, des légumes et des plantes textiles. Les arbres fruitiers des communaux étaient parfois propriété privée.

L'artisanat campagnard, en premier lieu les activités liées à la préparation des denrées alimentaires (moulins, fours, pressoirs et boucheries, sans oublier les auberges), était encore très lié à l'organisation domaniale, donc soumis au ban seigneurial. Au bas Moyen Age, les moulins à céréales étaient très répandus, parfois doublés d'une scie, d'un moulin pour broyer le chanvre, décortiquer l'orge, piler les os ou fouler les draps. Les forges étaient nombreuses. Les montagnards s'assuraient des gains accessoires dans les mines et les transports (qui deviennent des métiers à part entière au bas Moyen Age), la récolte de la poix et la production de charbon de bois (voir chapitres mines et transports).

L'agriculture à l'époque moderne

L'agriculture reste l'activité dominante, complétée peu à peu, dès le XVIIe siècle, par le travail à domicile. Vers 1800 on distingue nettement trois zones agraires: les vallées intérieures, qui ont une production diversifiée destinée surtout à leur propre usage; les vallées du nord des Alpes, spécialisées dans l'élevage et l'économie laitière pour des marchés extérieurs; les collines des Préalpes, qui pratiquent à la fois les labours et l'élevage.

Les structures de la propriété ont souvent eu un impact déterminant sur l'évolution économique. Là où dominait la propriété privée (Glaris, Appenzell, Schwytz, Berne et Fribourg par exemple), les gros paysans, les vachers riches (alpages) et même des entrepreneurs de la protoindustrie pouvaient investir et introduire des innovations. En revanche là où régnait la propriété collective, corporative ou communale (Grisons, Valais, Uri), une agriculture traditionnelle et conservatrice s'est maintenue.

Commerce né au Moyen Age dans les Alpes, puis étendu aux territoires de Lucerne, Zoug, Zurich, Saint-Gall, Berne, des Freie Ämter, des Préalpes fribourgeoises et vaudoises, les exportations de bétail vers le sud devinrent une solide tradition au XVIe siècle, s'accrurent pendant la guerre de Trente Ans puis se maintinrent au même niveau, malgré des interruptions dues aux épizooties et aux tensions politiques. On estime qu'au XVIIIe siècle 6000 à 10'000 têtes de gros bétail se vendaient chaque année sur les seuls marchés du Tessin.

L'économie laitière gagna en importance dès le XVIIe siècle. De nouvelles sortes de fromages (gruyère, sbrinz: pâtes dures de longue conservation, idéales pour l'exportation) apparurent, d'abord en Gruyère, au Pays-d'Enhaut et dans le Gessenay, où les champs et prés reculèrent fortement aux XVIIe-XVIIIe siècles devant les pâturages. La production de fromage augmenta aussi à Unterwald; Urseren fit connaître son fromage gras. Les meules partaient pour le Plateau suisse, l'Italie du Nord et même pour Marseille (par le Léman et le Rhône), où les armateurs les appréciaient. En moyenne annuelle, 742 t de fromage passaient le Gothard entre 1720 et 1730, 1085 t entre 1790 et 1797. La concurrence du Plateau dans ce domaine commença à devenir sérieuse dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Le climat frais et humide du nord des Alpes convenait bien à la pomme de terre, qui fut d'abord introduite, au début du XVIIIe siècle, dans les vallées spécialisées dans l'élevage. Dans cette zone qui ignorait l'assolement obligatoire et où les dîmes étaient abolies depuis longtemps, cette nouveauté rencontra moins d'opposition que sur le Plateau et s'imposa rapidement. Substitut bienvenu aux céréales dans une région qui devait les importer, la pomme de terre s'y cultivait partout vers 1800, tandis que les vallées intérieures l'acclimatèrent plus tardivement.

Au XVIIe et surtout au XVIIIe siècle, l'industrie textile à domicile (laine, soie, coton) se répandit dans les Alpes et Préalpes de Suisse orientale et centrale, à partir de Saint-Gall et de Zurich. Elle prit même le pas sur l'agriculture en Appenzell Rhodes-Extérieures et à Glaris, où l'on abandonna presque la culture des champs, qui prenait trop de temps; il n'y eut plus qu'une production laitière destinée surtout à la consommation locale, des domaines exploités à titre accessoire, avec quelques vaches et, à Glaris, des arbres fruitiers.

L'agriculture aux XIXe et XXe siècles

Les cantons de montagne connurent la même évolution que les autres: recul continu du secteur primaire, essor du secondaire puis, dès les années 1960, du tertiaire.

Les agriculteurs représentaient vers 1870 entre 74% (Valais) et 19% (Glaris) de la population des huit cantons alpins, mais en 1980 entre 21,6% (Appenzell Rhodes-Intérieures) et 1,6% (Tessin). Ce n'est pas seulement leur part relative qui diminue, mais leur nombre absolu: entre 1,1% de moins (Nidwald) et 17,9% (Tessin) de 1870 à 1910, période durant laquelle on n'enregistre une augmentation qu'en Appenzell Rhodes-Intérieures (14,7%) et en Valais (4,5%). Entre 1910 et 1980, la chute fut encore plus rapide: de 160'000 à 43'000 personnes, soit 73% en moyenne (92% au Tessin, 45% en Appenzell Rhodes-Intérieures). Les paysans de montagne représentaient 15% de la population agricole suisse en 1980.

Travaux des champs dans le val Müstair vers 1920 (Bibliothèque nationale suisse, Berne, Archives fédérales des monuments historiques, Collection Wehrli).
Travaux des champs dans le val Müstair vers 1920 (Bibliothèque nationale suisse, Berne, Archives fédérales des monuments historiques, Collection Wehrli). […]

Après 1800, les diverses zones agraires tendirent à perdre peu à peu leurs caractères particuliers. En Valais, au Tessin et aux Grisons, où 50 à 70% des terres agricoles étaient encore consacrées aux céréales vers 1905 (15'805 ha), la surface des champs labourés se réduisit ensuite de plus de 46%, passant à 8488 ha en 1980. Mais elle représentait encore 7,9% du total, alors qu'elle n'atteignait pas 1% dans les vallées du nord des Alpes. L'agriculture de la zone intérieure restait donc différente de celle de la zone nord, mais elle n'assurait plus nulle part l'autosubsistance. L'industrialisation a brouillé les frontières entre les régions d'élevage et celles de travail à domicile.

La surface agricole utile (cultures et alpages) de la Suisse a peu varié depuis 1800, car les améliorations foncières ont permis de compenser en partie les pertes dues aux constructions. Le Tessin est la seule exception, avec plus de 35% de diminution entre 1905 et 1980. Les cantons de montagne comptaient 339'482 têtes de gros bétail (bovins, chevaux) en 1866, soit 28% du total suisse, et 368'562 (soit 14%) en 1978, mais cela cache des différences régionales: forte croissance à Unterwald et Appenzell Rhodes-Intérieures, baisse aux Grisons, en Valais et au Tessin, croissance modérée ailleurs.

Les exportations de bétail et de produits laitiers des Alpes vers la Lombardie s'accrurent jusque vers 1850; elles passaient en grande partie par le col du Gothard. L'ouverture du chemin de fer en 1882 permit d'étendre ce commerce aux autres régions du pays, au moment même où celles-ci augmentaient leur cheptel de façon bien plus dynamique que les régions alpines, après avoir libéralisé l'agriculture, partagé les communaux et adopté des méthodes de culture plus intensives (1'791'179 têtes de gros bétail en 1978, 112% de plus qu'en 1866, regroupant 86% du troupeau suisse). L'image traditionnelle opposant les laboureurs du Plateau et les bergers des Alpes devint de moins en moins pertinente.

La concurrence entre fromageries d'alpage et de plaine, apparue à la fin du XVIIIe siècle, s'aviva dans la première moitié du XIXe siècle. D'autre part un réseau dense de coopératives fromagères s'établit sur le Plateau, d'abord en Suisse romande; il se prolongea dans les Alpes après 1850 et se donna au XXe siècle une forte organisation. Suivant cet exemple, de nombreuses associations se fondèrent dans le domaine de l'agriculture de montagne: la Société suisse d'économie alpestre en 1863; les sociétés d'agriculture cantonales entre 1844 (Grisons) et 1908, coiffées par la Société suisse créée en 1863. Au XXe siècle naquirent beaucoup d'organisations de soutien aux régions de montagne. Le premier canton alpin à ouvrir une école d'agriculture fut celui des Grisons en 1896; suivirent le Tessin en 1915, Glaris en 1918, le Valais en 1920, Schwytz en 1925, Uri en 1938 et Obwald en 1957. Cinq écoles pour les jeunes paysannes se sont ouvertes depuis 1924.

Depuis qu'elle a promulgué son arrêté sur l'encouragement à l'agriculture en 1884, la Confédération s'intéresse de plus en plus à l'agriculture de montagne (politique agricole). Dans sa révision de 1929, la loi sur l'agriculture prévoyait un soutien particulier aux régions de montagne et aux petits paysans, pour enrayer le dépeuplement des vallées, grâce à un ensemble de mesures constamment élargies et améliorées: encouragement à la vente du bétail, crédits de désendettement et d'investissement, allocations familiales et pour enfant, subventions en faveur de la mécanisation (dès les années 1950), de l'estivage des bovins, de l'amélioration du logement, contributions à la surface. Ces mesures, tout comme la construction de routes et de transports par câbles, technicisèrent le travail des paysans de montagne, les amenèrent à augmenter la taille de leurs exploitations et modifièrent leur genre de vie et leur mentalité.

Bien que la Confédération élabore sa politique agricole avec l'appui des cantons, son poids financier lui donne de plus en plus d'influence. Malgré les mesures de soutien, le revenu des paysans de montagne n'atteignait entre 1960 et 1980 que 50 à 70% du montant de référence («revenu paritaire»), contre 80 à 110% pour les exploitations de plaine. A la fin du XXe siècle, la tendance est d'assurer aux paysans de montagne un revenu de base indépendant de la production, grâce à des paiements directs liés à des prescriptions écologiques, et de les dédommager ainsi des services rendus à l'économie, tel l'entretien du paysage. L'encouragement à l'agriculture et à la sylviculture alpestres relève de plus en plus de la coopération internationale, par exemple dans le cadre de la Communauté de travail des pays alpins: cet organisme fondé en 1972, auquel appartiennent des Länder allemands et autrichiens, des régions et provinces autonomes italiennes ainsi que les cantons des Grisons, de Saint-Gall et du Tessin, traite des problèmes transfrontaliers des Alpes centrales et orientales. Il a un pendant dans la Communauté de travail des Alpes occidentales (Cotrao), fondée en 1982, qui réunit des régions françaises et italiennes ainsi que les cantons de Genève, de Vaud et du Valais. Les Etats signataires de la convention des Alpes de 1991 (Autriche, Suisse, Italie, France, Allemagne, Slovénie, Liechtenstein et Monaco) s'engagent à promouvoir une agriculture de montagne respectueuse des sites et de l'environnement et à dédommager les paysans pour leurs prestations d'intérêt général.

Exploitation des forêts

Le rôle protecteur des forêts contre les avalanches, les inondations et les chutes de pierre a souvent été mis en avant. Dès le Moyen Age, il a contribué à justifier les mesures législatives et juridiques prises pour protéger la forêt et en régler l'usage. On trouve des lettres de mise à ban (forêt à ban) parmi les plus anciens documents relatifs aux régions alpines. De plus en plus nombreuses à partir du XIVe siècle, elles visaient la conservation de forêts protégeant villages et routes, voire champs et prés, tout en fixant des limites aux diverses formes d'exploitation, de façon à assurer l'approvisionnement en bois d'ayants droit plus ou moins nombreux. Le maintien difficile de l'équilibre entre conservation et exploitation dans le cadre du droit public fit apparaître dans certaines vallées des forêts privées (par exemple à Davos). L'existence des forêts à ban a fait naître le mythe d'une relation prévoyante, pleine de sagesse et de respect, entre l'homme et son environnement. Mais cela ne correspond pas à la réalité du Moyen Age ni de l'époque moderne, comme le montrent les écrits des pionniers de la sylviculture, vers 1800.

Beaucoup de forêts des Alpes ont fourni de l'énergie et des matières premières à l'artisanat puis à l'industrie naissante, à d'assez grandes distances pour peu que les transports par eau fussent favorables (industrie du bois). Par exemple en Basse-Engadine, dans la région de l'actuel Parc national, le bois était exploité au Moyen Age classique et au bas Moyen Age pour les mines de Buffalora, Il Fuorn ou S-charl et dès le milieu du XVIIe siècle pour les salines de Hall au Tyrol. L'Inn servait au flottage dans ce cas, mais presque toutes les rivières suisses ont été utilisées de même, parfois jusqu'au XIXe siècle. Le rôle des forêts alpines dans l'approvisionnement du pays et dans les exportations dépend de l'évolution des techniques, soit dans les moyens de transport, soit dans l'industrie (le charbon, le pétrole et l'électricité substitués au bois comme sources d'énergie).

Glissoir à bois (appelé «sovenda» au Tessin) utilisé pour le charriage du bois dans la Léventine au XVIIIe siècle. Eau-forte de Johann Rudolf Schellenberg, tirée de l'ouvrage de Hans Rudolf Schinz Beyträge zur nähern Kenntniss des Schweizerlandes, 1784 (Zentralbibliothek Zürich).
Glissoir à bois (appelé «sovenda» au Tessin) utilisé pour le charriage du bois dans la Léventine au XVIIIsiècle. Eau-forte de Johann Rudolf Schellenbergtirée de l'ouvrage de Hans Rudolf Schinz Beyträge zur nähern Kenntniss des Schweizerlandes, 1784 (Zentralbibliothek Zürich).

Il y avait de grandes différences selon les régions dans la manière dont les populations montagnardes elles-mêmes s'approvisionnaient en bois (de feu, de construction, etc.) et en produits de la forêt tels que poix, litière de feuilles, baies ou champignons. A la limite supérieure de la forêt, par exemple dans la vallée d'Avers, le bois était rare et précieux. Dans la vallée d'Urseren, on aimait mieux importer péniblement du bois par les Schöllenen que de reboiser des prairies. Les gens de Grindelwald raisonnaient de même. Dans les régions pratiquant l'exportation du bois à grande échelle, cette activité, encouragée par les autorités qui en tiraient profit, entrait en concurrence avec les besoins des indigènes et nuisait aux autres fonctions de la forêt.

L'exploitation continue et irréfléchie des forêts alpines et les défrichements en vue de gagner des terres agricoles avaient conduit au XIXe siècle à une déforestation où l'on vit de plus en plus la cause des fréquentes inondations. Les progrès de la science, balisés par de nombreux travaux d'experts (Charles Lardy, Xavier Marchand, Elias Landolt) préparèrent les esprits à une stricte protection des forêts de montagne, telle que la réalisa la loi fédérale de 1876 sur la haute surveillance des forêts (lois sur les forêts). Ce texte, qui ne s'appliquait qu'à la «haute montagne» jusqu'en 1898, limitait la pâture du gros et du petit bétail dans les forêts; il prévoyait d'autre part de nouvelles plantations protectrices dans les zones hydrologiquement sensibles, comme les flysch préalpins. La politique de conservation ainsi introduite et, au même moment, le recul de la demande de bois ont permis d'accroître la surface forestière en Suisse, notamment sur le flanc sud des Alpes. Selon le premier inventaire forestier suisse (1982-1986), 32% de cette surface se trouvaient dans les Alpes. Parmi les forêts alpines, 57% étaient des futaies (au sens technique du mot), 13% des futaies d'aspect jardiné. Le reste consistait en peuplements clairsemés et en buissons. L'essence dominante était l'épicéa (plus de 50%), suivi du mélèze, du pin, du sapin blanc et de l'arolle; les feuillus sont surtout des hêtres, des érables et des frênes. Porté à la connaissance du public dans les années 1980, l'état de santé de plus en plus mauvais de la forêt, même dans les Alpes et en particulier dans les vallées intérieures, amena la Confédération à lancer en 1983 le programme Sanasilva (mesures de surveillance et de conservation, rapports annuels).

Mines, industrie, énergie

Mines

Vue de la saline de Bévieux dans le mandement de Bex. Gravure des Tableaux topographiques, pittoresques, [...] de la Suisse, 1780-1788, de Beat Fidel Zurlauben (Collection privée).
Vue de la saline de Bévieux dans le mandement de Bex. Gravure des Tableaux topographiques, pittoresques, [...] de la Suisse, 1780-1788, de Beat Fidel Zurlauben (Collection privée). […]

Les Alpes recèlent diverses ressources minières: métaux précieux, fer, charbon, sel, cristaux de roche. L'exploitation des mines est avec la chasse l'une des plus anciennes activités non agricoles dans les Alpes. Elle a été plus ou moins intense d'époque en époque, selon l'état des connaissances et des techniques, au gré de la demande et en fonction de critères de rentabilité, lesquels se sont révélés le plus souvent défavorables vu la pauvreté des filons. Elle a connu une relative prospérité à la fin du XVe siècle, au début du XVIIe et dans une moindre mesure au XVIIIe, pour cesser presque complètement aux XIXe et XXsiècles.

Les sites les plus importants d'exploitation minière

RégionLieuMatérielEpoque de la première attestation ou durée de l'exploitation
canton de Saint-GallGonzenferfin du Ier s. av. J.-C. au moins; jusqu'en 1966
Grisonsval S-charl et le val Müstairfer, argentdébut du XIVe s.
 val Medel et Trunfermilieu du XIVe s.
 Davosargent, plomb, zincfin du XVe s.
 vallée de l'Albulafer, métaux non ferreuxXVIe s.
 Schamsfer, argentXVIIe s.
Suisse centraleMelchtalferXVe-XVIIe s.
 Maderanertalfer, argentXVe-XVIIIe s.
 Entlebuchorpaillage, ferXVe-XVIIIe s.
Valaisval de BagnesargentXVe s. au moins
 Grund près de Brigueferseconde moitié du XVIIe s.
 LötschentalplombXVIIe s.
 GondoorXVIIIe s.
Oberland bernoisOberhasli ferXVIe-XVIIIe s.
 vallée de LauterbrunnenferXVIIe s.
 région de FrutigencharbonDeuxième Guerre mondiale
canton de VaudAigle et Bexselseconde moitié du XVIe s.
Tessinval Morobbiaferfin du XVIIIe s.
Titre du tableau – Ulrich Pfister, Thomas Busset

L'extraction et le traitement du minerai exigeaient de gros investissements, en particulier depuis l'introduction, d'ailleurs limitée aux centres les plus importants, du haut fourneau (XVIe s.). Les entrepreneurs locaux, issus de familles de notables disposant des capitaux nécessaires, s'associaient souvent à des marchands étrangers. Les ouvriers étaient généralement des spécialistes venus des régions minières des Alpes italiennes et autrichiennes (pays de Brescia et de Côme, Tyrol, Styrie); ils cultivaient leurs particularités. Pour la population locale, les mines, qui consommaient énormément de bois, étaient surtout l'occasion de travaux de bûcheronnage; indirectement, elle bénéficiait aussi des droits régaliens versés aux communes pour l'exploitation des mines. Cependant les coupes rases dans les forêts provoquèrent des conflits, comme dans l'Oberhasli aux XVIet XVIIe siècles ou dans le gouvernement d'Aigle au XVIIIe. A côté des mines, il faut mentionner des carrières de pierre: marbre, granit, gneiss, pierres à chaux, ardoise et stéatite (carrières et gravières).

Travailleurs itinérants, protoindustrie

Au bas Moyen Age et à l'époque moderne, le passage à une agriculture extensive (qui demande moins de bras) coïncida, dans une grande partie des Alpes suisses, avec le développement de métiers pratiqués, saisonnièrement ou pour quelques années, hors de la commune de domicile (travailleurs itinérants): dans l'agriculture (valets de ferme des Préalpes s'engageant dans les villages du Plateau), les services (mercenaires, surtout de Suisse centrale et du Valais, colporteurs) ou l'artisanat. On s'y adonnait, semble-t-il, faute d'autres possibilités. Parmi ces activités, il faut mentionner premièrement celles de la construction, représentées dans quelques vallées italophones (Mendrisiotto, Centovalli, Mesolcina) où l'on trouvait toutes les professions de la branche, du simple maçon à l'architecte en passant par le stucateur; deuxièmement celles liées à la préparation des nouveaux produits de consommation: chocolatiers du val Blenio, confiseurs et cafetiers des Grisons protestants, en particulier l'Engadine et Davos; troisièmement celles qui sont à cheval entre artisanat et services: ramoneurs du val Verzasca et du val Calanca, fabricants de tables ou d'ouate de Glaris. Les travailleurs itinérants, qui se rendaient fort loin, dans les villes de l'Italie du Nord, dans l'Europe danubienne et dans tout l'Empire, exerçaient généralement des métiers d'origine récente, non soumis aux règlements corporatifs et répondant à une demande très variable et irrégulière. Le plus souvent, chaque vallée ou chaque commune se spécialisait dans un domaine, le métier se transmettant dans le cadre de la parenté ou du voisinage. Fruit d'une alphabétisation relativement précoce, un échange constant de correspondance permettait aux hommes absents de garder le contact avec les femmes et les parents restés au pays pour s'occuper du train de campagne.

Ce système combinant économie de subsistance et migrations de courte ou moyenne durée se maintint jusque vers le milieu du XIXe siècle. Puis il s'effaça devant l'émigration outre-mer. Les métiers ambulants, parce qu'ils étaient un bon observatoire du marché, furent parfois le point de départ d'entreprises (fixes) de la protoindustrialisation. Le canton de Glaris en offre un des exemples les plus frappants: la filature du coton s'y développa au début du XVIIIe siècle en utilisant l'infrastructure commerciale créée par les travailleurs itinérants. En dehors de tels cas, la protoindustrie est rare dans les Alpes, à cause de l'éloignement des villes et de l'inexpérience des entrepreneurs potentiels. Font exception Appenzell Rhodes-Extérieures, grâce à la proximité de Saint-Gall (lin, coton, broderie), la vallée d'Engelberg, où l'abbaye introduisit le travail de la schappe, et Gersau, centre important pour la Suisse centrale.

Industrie, énergie

Au début du XIXe siècle, les économies des cantons alpins sont en proie à des difficultés, voire en crise. La présence de ressources telles que l'eau, le bois, le calcaire, l'argile, assure toujours l'existence de petites unités de production qui couvrent le marché local ou régional. Les cours d'eau livrent la force motrice (scieries, moulins à papier, etc.). Le bois sert de combustible ― verreries à Hergiswil (1818), Monthey (1822) et Domat/Ems (1839) ― ou de matière première (fabriques de meubles, d'allumettes, parqueteries, ateliers de sculpture sur bois). Certains établissements survivent tant bien que mal ou disparaissent, d'autres se mécanisent (filature de coton à Glaris en 1813; production de schappe à Brunnen en 1822; introduction de la machine à papier au Rotzloch en 1831). Dans l'ensemble, la mécanisation demeure toutefois faible.

Dès le milieu du XIXe siècle, les capitaux urbains, au départ souvent étrangers, conquièrent la montagne. Les Alpes suisses se voient progressivement intégrées aux aires d'influence des centres de décision du Moyen Pays. Cette irruption est liée à l'avènement du rail, dont l'effet sur l'artisanat et les industries locaux, soumis à la concurrence extrarégionale, est d'ailleurs très souvent néfaste. Parallèlement au développement du réseau ferroviaire, certaines entreprises s'adaptent en adoptant des procédés plus performants (la verrerie de Hergiswil recourt au charbon dès 1870), d'autres naissent (comme la filature de coton à Churwalden et la fabrique de machines à Landquart en 1858), quelques-unes connaissant même un essor certain (carrières de gneiss dans le canton d'Uri et la Léventine).

A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, l'hydroélectricité engendre, dans les fonds de vallées surtout, comme en Valais, des implantations ponctuelles d'usines électrochimiques (en 1897 à Viège et à Gampel, en 1904 à Monthey) et électrométallurgiques (en 1905 à Chippis). Au Tessin, la concession des eaux de la Biaschina, liée à l'obligation d'utiliser l'énergie sur place, permet le développement de Bodio qui devient un pôle industriel (centrale électrique, industrie chimique, aciérie, etc.). Dès avant la Première Guerre mondiale, le transport de l'électricité à longue distance ne pose plus de problème sur le plan technique et la proximité de la centrale électrique n'est plus un critère d'implantation industrielle (industrialisation). Politiquement toutefois, la lutte est engagée afin d'imposer l'interconnexion des réseaux qui aboutira à une concentration au profit des grandes sociétés de distribution établies pour la plupart dans le Moyen Pays (sociétés électriques). Les redevances d'eau assurent à tout le moins un revenu aux communes de montagne.

Le barrage d'Emosson en Valais durant sa construction, photographié le 11 décembre 1972 (Michel Darbellay, Médiathèque Valais, Martigny).
Le barrage d'Emosson en Valais durant sa construction, photographié le 11 décembre 1972 (Michel Darbellay, Médiathèque Valais, Martigny).

L'usage de l'électricité se généralisant, l'augmentation de la demande énergétique induit la construction de nouvelles usines électriques et de barrages dont les plus importants seront érigés après le second conflit mondial: Mauvoisin (1957, surélevé en 1990), Grande-Dixence (1961), Mattmark (1967) et Emosson (1974) en Valais; Zervreila (1957), Valle di Lei (1961) et Punt dal Gall (1969) dans les Grisons; Luzzone (1963, surélevé entre 1995 et 1999) et Contra (1965) au Tessin. Quelques projets sont lancés à l'insu des populations autochtones; ainsi au cours des années 1950 à Resia et Curon dans le Vintschgau, à la Göscheneralp et à Marmorera.

Transports

Trafic interne

Caravane de marchands au pied des Alpes au XVIIe siècle. Dessin préparatoire pour un vitrail de Gottfried Stadler (Musée d'Histoire de Berne, dépôt de la Confédération; photographie Stefan Rebsamen).
Caravane de marchands au pied des Alpes au XVIIe siècle. Dessin préparatoire pour un vitrail de Gottfried Stadler (Musée d'Histoire de Berne, dépôt de la Confédération; photographie Stefan Rebsamen). […]

Il faut faire une distinction fondamentale entre le trafic interne et le transit international. Le trafic interne comprend les relations entre vallées par les cols (sans en excepter le grand axe longitudinal du Léman à Coire) et celles, de plus en plus denses dès le XIIe siècle, avec les proches régions de plaine. Beaucoup de cols insignifiants ou presque pour le transit ont eu jusqu'au XXe siècle une grande importance régionale, par exemple l'Albrun, la Bernina, le Fuorn (Ofenpass), le Grimsel, la Furka, l'Oberalp, le Klausen, le Kunkels ou la Flüela. Dans certains cas comme au Lötschen, au Saint-Théodule ou au Gries, le chemin traversait même des glaciers, ce qui n'empêchait pas d'y passer avec des bêtes de somme et des troupeaux. L'équipement mis au point et l'expérience acquise préparaient les montagnards à s'occuper du trafic de transit, à titre accessoire, voire comme activité principale (sommage). Dès le bas Moyen Age, des colporteurs de la vallée d'Aoste, du val Calanca ou de la région des lacs italiens faisaient du commerce au nord des Alpes. En sens inverse, du Moyen Age au XXe siècle, on exportait surtout des bovins et des chevaux. Au XIXe siècle, avec les chemins de fer et l'automobile, succédant aux transports à dos d'homme ou de bête, le trafic se concentra dans quelques vallées équipées. De nombreux cols furent alors abandonnés, mais on y a parfois construit plus tard des routes carrossables d'intérêt local ou touristique.

Transit

Le transit international à travers les Alpes s'inscrit dans le grand courant des échanges entre l'espace méditerranéen, l'Italie surtout, pôle ecclésiastique, économique, politique et culturel, et les régions de plus en plus industrieuses du nord des Alpes et d'Angleterre. La route des Alpes était en concurrence avec d'autres itinéraires: le contournement maritime de la péninsule Ibérique (dès la fin du XIIIe s.), la vallée du Rhône et divers passages à l'est, jusqu'à la mer Noire. Elle servait surtout aux marchandises de luxe. Les volumes variaient naturellement avec la conjoncture. Le transit, toujours bienvenu parce que créateur d'emplois, a connu bien des bouleversements et des concentrations, à mesure que les techniques évoluaient, du mulet à la diligence, du chemin de fer à l'autoroute.

Quelques difficultés des transports au XVIe siècle: passage des gués et avalanches. Dessin de la chronique de Johann Jakob Wick (Zentralbibliothek Zürich, Handschriftenabteilung, Wickiana, Ms. F 34, fol. 28r).
Quelques difficultés des transports au XVIe siècle: passage des gués et avalanches. Dessin de la chronique de Johann Jakob Wick (Zentralbibliothek Zürich, Handschriftenabteilung, Wickiana, Ms. F 34, fol. 28r). […]
Axes du transit alpin au XIe siècle
Axes du transit alpin au XIe siècle […]
Axes du transit alpin au bas Moyen Age et au début des Temps modernes
Axes du transit alpin au bas Moyen Age et au début des Temps modernes […]

Les principaux axes partaient de Lyon, du bassin lémanique, de Bâle, du lac de Constance, sites qui se développèrent au cours du Moyen Age, pour aboutir à Milan et Venise. Avant le bas Moyen Age, il y avait entre le Brenner à l'est (le moins élevé des cols alpins, à 1370 m) et le Mont-Cenis à l'ouest deux principaux passages de transit sur le territoire suisse actuel: le col du Grand-Saint-Bernard et celui du Julier. Un document de Pavie (Honorantie civitatis Papie) énumère vers l'an 1000 quelques défilés et péages au sud des Alpes, comme Bard (I), Bellinzone et Chiavenna (I). Aux Xe-XIIe siècles, le col du Lukmanier prit une importance politique et commerciale que le Saint-Gothard allait lui ravir. Appartenant au royaume de Bourgogne, puis aux Savoie, le Grand-Saint-Bernard prospéra aux XIIe-XIIIe siècles à cause des foires de Champagne, qui déclinèrent entre 1260 et 1320, puis disparurent. Le trafic se reporta sur d'autres foires, en particulier celles de Genève, florissantes aux XIVe-XVe siècles. Ouvert par les marchands milanais, le Simplon attira une part du trafic de transit aux XIIIe-XIVe siècles, mais pas au-delà de 1400. On a sans doute tort d'attribuer entièrement le fort recul du trafic dans les Alpes occidentales à l'aménagement du Gothard (la voie la plus courte). Le transfert s'est fait aussi vers les cols grisons, vers le Brenner et, dès 1300, vers les transports maritimes, plus risqués, plus longs, mais de capacité incomparablement plus élevée. Dans le transit européen, le Gothard ne fut d'abord qu'un chemin emprunté par les pèlerins et quelques voyageurs (seconde moitié du XIIe s.); il ne joua guère de rôle commercial avant la fin du XIIIe siècle; son essor est lié au soutien des Habsbourg-Autriche et à la création de nouvelles foires à Francfort, à Bruges, puis à Anvers et à Zurzach. Pour gagner l'Allemagne par Zurich, par Bâle et surtout par le Bodan, les grands marchands milanais lui préféraient le col du Splügen au moins depuis le XVIe siècle. Les cols grisons et plus encore le Brenner gardèrent donc jusqu'en 1882 leur position éminente. A l'ouest, le succès des foires de Lyon au XVIe siècle fit temporairement la prospérité du Mont-Cenis. Gaspard Stockalper de la Tour parvint après 1650 à imposer une stratégie commerciale qui ranima la route du Simplon durant quelques décennies. Au cours de l'histoire, le Gothard a pris rang parmi les mythes fondateurs de la Confédération; il a dû ce statut à des considérations politiques et militaires bien plus qu'à son rôle économique, plus modeste qu'on ne l'a imaginé. Sa réputation avantageuse de route la plus courte à travers les Alpes lui permettait certes de faire bonne figure, mais ne suffisait pas à lui attirer de gros volumes de marchandises.

Initiative des Alpes, votation populaire du 20 février 1994. Affiche réalisée par Christina Borer (Museum für Gestaltung Zürich, Plakatsammlung, Zürcher Hochschule der Künste).
Initiative des Alpes, votation populaire du 20 février 1994. Affiche réalisée par Christina Borer (Museum für Gestaltung Zürich, Plakatsammlung, Zürcher Hochschule der Künste).

La situation changea du tout au tout avec l'ouverture du chemin de fer en 1882, qui entraîna un essor rapide. L'autoroute, inaugurée en 1980, fit à son tour augmenter massivement les volumes transportés. Elle provoqua cependant une vive opposition, qui aboutit à l'initiative pour la protection des régions alpines contre le trafic de transit («initiative des Alpes», acceptée par le peuple le 20 février 1994). Les préoccupations écologiques sont aussi présentes dans le projet contesté des nouvelles lignes ferroviaires alpines (NLFA), adoptées par le souverain le 27 septembre 1992, qui doivent intégrer la Suisse au réseau européen des voies ferrées à grande capacité.

Infrastructure

Les cols de transit étaient utilisés l'hiver comme l'été, ce qui exigeait certaines infrastructures, fixes ou mobiles, ainsi que du personnel. Les riverains y pourvoyaient. Au Julier et au Grand-Saint-Bernard, des vestiges romains et du haut Moyen Age attestent l'existence d'organisations de transport. Aux XIIIe-XIVe siècles (en 1237 à Osco) apparurent au sein des communautés de vallée ou de voisinage des associations de transporteurs (porten aux Grisons, marones/marronniers au Grand-Saint-Bernard): ouvertes à tous les communiers, elles revendiquaient le monopole des transports sur un tronçon de route qu'elles entretenaient et où elles garantissaient la sécurité. A côté de ce système de relais, les transporteurs directs étaient autorisés, à condition de payer un péage (Fuhrleite, Fürleite, forleitum, forletto); ils se professionnalisèrent aux XVIIe-XVIIIe siècles et évincèrent peu à peu leurs concurrents. Les hospices apparurent au Moyen Age, les soustes (de l'italien sosta), entrepôts communaux payants, au XIIIe siècle.

«Pour de belles excursions en auto: la Suisse». Affiche commandée par l'Office national suisse du tourisme en 1935 à Herbert Matter (Museum für Gestaltung Zürich, Plakatsammlung, Zürcher Hochschule der Künste).
«Pour de belles excursions en auto: la Suisse». Affiche commandée par l'Office national suisse du tourisme en 1935 à Herbert Matter (Museum für Gestaltung Zürich, Plakatsammlung, Zürcher Hochschule der Künste).

Dès le XVe siècle, des chemins muletiers furent aménagés, bientôt pavés, tandis que des ponts de pierre remplaçaient ceux de bois, tel le pont du Diable dans les Schöllenen (1595). Le premier tunnel alpin suisse fut celui du Trou d'Uri dans les Schöllenen (1707-1708). La construction de routes carrossables permettant de franchir les Alpes suisses commença au XIXe siècle (par exemple le Simplon en 1801-1805, le Gothard en 1820-1830), celle de voies ferrées en 1882, celle d'autoroutes et de tunnels routiers dans les années 1960 (Grand-Saint-Bernard en 1964, San Bernardino en 1967, Gothard en 1980; routes nationales). Les cochers chassèrent les muletiers avant d'être détrônés par le train, lequel subit maintenant la concurrence de la route, de l'oléoduc (1963), du gazoduc (1970). Le tableau serait incomplet si l'on ne mentionnait les lignes à haute tension.

Volumes transportés

Avant 1882, les données quantitatives sont de simples estimations et ne portent que sur le transit des marchandises.

On échangeait au IXe siècle à Walenstadt des esclaves et des chevaux, vers l'an 1000 à Bard (I), Bellinzone et Chiavenna des chevaux, des esclaves, des draps, des toiles, des tissus de chanvre, de l'étain et des épées; les pèlerins se rendant à Rome étaient libérés du péage. Vers 1300, 400 t transitaient annuellement par Saint-Maurice et 1000-1500 t au plus par l'ensemble des cols suisses (4000 t au Brenner): laines et draps anglais, soies d'Italie, draps écrus, épices, huile, sel, acier, pastel, chevaux, surtout destriers italiens, bœufs, moutons et faux. Au XVe siècle, les volumes reculèrent sans aucun doute, à cause des troubles politiques et des changements d'itinéraires. Vers 1500 ils devaient être à peine plus élevés qu'en 1300 (170 t/an au Gothard): riz dès 1478, culture récemment introduite en Italie du Nord, laines anglaises, coton, draps, tissus de soie entremêlée d'or et d'argent, harengs, sucre, pierres à aiguiser, couleurs, cire et fer. La conjoncture politique et commerciale en Europe fit prospérer le Gothard, épargné en outre par les épidémies, dès 1535; le volume atteignit 1500 t vers 1550, mais régressa dès 1566, avant de retrouver le chiffre de 1500 t en 1620. Comme les cols grisons voyaient passer un volume semblable, voire un peu supérieur, on peut estimer le trafic de l'ensemble des cols suisses à 3500 t en 1550, 4000 t en 1600, un peu moins en 1650. Dès le XVIe siècle, la France et l'Autriche, espaces économiques nationaux de plus en plus fermés, détournèrent le trafic sur leur territoire, au détriment de la Suisse. Seules les activités de Stockalper freinèrent le recul de la seconde moitié du XVIIe siècle. Les principaux produits étaient alors le vin, le sel, le fromage, le riz, le cuivre, l'étain et les objets en fer. Les tonnages annuels sont estimés à 5000 t vers 1700, 6500 t en 1750 et 1800, 11'000 t en 1850 (au Brenner: plus de 12'000 t en 1700, plus de 100'000 t en 1850). Le marché s'élargit avec l'ouverture du chemin de fer du Gothard: le volume atteignit 459'000 t en 1889 et 728'000 t dix ans plus tard, sans compter quelque 700'000 voyageurs. Dès la seconde moitié du XXe siècle, les énormes quantités de marchandises, que l'Union européenne veut transporter aussi librement et directement que possible, ont encore augmenté. En 1999, le poids net des marchandises traversant les Alpes suisses était de 26,8 milions de t (15 en 1970; 23,9 en 1994), dont 8,4 (0,8; 6,2) par la route et 18,4 (14,2; 17,8) par le rail; 75% (71% en 1994), soit 20 (17) millions de t étaient des marchandises en transit, tandis que le reste concernait le trafic interne, les importations et les exportations. En 1991-1992, 83'000 personnes en moyenne ont traversé chaque jour les Alpes suisses.

Tourisme

Antécédents

Page de titre du premier volume du célèbre ouvrage d'Horace Bénédict de Saussure publié en 1779 (Bibliothèque de Genève ).
Page de titre du premier volume du célèbre ouvrage d'Horace Bénédict de Saussure publié en 1779 (Bibliothèque de Genève ).

Les sources minérales et thermales des Alpes étaient tenues en haute estime pour leurs effets thérapeutiques aux époques préhistoriques déjà, dans l'Antiquité et de nouveau dès le bas Moyen Age (bains). Mal connus avant le XVe siècle, les pèlerinages locaux (Einsiedeln, grotte de Saint-Béat) intéressaient aussi les pèlerins qui traversaient les Alpes. Aux XVe-XVIe siècles, quelques humanistes se mirent à parler des Alpes avec sensibilité: Albert de Bonstetten, qui appelait le Rigi regina montium, Glaréan, pour qui la Suisse était la tête de l'Europe, Sebastian Münster, Johannes Stumpf et Josias Simler. Les premières ascensions dans les Préalpes (Pilate, Niesen, Stockhorn) eurent lieu aux XVIe-XVIIe siècles. Parmi les premiers étrangers à se rendre dans les Alpes pour en admirer les beautés naturelles, on trouve l'envoyé spécial anglais Thomas Coxe et le margrave Albert-Frédéric de Brandebourg qui, âgé de 19 ans, visita en 1690 et 1691 les glaciers de Grindelwald. Dès le XVIIe siècle, la plupart des adeptes du Grand Tour traversaient la Suisse et quelques-uns s'y attardaient. On constate un intérêt accru pour les Alpes dans les récits de voyage dès le début du XVIIIe siècle. Le Zurichois Johann Jakob Scheuchzer, puis le Bernois Albert de Haller, enfin les Genevois Jean-Jacques Rousseau et Horace Bénédict de Saussure se révélèrent de grands propagandistes; ils entraînèrent dans leurs sillages des savants, des hommes de plume auteurs de récits de voyage et finalement l'abondante production des petits maîtres paysagistes. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, tout «honnête homme» se devait d'accomplir un voyage en Suisse et dans les Alpes.

Les curiosités naturelles sont restées jusqu'à nos jours la principale attraction du tourisme alpin. Les recherches de Franz Joseph Hugi, Edouard Desor et Louis Agassiz éveillèrent l'intérêt du public pour les glaciers et la haute montagne. Les chutes et cascades enthousiasmaient les voyageurs aux XVIIIe-XIXe siècles et les guides les énuméraient: Staubbach, Giessbach, Reichenbach dans l'Oberland bernois, très riche à cet égard, cascades du Toce dans le val Formazza, en Italie, et de Pissevache, dans le Bas-Valais. On aimait aussi les gorges: celles de la Linth vues du pont de Panten, dans le canton de Glaris, celles de la Tamina au sud-ouest de Pfäfers, de la Viamala dans les Grisons, de Dazio Grande au Tessin. Celles du Trient dans le Bas-Valais furent rendues accessibles en 1860, celles de l'Aar dans l'Oberland bernois en 1889.

Vue du grand glacier de Grindelwald. Gravure tirée de l'ouvrage du baron Beat Fidel Zurlauben Tableaux de la Suisse ou voyage pittoresque fait dans les treize cantons, 1780-1788 (Bibliothèque cantonale et universitaire Lausanne).
Vue du grand glacier de Grindelwald. Gravure tirée de l'ouvrage du baron Beat Fidel Zurlauben Tableaux de la Suisse ou voyage pittoresque fait dans les treize cantons, 1780-1788 (Bibliothèque cantonale et universitaire Lausanne). […]

Sur le plan culturel, les visiteurs s'intéressaient aux institutions «démocratiques» de la Suisse, l'une des rares républiques de l'époque moderne, et plus particulièrement à celles des cantons campagnards des Alpes et des Préalpes. Dès la fin du XVIIe siècle et plus encore après la publication du poème de Haller, Die Alpen (1729), le thème du peuple des bergers jouit d'une grande faveur, relancé par les fêtes alpestres d'Unspunnen en 1805 et 1808. Le «mythe suisse» créé au XVIIIe siècle a eu jusqu'à nos jours un effet publicitaire. Les monuments d'architecture et de génie civil, comme l'Axenstrasse, entre Brunnen et Flüelen, ou les nouvelles routes des cols (gorges des Schöllenen, Simplon, Splügen) constituèrent dès le XVIIIe siècle un autre type d'attraction.

Infrastructures touristiques

Au début du XIXe siècle, rares étaient les localités des Alpes accessibles en voiture: les touristes devaient voyager à pied ou à cheval. Certains, surtout des dames, recouraient à la chaise à porteurs. Grâce aux lacs, il était plus facile de se rendre dans l'Oberland bernois, dans la région de Vevey-Montreux rendue célèbre par la Nouvelle Héloïse (1761) et en Suisse centrale qu'en Valais et aux Grisons, régions où le tourisme se développa plus tard: le premier hôtel de Zermatt n'ouvrit qu'en 1839. Après 1815, le réseau routier s'améliora. Dès les années 1820 et 1830, la navigation à vapeur sur les grands lacs rendit les voyages plus rapides et moins chers. Les chemins de fer, intégrés au réseau européen dès 1860 environ, provoquèrent une première démocratisation du tourisme. Les promoteurs de la ligne Berne-Thoune (1858-1861) avaient notamment en vue le transport des étrangers vers l'Oberland.

Vue du Rigi Kulm, vers 1820. Peinture de Johann Heinrich Bleuler (Bibliothèque nationale suisse, Berne, Collection Gugelmann).
Vue du Rigi Kulm, vers 1820. Peinture de Johann Heinrich Bleuler (Bibliothèque nationale suisse, Berne, Collection Gugelmann). […]

La plupart des voyageurs étaient reçus jusqu'au début du XIXe siècle dans des institutions ecclésiastiques: abbayes (Einsiedeln, Disentis, Saint-Maurice), hôtelleries de couvent (Interlaken), hospices (Saint-Gothard, Grand-Saint-Bernard, Simplon), logis pour pèlerins, cures. Les nouvelles cures de Lauterbrunnen et de Grindelwald par exemple furent conçues expressément, vers 1770-1780, pour accueillir des étrangers. Aux XVIIIe-XIXe siècles, des ecclésiastiques comptèrent parmi les pionniers du tourisme, des bains et de l'alpinisme. On pouvait loger aussi dans les soustes et dans les auberges des bourgades. L'amélioration de l'hôtellerie partit des établissements de bains. Puis vinrent les pensions destinées aux séjours de longue durée (dès 1805 à Interlaken). Les premières constructions hôtelières adaptées aux besoins des touristes n'apparurent dans les Alpes qu'avec la libéralisation du commerce vers 1830. L'hôtellerie connut un premier essor en 1850-1875 (Montreux, Interlaken, Rigi, Saint-Moritz) et un âge d'or en 1890-1914 (Riviera vaudoise, Interlaken, Haute-Engadine, Zermatt).

On commença vers 1815 à faciliter l'accès aux attractions touristiques, glaciers, gorges, panoramas, etc. Dès 1840 on éleva des chapelles anglicanes pour les hôtes anglais. Les alpinistes eurent bientôt à leur disposition un réseau serré de cabanes (Club alpin suisse). Après ceux du Rigi (1871-1875) et du Giessbach (1879), les chemins de fer de montagne et transports par câbles se multiplièrent dès 1888. Dans le domaine des téléphériques, ceux de Grindelwald-Wetterhorn (1907) et d'Engelberg (1927) furent des ouvrages pionniers.

Histoire économique du tourisme

Le tourisme profita de la période relativement calme qui suivit les guerres napoléoniennes. La fréquentation augmenta ensuite grâce à l'amélioration des transports (bateaux à vapeur, chemins de fer). Les curistes des stations thermales ou climatiques (sanatoriums) formèrent une clientèle particulière, de même que les alpinistes, sportifs de pointe ou simples amateurs cherchant à revivre les sensations des conquérants quand ils ne se contentaient pas de profiter de la fraîcheur estivale au pied des sommets fameux. La carte postale devint un support publicitaire à la fin du XIXe siècle. Le tourisme, branche qui se nommait elle-même «industrie des étrangers», réveilla l'économie des vallées alpines.

Après la crise de 1875-1885, la première depuis 1815, la fin des années 1880 connut un essor extraordinaire. Les chemins de fer alpestres rendirent accessibles de nouveaux sites. L'origine sociale des touristes se diversifia. Le nombre et le confort des hôtels augmentèrent. La classique table d'hôte fit place à un service plus individualisé et les chambres avec bain condamnèrent la salle d'eau d'étage. Partout se fondèrent des offices du tourisme, chargés de la promotion, de l'information et de l'encadrement (casinos, sentiers, etc.). Le tourisme alpestre atteignit vers 1912 ou 1913 un niveau qu'il ne retrouva pas avant 1955 sur le plan quantitatif et une qualité à bien des égards définitivement perdue. L'éclatement de la Première Guerre mondiale en 1914 mit fin brusquement à l'âge d'or; la plupart des hôtels fermèrent leurs portes.

Thé dansant à la Petite Scheidegg vers 1935 (Bibliothèque nationale suisse, Berne, Archives fédérales des monuments historiques, Collection Photoglob).
Thé dansant à la Petite Scheidegg vers 1935 (Bibliothèque nationale suisse, Berne, Archives fédérales des monuments historiques, Collection Photoglob). […]

Les difficultés durèrent jusqu'au milieu des années 1920. L'Office national suisse du tourisme contribua à les surmonter, notamment en luttant contre les limitations imposées par certains Etats européens au droit de voyager. La crise économique balaya bientôt les espoirs de reprise. La Deuxième Guerre mondiale tarit à nouveau le tourisme international, mais la chute fut amortie par le tourisme indigène, les réquisitions de l'armée (pour le «réduit» alpin) et l'hébergement de soldats internés. Dans les premières années d'après-guerre, des soldats des forces d'occupation alliées en Allemagne vinrent passer des vacances en Suisse. Saint-Moritz, qui avait déjà organisé les Jeux olympiques d'hiver de 1928, accueillit ceux de 1948. Les sports d'hiver avaient débuté timidement dans les années 1870 (alpinisme hivernal) et le ski alpin dans les années 1890; mais en 1906, une soixantaine de stations se recommandaient déjà pour ces activités. Dans l'époque difficile de l'entre-deux-guerres, les offices du tourisme comptaient beaucoup sur la saison d'hiver (Zermatt par exemple s'y lança en 1927), bien que les hôtels fussent généralement dépourvus de chauffage.

Le tourisme hivernal prit son envol dans les années 1950. Plus avantageux que les funiculaires et chemins de fer à crémaillère, les téléphériques et télésièges devinrent vite populaires; ils se multiplièrent et permirent d'ouvrir de nouveaux champs de ski. La Suisse comptait en 1959 environ 90 téléphériques, télécabines et télésièges et plus de 510 remonte-pentes (dont 95% dans les Alpes). 2361 installations de transports par câbles étaient en exploitation en 1995 (dont 60 funiculaires).

Grâce à l'essor économique de l'après-guerre, de plus en plus de gens purent s'offrir des vacances de neige en Suisse. Dans une économie alpestre stagnante, face à un tourisme d'été peu dynamique, les emplois et les revenus du tourisme hivernal furent un complément bienvenu, et même la principale source de croissance dans la plupart des nouvelles stations, comme Verbier ou Laax. Le chemin de fer du Gornergrat transportait dès 1950 plus de passagers en hiver qu'en été. En 1995, 85% des revenus du tourisme alpin étaient acquis durant la saison d'hiver.

Les stations de sports d'hiver connurent dès les années 1960 un boom immobilier: la construction de tant de résidences secondaires, rétrospectivement jugée malsaine, a imposé des charges d'infrastructure si lourdes qu'elle a fini par soulever le scepticisme même dans les localités qui en ont le plus profité. Le tourisme hivernal a reculé dans les années de crise 1991-1997, notamment devant la concurrence des pays voisins plus avantageux et celle des destinations tropicales. La parahôtellerie, économiquement moins intéressante, a stagné et l'hébergement traditionnel s'est retrouvé en 1995 au bas niveau de 1980.

Le réchauffement climatique constitue une menace sérieuse pour les stations de sports d'hiver, surtout au-dessous de 1200-1500 m. Le recours à l'enneigement artificiel, écologiquement discutable, ne saurait être généralisé. Il apparaît au même moment que la frénésie des bâtisseurs a compromis le principal atout du tourisme estival en enlaidissant les paysages. Le tourisme des années 1990 oscille entre l'inertie des habitudes et la recherche de modèles nouveaux plus respectueux de l'environnement.

Histoire culturelle

L'Eglise et la vie religieuse dans les Alpes

La christianisation des Alpes helvétiques et rhétiques a commencé dans les villes et dans les domaines colonisés par les Romains, comme les fouilles archéologiques paléochrétiennes le montrent en abondance. Des groupes cathédraux ou d'importantes basiliques ont été mises au jour dans les chefs-lieux de cités. A Coire, à Zillis, à Schiers, des vestiges d'églises chrétiennes du IVe siècle ont été repérés. Un évêque de Côme représente l'évêque de Coire à un synode tenu à Milan en 451. La première cathédrale de Coire remonte à la même époque, de même qu'un caveau funéraire épiscopal, ou du moins interprété comme tel, sous l'église Saint-Etienne à Coire. En Valais, le premier évêque d'Octodurus-Martigny attesté, Théodore (Théodule), est aussi dans l'orbite milanaise: il souscrit au concile d'Aquilée en 381 et à celui de Milan en 390. C'est lui qui révèle les restes de la Légion thébaine et construit le premier sanctuaire à Saint-Maurice d'Agaune. Les fouilles archéologiques à Sion, à Martigny, à Saint-Maurice et dans quelques paroisses rurales du Valais montrent que le christianisme est implanté dès les IVe et Ve siècles dans les lieux précédemment romanisés. La création de la cité épiscopale de Genève, qui commande le domaine alpin de Haute-Savoie et de l'ouest lémanique, avec l'édification d'un important groupe cathédral, date aussi du troisième quart du IVe siècle et se place dans la mouvance de Lyon et de la vallée du Rhône. Quant au diocèse de Constance, qui couvre une partie du versant nord des Alpes suisses, il paraît avoir été créé pour le duché d'Alémanie dans la seconde moitié du VIe siècle, à partir d'un hypothétique diocèse de Vindonissa; il aurait mordu sur les cités d'Avenches-Lausanne et de Coire. La première cathédrale de Constance aurait été édifiée au tournant du VIe siècle. Les territoires du sud des Alpes sont rattachés aux diocèses de Milan et de Côme.

La formation des paroisses dans les Alpes ne saurait être étudiée indépendamment du peuplement. Dans les vallées alpines, le réseau paroissial s'établit très tôt, dès l'époque franque semble-t-il, à partir d'églises placées au centre des vallées, les unes correspondant à des communautés chrétiennes d'habitants, les autres procédant d'une fondation seigneuriale par le propriétaire laïque ou ecclésiastique de la terre (Eigenkirchen).

Châsse en or et en argent du milieu du XIIe siècle, contenant les reliques de saint Sigismond, roi des Burgondes, fondateur du monastère de Saint-Maurice d'Agaune (Trésor de l'abbaye de Saint-Maurice; photographie A. & G. Zimmermann, Genève).
Châsse en or et en argent du milieu du XIIe siècle, contenant les reliques de saint Sigismond, roi des Burgondes, fondateur du monastère de Saint-Maurice d'Agaune (Trésor de l'abbaye de Saint-Maurice; photographie A. & G. Zimmermann, Genève).

Les monastères ont joué un rôle éminent dans la colonisation et dans la christianisation des Alpes, puissamment soutenus par les dynasties qui voulaient s'assurer des points d'appui stratégiques sur les passages alpins. Ainsi, les reliques de saint Maurice et de la Légion thébaine ont d'abord été un but de pèlerinage et un pôle de christianisation du Valais. L'établissement religieux qui s'y est créé sera développé et renforcé par les rois rodolphiens, plus tard par les princes de la maison de Savoie, les uns et les autres intéressés à la route du Grand-Saint-Bernard. L'abbaye de Disentis, dont le fondement religieux est le pèlerinage sur les lieux où vécurent l'ermite franc Sigisbert et le martyr Placidus, est surtout l'œuvre de l'évêque de Coire Tello, qui a enrichi le monastère d'une donation considérable en 765, sans doute pour assurer le pouvoir de la dynastie des Victorides sur la route conduisant à l'Oberalp et au Lukmanier. D'autres donations, au sud des Alpes et dans la vallée d'Urseren, par les Carolingiens, les Ottoniens et par Frédéric Barberousse (Frédéric Ier), démontrent l'intérêt des empereurs pour ces passages alpins. Dans la même optique, Pfäfers fut élevée au rang d'abbaye impériale. Centre religieux et culturel de la Rhétie dès le haut Moyen Age, elle participa à la fondation du couvent de Müstair, édifié durant le dernier quart du VIIIe siècle sur un bien-fonds appartenant au fisc impérial. Müstair bénéficia aussi des largesses des Carolingiens, puis fut remis en 881 à l'évêché de Coire en échange de biens situés en Alsace. Dans son cas, il semble avoir existé un fort intérêt pour la route du col de l'Ofen de la part du pouvoir impérial.

Les rudes paysages alpins, avec les forêts profondes des Préalpes vides d'hommes, attirent aussi les ascètes en quête de solitude (ermites). Au bord de la Steinach, sur l'emplacement de l'ermitage et du tombeau de l'ermite Gall, que la tradition rattache au monachisme irlandais, puissant courant de christianisation du Jura et des Alpes dans la première moitié du VIIe siècle, le prêtre Othmar, d'origine alémanique, fonde en 719 un couvent de cénobites, qui adoptera la règle de saint Benoît et jouera un grand rôle dans la colonisation et la christianisation de l'Alémanie.

Un siècle et demi plus tard, Meinrad, moine de Reichenau, à la recherche d'une solitude complète, se retire dans la «Forêt sombre», où il sera assassiné en 861. A l'emplacement de son ermitage, d'autres ermites, Benno, évêque déchu de Metz, et Eberhard, chanoine de Strasbourg, fondent l'abbaye bénédictine d'Einsiedeln. Bien que richement dotée par les Ottoniens, d'un patrimoine à vrai dire très dispersé jusqu'au Vorarlberg, Einsiedeln garde son indépendance religieuse et devient le pôle de la réforme monastique de Gorze dans la région, d'où sont issues notamment les abbayes de Muri (entre 1027 et 1030), de Hermetschwil (vers 1083) et d'Engelberg (peu avant 1124). D'autres ordres religieux contribuent à la christianisation et à la civilisation des Alpes. En Suisse occidentale, les clunisiens s'installent dans une série de prieurés et développent la vie paroissiale dans les campagnes. Les cisterciens colonisent Hauterive (FR), Hautcrêt et d'autres lieux des Préalpes dès le millieu du XIIe siècle. Les prémontrés sont établis à Humilimont (près de Marsens) en 1137. Les chartreux s'établissent à La Valsainte en Gruyère en 1295, à Géronde près de Sierre en 1331.

Les lieux les plus reculés, tels que le Ranft (OW; Flüeli), le Horbistal (au-dessus d'Engelberg), l'Entlebuch, le Haut-Toggenbourg, la région d'Einsiedeln, accueillent des mouvements mystiques masculins et féminins, dont la renommée va au moins jusqu'en Alsace. Si les fameux écrits du Gottesfreund vom Oberland, diffusés au milieu du XIVe siècle par le banquier rhénan Rulman Merswin ont été identifiés par les chercheurs du XIXe siècle comme une fiction, la réalité de groupements mystiques en Suisse centrale au XIVe et au XVe siècle et de leurs échanges avec la Rhénanie est attestée par d'autres documents.

L'expansion démographique qui culmine en Europe au cours du XIIIe siècle amène une densification du réseau paroissial. La longueur du trajet pour les habitants des régions les plus reculées pour se rendre au centre paroissial, s'ajoutant à la rigueur du climat hivernal, provoque la création de nouvelles paroisses. Le développement des bourgs et des villes aux XIIIe-XVe siècles amène d'autre part la création ou le détachement d'églises urbaines (Stadtkirchen) qui marginalisent les anciennes églises des grandes paroisses rurales. Les sommets des Alpes, c'est-à-dire les alpages où l'on estivait le bétail, ne sont christianisés qu'au XVIe siècle par les missions des capucins (au Wildkirchli, près d'Appenzell, ou au Rigi, entre Arth et Weggis, par exemple).

La Réforme trouva dans quelques villes et bourgs alpins un terrain favorable, notamment aux Grisons et, de manière plus éphémère, en Valais. Une visite en Suisse de Charles Borromée, archevêque de Milan, l'action de quelques magistrats de Suisse centrale qui ont participé au concile de Trente, et surtout les missions des capucins, donnent un puissant élan à la Contre-Réforme. En Valais, pris en tenaille par les capucins savoyards et ceux de Suisse centrale, qui inondent le Haut-Valais de leurs prédications, mal soutenus par Berne, les protestants abandonnent la partie au début du XVIIe siècle. Tandis qu'ils se maintiennent aux Grisons et évidemment dans les vallées alpines dépendant des villes réformées de Berne, de Saint-Gall et de Zurich, non sans que les populations locales (aux Ormonts et dans l'Oberland bernois notamment) aient vigoureusement résisté aux efforts des prédicants réformés.

Ailleurs, en Suisse centrale et en Valais, la religion catholique populaire s'exprime par des dévotions qui ne sont pas sans liaison avec le paysage: récupération d'anciens symboles païens, tels que blocs erratiques ou grottes «christianisés» par une apparition de la Vierge ou par l'apposition d'un crucifix, sources miraculeuses, construction de chapelles de pèlerinage sur des «hauts lieux», (parfois anciens lieux de culte païens), fournissant des emplois de garde-chapelles à des ermites, édification de montagnes sacrées (par exemple Madonna del Sasso à Locarno, Hergiswald sur le flanc du Pilate). Tous ces phénomènes font penser à une superstition plus qu'à une spiritualité alpine, mais constituent des éléments de cohésion pour les communautés montagnardes. A qui scrute l'expression du christianisme dans les pratiques religieuses de ces régions, plusieurs motifs principaux se révèlent: le souvenir des morts, très présents dans les chapelles et, évidemment, les ossuaires et les cimetières, les représentations de saints très populaires comme saint Christophe et saint Roch. La liaison étroite entre le patriotisme et la religion se manifeste en particulier dans la commémoration des batailles, mais aussi dans la vénération de certains saints militaires, tels saint Maurice ou saint Georges.

La Réforme et la Contre-Réforme provoquèrent des modifications dans le réseau paroissial alpin, avec de fortes différences régionales: alors qu'au nord le nombre des paroisses diminua ou au mieux se maintint, avant de connaître une phase d'expansion avec le retour de la prospérité au XVIIIe siècle, il doubla dès les XVIe-XVIIe siècles dans les III Ligues, où les confessions étaient en forte concurrence, ainsi que dans le Haut-Valais. Dans le domaine de la pastorale, l'engagement des ordres nouveaux (capucins surtout, jésuites), l'envoi de boursiers dans des facultés de théologie à l'étranger et la création de quelques écoles de théologie (par exemple à Einsiedeln) fournirent un personnel plus nombreux et mieux formé. A la fin du XXe siècle, la situation s'inverse à nouveau avec le dépeuplement des régions alpines.

Le paysage artistique au Moyen Age

Il est difficile de parler d'une culture artistique alpine définie par des caractéristiques et des traditions communes, modèle qui traverserait les siècles. Néanmoins, il est indéniable que les Alpes présentent une importance et une signification particulières dans la géographie artistique du Moyen Age. La relative abondance de centres de production, liée à la présence de nombreuses communautés monastiques, ainsi que les rencontres et les contacts qu'elles favorisèrent entre artistes, en font un lieu privilégié de croisements et de mélanges culturels. D'autre part, bon nombre d'œuvres ont survécu plus longuement qu'ailleurs grâce à un certain conservatisme des habitants, et parce que les brusques changements économiques et politiques ont parfois stoppé l'évolution. Ces régions revêtirent donc pendant des siècles une importance non seulement stratégique et politique (due à leurs routes), mais aussi artistique.

Si les Alpes suisses comptent aujourd'hui un nombre considérable de monuments médiévaux, c'est grâce à la présence sur leur territoire d'anciens sièges diocésains d'une certaine importance ainsi que d'abbayes bénédictines. L'intervention des rois, puis celle des empereurs francs aux VIIIe et IXe siècles influèrent favorablement sur la multiplication des monastères, situés dans des emplacements stratégiques qui permettaient de contrôler le transit des cols des Grisons (Saint-Gall, Pfäfers, Disentis, Müstair).

La période carolingienne eut donc une incidence particulière sur la production artistique de la région. D'importants édifices, dont les couvents de Müstair et de Mistail, témoignent du type d'église-halle à trois absides, tandis qu'à Disentis sont conservés d'importants fragments de décorations en stuc et qu'on trouve à Schänis, Coire et Saint-Maurice des ambons sculptés ou les dalles délimitant le chœur. On peut voir à Müstair de remarquables fresques appartenant au plus vaste cycle pictural de l'époque carolingienne conservé jusqu'à nos jours. Saint-Maurice et Coire sont réputés pour leurs ouvrages d'orfèvrerie, Saint-Gall et Pfäfers pour leurs manuscrits enluminés. Tant dans les formes architecturales que dans la peinture, on relève une forte influence milanaise ou plus généralement lombarde, que côtoient des œuvres se référant à d'autres modèles; les fresques de Naturno, localité italienne dépendant du diocèse de Coire jusqu'en 1820, révèlent par exemple une inspiration irlandaise provenant vraisemblablement de Saint-Gall. Durant le haut Moyen Age, on élabora dans les centres de plaine ― particulièrement à Milan, Vérone, Aquilée, Constance, Augsbourg, Salzbourg et dans la grande abbaye de Reichenau ― des modèles qui exercèrent des influences durables dans l'espace alpin.

Le XIIe siècle marqua lui aussi un grand moment dans l'histoire artistique des Alpes, autant par la quantité des œuvres conservées que par leur importance. Ce sont à nouveau les Alpes rhétiques qui offrent les œuvres et les exemples les plus remarquables. Les fresques de la crypte de l'église abbatiale de Marienberg (Burgeis), fondée vers le milieu du XIIe siècle, en sont une illustration significative. Elles dénotent des caractères nordiques et non lombards, ce qui laisse penser que leurs exécutants étaient originaires de l'Allemagne méridionale, peut-être d'Ottobeuren, d'où provenaient les premiers abbés du monastère. Quant aux fresques romanes de Müstair, tout comme celles de la petite église voisine de Tubre, en Italie, et quelques-unes de la chapelle du château d'Hocheppan, elles se réfèrent au cycle de Burgeis. C'est encore dans l'ancienne Rhétie qu'est conservé un monument spectaculaire de la peinture médiévale: le plafond en bois de l'église Saint-Martin de Zillis, peint vers 1160. On trouve dans la cathédrale de Coire un groupe de chapiteaux révélant une influence lombarde, soit directe soit via le Grossmünster à Zurich; et l'on évoque souvent une empreinte provençale ou, plus vraisemblablement, du nord de l'Italie pour les statues-colonnes (télamons) du début du XIIIe siècle. Enfin, de nombreuses sculptures en bois de la fin du XIIe siècle et du XIIIe siècle, souvent d'une grande qualité, proviennent du Valais et des Grisons. L'église de Valère est l'un des monuments gothiques les plus représentatifs des Alpes suisses. Cette ancienne cathédrale de Sion, exécutée entre le XIIe et le XIIIe siècle, est pourvue d'un groupe de chapiteaux très singuliers: la décoration des tailloirs se signale par des éléments communs avec les chapiteaux de la cathédrale d'Embrun dans le Haut-Dauphiné.

Au XIVe siècle plusieurs églises et chapelles ont été l'objet de décorations picturales, parfois assez bien conservées, contrairement aux décorations profanes de la même époque. Cette période se caractérise par la contiguïté, la rencontre et le contraste entre divers modèles et tendances, giottisme lombard, gothique courtois français ou encore expressionnisme gothique du Haut-Rhin. De grands artistes travaillent alors dans les Alpes, du très doux Maître de Saint-Blaise de Ravecchia au dramatique Maître de Waltensburg, actif dans les Grisons. On trouve au château de Chillon des témoignages précoces de la pénétration du modèle italien, surtout dans les peintures de la chapelle; ils voisinent avec le graphisme élégant, dans le goût français, des peintures de la Camera domini, plus tardives ― et trop retouchées.

L'adoration des Mages, peinture sur bois anonyme vers 1435 (église de Valère, Sion, MV12982_21) © Musées cantonaux du Valais, Sion; photographie Michel Martinez & Bernard Dubuis.
L'adoration des Mages, peinture sur bois anonyme vers 1435 (église de Valère, Sion, MV12982_21) © Musées cantonaux du Valais, Sion; photographie Michel Martinez & Bernard Dubuis. […]

Alors que ses rapports artistiques étaient jusque là tournés vers les centres de la vallée du Rhône, Genève devint au début du XVe siècle, grâce à ses contacts avec le Piémont et la Savoie, un foyer important du paysage artistique alpin. Des artistes tels que Giacomo Jacquerio, peintre turinois actif à Genève, Jean Bapteur, Perronet Lamy et Pierre Maggenberg (fresques à Fribourg et à Sion) ont travaillé dans la région. Les stalles sculptées sont une particularité des Alpes occidentales: des exemples en sont encore visibles, de Genève à Saint-Claude dans le Jura français, d'Aoste à Saint-Jean-de-Maurienne en Savoie, de Romont à Estavayer-le-Lac, ainsi qu'à Lausanne et à Fribourg. La première moitié du XVe siècle a vu l'accession de deux souverains de pays alpins aux plus hautes dignités du monde occidental: le duc de Savoie Amédée VIII fut élu pape sous le nom de Félix V et le duc d'Autriche Frédéric V devint l'empereur Frédéric III. De telles nominations viennent souligner l'importance de la région à cette époque de l'histoire de l'Europe.

L'architecture à l'époque moderne et contemporaine

Le palais Stockalper à Brigue. Photographie, 1995 (Heinz Dieter Finck).
Le palais Stockalper à Brigue. Photographie, 1995 (Heinz Dieter Finck). […]

A l'époque moderne, les régions alpines perdirent en importance politique et économique. Orienté vers l'outre-mer, le grand commerce de transit s'en détourna. En outre la Réforme traça dans les Alpes des frontières à la fois confessionnelles et culturelles. En terre catholique, la Réforme tridentine provoqua une forte demande de bâtiments ou de décors nouveaux. Dans les vieux centres (sièges épiscopaux comme Coire, abbayes comme Einsiedeln, Pfäfers, Engelberg ou Disentis) s'élevèrent aux XVIIe-XVIIIe siècles de magnifiques bâtiments de style baroque. Les nouveaux ordres, capucins et jésuites, construisirent dans le même style des couvents, des collèges, aux Grisons des hospices. Quant aux paroisses, elles se dotèrent d'églises et de chapelles richement ornées de peintures, de sculptures, d'objets en or et en argent. L'empreinte baroque est forte dans les régions catholiques; les protestants, plus retenus, ont mieux conservé les structures médiévales. Dans le domaine profane, les bâtiments publics manifestaient l'autorité accrue du souverain: hôtels de ville (Schwytz, Sarnen), grenettes (Schwytz, Altdorf), arsenaux (Stans, Zoug), sièges baillivaux (Lottigna, Bironico). Parmi les commanditaires privés, ce sont surtout des entrepreneurs militaires enrichis grâce au service étranger qui se faisaient construire des maisons de maître, selon des modèles importés (Schwytz, Näfels, Gersau). Le palais Stockalper à Brigue est l'un des rares témoins d'une fortune acquise grâce au commerce à travers les Alpes.

Pas plus qu'à d'autres époques, la montagne ne fut alors un obstacle en matière artistique, car les limites étroites imposées par la topographie obligeaient en même temps à l'ouverture. Les traditions étaient particulièrement tenaces, mais la faiblesse persistante des ressources locales encourageait l'émigration, généralement saisonnière, qui conduisait vers des centres culturels situés hors des Alpes et vers les métropoles européennes une main-d'œuvre de valeur reconnue. Les régions traditionnelles d'émigration, surtout les vallées du sud, cultivaient un savoir-faire artisanal et des formes très solides d'organisation sociale grâce auxquels les artisans émigrés faisaient rapidement carrière. Revenus au pays, ils y diffusaient les connaissances qu'ils avaient pu acquérir. Parmi ces travailleurs itinérants, il faut citer en particulier ceux du val Sesia (I), dits Prismeller, ceux de la région de Côme, les Tessinois du Sottoceneri, les Grisons du val Mesocco. Ils étaient principalement architectes, tailleurs de pierre, stucateurs, peintres, sculpteurs et menuisiers. Quelques-uns acquirent une célébrité européenne, comme les Tessinois Domenico Fontana, Carlo Maderno et Francesco Borromini, qui influencèrent l'architecture romaine pendant un siècle, tandis que d'autres familles d'artistes exerçaient leurs talents sur un plan local ou régional, comme les Sigrist ou les Ritz dans le Valais de l'époque baroque.

Les changements sociaux de la fin du XVIIIe siècle entraînèrent le déclin des commanditaires traditionnels (couvents, entrepreneurs militaires). Dans les quelques régions des Alpes et des Préalpes qui connurent une industrialisation précoce (Glaris, Appenzell Rhodes-Extérieures), les nouveaux entrepreneurs se firent construire des villas de prestige. Vers le milieu du XIXe siècle, le bâtiment et le génie civil connurent un essor qui marqua profondément le paysage alpin: constructions hôtelières, sanatoriums, chemins de fer, routes, ponts, tunnels, barrages.

Affiche pour l'hôtel Belvédère sur la route de la Furka, vers 1906 (Bibliothèque nationale suisse, Berne).
Affiche pour l'hôtel Belvédère sur la route de la Furka, vers 1906 (Bibliothèque nationale suisse, Berne). […]

La glorification du mythe des Alpes dans le cadre de la défense spirituelle fit du patrimoine culturel alpin une valeur nationale: on vit des chalets, symbole de la maison suisse, jusque dans les grandes villes du Plateau (chalet). En revanche certains palaces furent démolis (par exemple celui du Rigi-Kulm): dans la perspective du Heimatschutz, ils étaient considérés comme des monuments urbains, étrangers au paysage alpestre. Dans l'après-guerre, l'architecture contemporaine voulut appréhender la force brute de la montagne et retrouver un langage vigoureux. Artistes et architectes s'inspirèrent des sites alpestres et de traditions archaïques souvent encore vivantes pour élever des bâtiments sobres et puissants. L'église de Sogn Benedetg (Sumvitg) due à Peter Zumthor (1988), les chapelles de Mario Botta à Mogno (1995) ou au Tamaro (1996), de même que plusieurs cabanes du Club alpin sont des signes forts dans le paysage. Avec les discrètes interventions que divers artistes ont réalisées dans l'environnement de l'hôtel Furkablick, Marc Hostettler a renouvelé, dans le cadre du projet «Furk Art» qu'il a lancé en 1983, l'approche du thème des Alpes, comme l'ont fait d'autre part surtout des peintres.

Idéologie

L'invention des Alpes

Quelles ont été les conséquences de l'évolution historique en général d'une part, des changements écologiques et des modifications dues aux activités humaines d'autre part sur la manière de se représenter la montagne alpine? A vrai dire, il n'y a guère en Europe de milieu naturel qui ait contribué aussi puissamment que les Alpes à façonner l'imaginaire autant des populations qui les habitent que des observateurs extérieurs. Cet investissement symbolique et idéologique de la montagne a connu plusieurs moments forts depuis la fin du Moyen Age. Jusqu'alors, la montagne était perçue comme un milieu répulsif et hostile que l'on contourne ou, au pire, que l'on traverse par les itinéraires les plus directs. Ainsi, on ne sera pas surpris de constater que ni les Celtes ni les Romains, sauf exceptions remarquables ― le Mons Jovis/Mons Poeninus (Grand-Saint-Bernard) notamment ― n'ont pris la peine de nommer les sommets des Alpes. La prise de possession par la toponymie est un phénomène lié à la modernité et à la découverte des Alpes.

Les choses commencent à changer durant le Moyen Age par la densification du peuplement, la mise en valeur des vallées et l'intense trafic au travers des passages alpestres. Toujours redoutées, les «montagnes maudites» et leurs multiples dangers s'accommodent de tout un système de croyances. Ainsi, c'est entre le Valais et le Dauphiné que sont attestés, vers 1430, les éléments constitutifs du sabbat des sorcières, bientôt diabolisé et prétexte à la grande offensive contre la sorcellerie qui touchera, à partir des Alpes, l'ensemble de la chrétienté occidentale. Parallèlement, la croisade de l'Eglise contre les monstres et autres démons malfaisants a pour effet de parsemer les montagnes de lieux de cultes, de statues et de dévotions à des saints protecteurs (parmi ces saints tutélaires, de nombreux Nicolas, Jacques, Bernard et Théodule).

La première véritable «découverte» des Alpes remonte à la Renaissance. On commence à regarder la montagne pour elle-même, dans sa réalité comme dans ses représentations. D'une certaine manière, la Renaissance s'annonce en 1387, lorsque le moine lucernois Niklaus Bruder tente avec cinq compagnons la première ascension du Pilate, bravant les interdits religieux attachés aux périls supposés d'une montagne mythique. C'est aussi une nouvelle mode réaliste de représenter le paysage qu'inaugure le peintre Konrad Witz lorsqu'il peint La Pêche miraculeuse en 1444 avec son panorama du massif du Mont-Blanc vu de la rade de Genève. Que le peintre utilise la montagne pour dessiner un horizon au pays ainsi délimité est aussi un moyen d'objectiver le regard sur le paysage.

«Helvetia: voici le pays suisse ou la Confédération»: tel est le titre de cette illustration tirée de la Cosmographie de Sebastian Münster, publiée à Bâle en 1552 (Bibliothèque de Genève, Archives Nicolas Bouvier).
«Helvetia: voici le pays suisse ou la Confédération»: tel est le titre de cette illustration tirée de la Cosmographie de Sebastian Münster, publiée à Bâle en 1552 (Bibliothèque de Genève, Archives Nicolas Bouvier). […]

Mais ce seront les élites intellectuelles de Zurich et de Berne qui vont vraiment inaugurer le processus de désacralisation de la montagne par la connaissance et l'observation scientifique. Voilà à nouveau une ascension du Pilate: l'humaniste Vadian de Saint-Gall la tente en 1518 sans préoccupation religieuse ni utilitaire. Sa démarche inaugure symboliquement le changement du rapport à la montagne. Quant à l'humaniste et naturaliste Konrad Gessner, il se dit touché, déjà en 1541, par la contemplation du spectacle des montagnes. Aegidius Tschudi est le premier en 1538 à consacrer un traité de géographie aux Alpes rhétiques. Thomas Schöpf de Berne dessine la première carte en 1578 (carte de l'Oberland bernois) et les cosmographes, tel Sebastian Münster en 1543, incluent la description des Alpes dans leurs ouvrages. Quant au célèbre Josias Simler, théologien et historien, il publie en 1574 à Zurich son De Alpibus Commentarius, ouvrage dans lequel les Alpes prennent plusieurs acceptions dont certaines sont encore les nôtres: les Alpes sont d'abord une chaîne de montagnes qui sépare l'Italie du reste de l'Europe; ensuite le mot désigne les cols ouverts à travers la chaîne et par extension les pâturages qui s'étendent sur les flancs de ces montagnes.

Le mouvement amorcé à la Renaissance ne va pas s'épanouir avant le XVIIIe siècle. Non que le XVIIe siècle ignore la montagne mais plutôt parce que domine alors une forme de représentation qui insiste sur l'obstacle. Topographes et cartographes, en choisissant la perspective cavalière, font particulièrement ressortir cette fonction de frontière et de barrière dévolue à la montagne. La Topographia Helvetiae, Rhaethiae et Valesiae de Matthäus Merian en 1642 illustre, parmi d'autres, ce point de vue.

Un monstre alpin apparaît à un autochtone. Gravure illustrant l'édition publiée en 1723 à Leyde de l'Itinera per Helvetiae alpinas regiones de Johann Jakob Scheuchzer (Collection privée).
Un monstre alpin apparaît à un autochtone. Gravure illustrant l'édition publiée en 1723 à Leyde de l'Itinera per Helvetiae alpinas regiones de Johann Jakob Scheuchzer (Collection privée). […]

Dès la fin du XVIIe siècle, cependant, en rapport étroit avec l'évolution de la pensée scientifique, la question des montagnes inspire de nombreuses réflexions physico-théologiques. Le pasteur vaudois Elie Bertrand est l'un des premiers à publier en 1754 un traité consacré à la montagne en général. Cet Essai sur les usages des montagnes découvre sous le chaos apparent du relief un ordre voulu par le Créateur à l'usage des hommes. Or, déjà au milieu du XVIIIe siècle, les pratiques nouvelles de l'exploration ont modifié en profondeur la manière de percevoir les Alpes. Le grand initiateur en a été le savant zurichois Johann Jakob Scheuchzer, infatigable ourésiphoitès («celui qui fréquente les montagnes», nom qu'il donne à une sorte de guide dans les montagnes suisses), auteur de nombreux ouvrages publiés entre 1700 et 1723, connus sous le titre générique d'Itinera alpina. Gottlieb Sigmund Gruner publie en 1760 une description détaillée des glaciers, Die Eisgebirge des Schweizerlandes. Peu à peu les savants vont se muer en alpinistes audacieux pour conquérir les hautes cimes, étape décisive de ce long «désenchantement» de la montagne entrepris à la Renaissance. Les exploits se succèdent dans les Grisons, dans l'Oberland bernois, en Valais et dans le massif du Mont-Blanc. Impossible ici de citer tous les pionniers, souvent naturalistes réputés, dont le relais est vite pris par des voyageurs fortunés dont bon nombre de Britanniques. Genève a joué un rôle de premier plan dans la diffusion d'une véritable vogue du voyage aux «glacières». Horace Bénédict de Saussure, connu par son ascension du Mont-Blanc en 1787 (une année après la première), passionné d'expérimentation scientifique, avait pour objectif de mieux comprendre les mystères de la formation de la terre. A ce climat encyclopédique typique des Lumières participe également le naturaliste genevois Jean-André Deluc pour qui les Alpes ont été comme un vaste laboratoire.

Orage et foudre sur le glacier inférieur de Grindelwald. Huile sur toile de Caspar Wolf, vers 1775 (Aargauer Kunsthaus, Aarau).
Orage et foudre sur le glacier inférieur de Grindelwald. Huile sur toile de Caspar Wolf, vers 1775 (Aargauer Kunsthaus, Aarau). […]

Le XVIIIe siècle innove aussi en diffusant un mode de voir la montagne non seulement comme objet de recherche expérimentale mais encore comme spectacle sublime. La perception du sublime s'acquiert par la rencontre de l'homme sensible et du paysage grandiose. C'est le grand savant et homme de lettres bernois, Albert de Haller, qui a été le révélateur d'une montagne à la fois pittoresque et sentimentale en connivence profonde avec la vie simple de ses habitants. Son poème Die Alpen, publié une première fois en 1732, bientôt traduit, connut pas moins de onze éditions du vivant de son auteur. La sociologie sentimentale des Alpicoles (les heureux habitants des montagnes) accède à l'expression poétique avec les Idylles de Salomon Gessner (1762). Le poète idéalise les bergers vertueux, robustes et hospitaliers. Anthropologie sociale et cadre naturel trouvent leur expression littéraire achevée dans La Nouvelle Héloïse de Rousseau publiée en 1761. Inventé par la littérature, le paysage alpestre investit tout naturellement la peinture et la gravure coloriée. La faveur du public pour les sites alpestres donne l'impulsion à de véritables écoles du paysage suisse. D'inspiration préromantique avec Caspar Wolf ou idéalisée avec Johann Ludwig Aberli au XVIIIe siècle. De veine romantique avec une certaine fascination pour le spectacle des forces de la nature, avec l'école de Genève (François Diday ou Alexandre Calame) durant la première moitié du XIXe siècle.

Quelques savants et intellectuels étudient la chute du Staubbach dans la vallée de Lauterbrunnen. Eau-forte de Balthasar Anton Dunker et Joseph Störklin, réalisée d'après une esquisse de Caspar Wolf et tirée de l'ouvrage de Jakob Samuel Wyttenbach, Merkwürdige Prospekte aus den Schweizer-Gebürgen und derselben Beschreibung, imprimé en 1777 chez Abraham Wagner à Berne (Zentralbibliothek Zürich, Graphische Sammlung und Fotoarchiv).
Quelques savants et intellectuels étudient la chute du Staubbach dans la vallée de Lauterbrunnen. Eau-forte de Balthasar Anton Dunker et Joseph Störklin, réalisée d'après une esquisse de Caspar Wolf et tirée de l'ouvrage de Jakob Samuel Wyttenbach, Merkwürdige Prospekte aus den Schweizer-Gebürgen und derselben Beschreibung, imprimé en 1777 chez Abraham Wagner à Berne (Zentralbibliothek Zürich, Graphische Sammlung und Fotoarchiv). […]

Les nouvelles routes, audacieux ouvrages d'art et premiers messagers du progrès technique, attirent le regard sur les Alpes et modifient fondamentalement, dans les années 1830, la relation que les voyageurs entretiennent avec la montagne. Les œuvres de Friedrich Wilhelm Delkeskamp, Rudolf Koller ou Johannes Weber montrent bien la fascination exercée par le contraste entre la nature et la technique. Les artistes s'installent dans les vallées qui s'ouvrent au tourisme. Ils donnent des lieux et des habitants une vision multiple, souvent celle des nouveaux venus qu'ils restent. Giovanni Segantini, le premier peintre européen à aller vivre en haute montagne, choisit le symbolisme. Giovanni Giacometti, du val Bregaglia, libère la couleur et montre une sensualité impulsive. Les toiles expressionnistes d'Ernst Ludwig Kirchner se présentent comme des psychogrammes où il met son âme à nu et Oskar Kokoschka spiritualise ses paysages.

Alpes et identité suisse

En général, dans l'histoire, les montagnes ont été des espaces propices à l'affirmation des identités. Ainsi, très tôt, dès la Renaissance, on peut associer aux Alpes l'image de la nation suisse. Il y a un modèle suisse de la liberté, vécue par des montagnards en rupture avec l'ordre social dominant dans les grandes monarchies. Le XVIIIe siècle a donné à ces représentations une nouvelle cohérence en les rattachant explicitement à un modèle de paysage. Le vrai Suisse ne peut être que montagnard. C'est donc toute l'histoire helvétique qui se trouve réinterprétée sous l'éclairage d'un imaginaire historique et topographique spécifique. Bergers et montagne deviennent des éléments constitutifs de l'identité helvétique, comme on le constate avec Heidi, l'héroïne de Johanna Spyri.

Le berceau de la Confédération suisse. Esquisse pour la grande peinture qui ornera la salle du Conseil national au Palais fédéral à Berne dès 1901, par le peintre genevois Charles Giron (Collection La Croix-Rouge suisse; photographie A. & G. Zimmermann, Genève).
Le berceau de la Confédération suisse. Esquisse pour la grande peinture qui ornera la salle du Conseil national au Palais fédéral à Berne dès 1901, par le peintre genevois Charles Giron (Collection La Croix-Rouge suisse; photographie A. & G. Zimmermann, Genève). […]

De telles références vont jouer un rôle majeur au XIXe siècle lorsque se forme le nouvel Etat fédéral. Face aux grands Etats nationaux, la Suisse trouve sa légitimité dans ses fonctions de mère des fleuves (Helvetia mater fluviorum) et gardienne des cols au cœur de l'Europe. Que ce soient les grands anniversaires patriotiques (le 600e anniversaire de la Confédération en 1891), la décoration du Palais fédéral (la peinture de Charles Giron en 1901 dans la grande salle du Parlement), la protection de la nature dont les motifs au tournant du siècle sont avant tout idéologiques et patriotiques (création du Parc national) ou les expositions nationales, à chaque fois la conscience politique suisse s'exprime par des références alpines. Rien d'étonnant à ce que l'œuvre de Ferdinand Hodler, lequel se profile malgré son audace picturale comme une sorte de peintre officiel de l'Etat suisse, s'organise autour des thèmes des Alpes et de l'histoire. Rien d'étonnant enfin à ce que la publicité contemporaine ait largement exploité les images alpestres par vaches et Cervin interposés. Que ces images perdent à la fin du XXe siècle un peu de leur substance symbolique s'accorde avec l'opacité croissante des références historiques et identitaires dans une société en pleine mutation.

Sources et bibliographie

  • La liste qui suit est sélective. Elle ne retient, sauf exceptions, que des travaux relativement récents et de portée générale. On n'a mentionné qu'un petit nombre de monographies locales, régionales ou cantonales, lorsqu'elles s'articulent expressément sur un contexte plus large, constituant des modèles d'approche ou ouvrant un débat de méthode.
Généralités
  • Le Alpi e l'Europa, 5 vol., 1974-1977
  • J.-F. Bergier, dir., Histoire des Alpes: perspectives nouvelles, 1979
  • P. Guichonnet , dir., Histoire et civilisations des Alpes, 2 vol., 1980
  • E.A. Brugger et al., éd., Les régions de montagne en mutation, 1984
  • La montagne: économie et sociétés, 1985
  • M. Mattmüller, éd., Economie et sociétés de montagne, 1986
  • Le Alpi per l'Europa, 1988
  • L. Carlen, G. Imboden, éd., Wirtschaft des alpinen Raums im 17. Jahrhundert, 1988
  • Innerschweiz und frühe Eidgenossenschaft, 2 vol., 1990
  • J.-F. Bergier, S. Guzzi, éd., La découverte des Alpes, 1992
  • W. Danz, S. Ortner, éd., Die Alpenkonvention ― eine Zwischenbilanz, 1993
  • Histoire des Alpes, 1-, 1996-
  • M. Körner, F. Walter, éd., Quand la montagne aussi a une histoire, 1996
  • J.-F. Bergier, Pour une histoire des Alpes, 1997
  • R. Ceschi, éd., Storia del Cantone Ticino, 2 vol., 1998
  • J. Mathieu, Geschichte der Alpen 1500-1900, 1998
  • Handbuch der Bündner Geschichte, 4 vol., 2000
Histoire naturelle
  • M. Pellegrini, Materiali per una storia del clima nelle Alpi lombarde durante gli ultimi cinque secoli, 1974
  • R. Trümpy, An Outline of the Geology of Switzerland, 1980
  • W. Bätzing, Die Alpen: Naturbearbeitung und Umweltzerstörung, 41988
  • Ch. Pfister, Klimageschichte der Schweiz, 1525-1860, 31988
  • T.P. Labhart, Géologie de la Suisse, 1997 (allemand 31995)
  • Ch. Pfister, Wetternachhersage, 1999
Préhistoire et Antiquité
  • L. Pauli, Die Alpen in Frühzeit und Mittelalter, 21981
  • A. Gallay, «La place des Alpes dans la néolithisation de l'Europe», in The Neolithisation of the Alpine Region, éd. P. Biagi, 1990, 23-42
  • M. Primas et al., Archäologie zwischen Vierwaldstättersee und Gotthard, 1992
  • P. Della Casa, éd., Prähistorische Umwelt, Gesellschaft und Wirtschaft in den Alpen, 1999
  • P. Della Casa, Mesolcina praehistorica, 2000
Démographie et histoire sociale
  • H. Bernhard et al., Studien zur Gebirgsentvölkerung, 1928
  • R. McC. Netting, Balancing on an Alp, 1981
  • M. Bundi, Zur Besiedlungs- und Wirtschaftsgeschichte Graubündens im Mittelalter, 1982
  • F. Walter, Les campagnes fribourgeoises à l'âge des révolutions (1798-1856), 1983
  • M. Mattmüller, Bevölkerungsgeschichte der Schweiz, 1re partie, 2 vol., 1987
  • L. Zanzi, E. Rizzi, I Walser nella storia delle Alpi, 1988
  • A. Zurfluh, Une population alpine dans la Confédération, 1988
  • P.P. Viazzo, Upland Communities, 1989
  • P. Dubuis, Une économie alpine à la fin du Moyen Age, 2 vol., 1990
  • U. Kälin, Die Urner Magistratenfamilien, 1991
  • Die Erhaltung der bäuerlichen Kulturlandschaft in den Alpen, 1992
  • B. Mesmer, éd., Le chemin d'expatriation, 1992
Histoire économique
  • H. Walter, «Bergbau und Bergbauversuche in den Fünf Orten », in Der Geschichtsfreund, 78, 1923, 1-107; 79, 1924, 79-180; 80, 1925, 69-172
  • H. Grossmann, Flösserei und Holzhandel aus den Schweizer Bergen bis zum Ende des 19. Jahrhunderts, 1972
  • H.C. Peyer, «Wollgewerbe, Viehzucht, Solddienst und Bevölkerungsentwicklung in Stadt und Landschaft Freiburg i.Ü. vom 14. bis 16. Jahrhundert», in Agrarische Nebengewerbe und Formen der Reagrarisierung im Spätmittelalter und 19./20. Jahrhundert, éd. H. Kellenbenz, 1975, 79-95
  • G. Bloetzer, Die Oberaufsicht über die Forstpolizei nach schweizerischem Bundesstaatsrecht, 1978
  • F. Glauser, «Von alpiner Landwirtschaft beidseits des St. Gotthards 1000-1350», in Der Geschichtsfreund, 141, 1988, 5-173
  • J. Mathieu, Eine Agrargeschichte der inneren Alpen, 1992
  • T. Kuonen, Histoire des forêts de la région de Sion du Moyen-Age à nos jours, 1993
  • J.D. Parolini, Zur Geschichte der Waldnutzung im Gebiet des heutigen Schweizerischen Nationalparks, 1995
  • R. Sablonier, «Waldschutz, Naturgefahren und Waldnutzung in der mittelalterlichen Innerschweiz», in Journal forestier suisse, 146, 1995, 581-596
Trafic
  • Geschichte des mittelalterlichen Handels und Verkehrs zwischen Deutschland und Italien mit Ausschluss von Venedig, 2 vol., 1900 (21966)
  • W. Baumann, Der Güterverkehr über den St. Gotthardpass vor Eröffnung der Gotthardbahn, 1954
  • M.C. Daviso di Charvensod, I pedaggi delle Alpi occidentali nel medioevo, 1961
  • F. Glauser, «Der internationale Gotthardtransit im Lichte des Luzerner Zentnerzolles 1493-1505», in Revue suisse d'histoire, 18, 1968, 177-245
  • W. Schnyder, éd., Handel und Verkehr über die Bündner Pässe im Mittelalter, 2 vol., 1973-1975
  • H. Hassinger, «Zur Verkehrsgeschichte der Alpenpässe in der vorindustriellen Zeit», in Vierteljahrschrift für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte, 66, 1979, 441-465
  • J. Simonett, Verkehrserneuerung und Verkehrsverlagerung in Graubünden, 1986
  • G. Imboden et al., éd., Kaspar Jodok von Stockalper, Handels- und Rechnungsbücher, 1-, 1987-
  • S. Brönnimann, «Die schiff- und flössbaren Gewässer in den Alpen von 1500 bis 1800», in Der Geschichtsfreund, 150, 1997, 119-178
  • A. Esch, Alltag der Entscheidung, 1998
  • L. Tissot, Naissance d'une industrie touristique, 2000
  • F. Glauser, «Handel und Verkehr zwischen Schwaben und Italien vom 10. bis 13. Jahrhundert», in Vorträge und Forschungen, 52, 2001, 229-293
Ethnologie, histoire culturelle et mentalités
  • H. Büttner, I. Müller, Frühes Christentum im Schweizerischen Alpenraum, 1967
  • Helvetia Sacra, 10 vol., 1972-2007
  • Ars Helvetica, 13 vol., 1987-1993
  • H. Horat, L'architecture religieuse, 1988
  • F. Walter, Les Suisses et l'environnement, 1990
  • F. Walter, «La montagne des Suisses», in Etudes rurales, 1991, nos 121/124, 91-107
  • G.P. Marchal, A. Mattioli, éd., La Suisse imaginée, 1992
  • A. Niederer, Alpine Alltagskultur zwischen Beharrung und Wandel, 1993
  • A. Zurfluh, Un monde contre le changement, une culture au cœur des Alpes, 1993
  • P. Felder, Die Kunstlandschaft Innerschweiz, 1995
  • R. Ceschi, Nel labirinto delle valli, 1999
Liens
Autres liens
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Suggestion de citation

Jean-François Bergier; Margrit Irniger; Christian Pfister; Philippe Della Casa; François Wiblé; Florian Hitz; Hans Stadler; Anton Schuler; Ulrich Pfister; Thomas Busset; Fritz Glauser; Quirinus Reichen; Catherine Santschi; Enrico Castelnuovo; Heinz Horat; François Walter: "Alpes", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 17.07.2013, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/008569/2013-07-17/, consulté le 19.03.2024.