Quelques historiens alémaniques appellent guerre de Morgarten une série d'événements survenus dans les années 1310 et qui culminèrent dans la bataille du même nom (1315).
Contexte et causes
En juin 1309, l'empereur Henri VII de Luxembourg confirma l'immédiateté impériale, non reconnue par les Habsbourg-Autriche, des trois Waldstätten, qu'il réunit dans un bailliage impérial confié au comte Werner von Homberg. Dès lors, les relations se détériorèrent entre les ducs d'Autriche, qui s'efforçaient de conserver leur souveraineté sur Schwytz et Unterwald, et les Waldstätten, surtout les Schwytzois. Les poursuites lancées en Suisse centrale contre les meurtriers de l'empereur Albert Ier de Habsbourg (assassiné en 1308 à Königsfelden) avivèrent la tension. En outre, plusieurs tentatives d'arbitrage ne parvinrent pas à calmer le conflit opposant, à propos de droits d'usage dans des alpages et forêts, l'abbaye d'Einsiedeln, dont les Habsbourg détenaient l'avouerie, et les Schwytzois; ceux-ci furent frappés d'excommunication et, ulcérés, attaquèrent le couvent pendant la nuit des Rois de 1314 (Marchenstreit). D'autre part, le conflit de 1314-1315 entre Louis de Bavière et Frédéric le Beau de Habsbourg, tous deux prétendants élus au trône impérial, compliqua la situation en Suisse centrale. Tandis que les Waldstätten se plaçaient sous la protection de Louis, Frédéric les mit au ban de l'Empire, mesure que le duc Léopold s'apprêta à faire appliquer au nom de la puissance autrichienne. Selon les recherches récentes, l'intérêt de l'Autriche pour le comté de Rapperswil semble avoir joué aussi un rôle dans le déclenchement des hostilités; la présence de Léopold dans la région serait une riposte aux prétentions de Werner von Homberg sur l'héritage des Rapperswil, en particulier l'avouerie sur les biens et les hommes d'Einsiedeln.
La bataille de Morgarten et ses conséquences
Le duc Léopold, à l'issue d'une campagne en Souabe, rassembla ses troupes dans la ville habsbourgeoise de Zoug. Le matin du 15 novembre 1315, il prit la direction de Sattel, par la vallée d'Ägeri. On ignore s'il visait la vallée de Schwytz, les territoires disputés de l'abbaye d'Einsiedeln ou même toute la région jusqu'aux abords du lac de Zurich. Ce qui est certain, c'est que les Schwytzois attaquèrent l'armée de Léopold près de Schornen, au lieudit Hauptsee, à l'extrémité sud du lac d'Ägeri, et la mirent en fuite après un corps-à-corps bref, mais sanglant.
Ensuite, les Schwytzois tinrent surtout à renforcer leur alliance avec les gens d'Uri et d'Unterwald. Le 9 décembre 1315, les représentants des trois pays se réunirent à Brunnen et conclurent un nouveau pacte (Pactes fédéraux), dont la principale extension, par rapport à celui de 1291, consistait en une série de dispositions définissant une politique "étrangère" commune (principes que les Waldstätten observeront durant des siècles). La garantie des droits seigneuriaux était réaffirmée, mais expressément supprimée envers un seigneur qui attaquerait l'un des alliés. Jusqu'à la fin du XIXe s., le pacte de 1315 fut considéré comme la charte fondatrice de la Confédération.
En mars 1316, Louis de Bavière reconnut les droits et privilèges des trois cantons. De son côté, le duc Léopold prépara contre eux de nouvelles actions. La "petite guerre" se poursuivit avec des campagnes des Schwytzois dans le Gaster et des Unterwaldiens dans l'Oberland bernois. En 1318, les Waldstätten isolés conclurent avec Léopold un cessez-le-feu qui fut ensuite reconduit d'année en année. Les alliances de 1323 entre les Waldstätten et la ville de Berne, ainsi qu'entre Schwytz et Glaris s'inscrivent dans le contexte du conflit encore non résolu avec l'Autriche.
Tradition et état des recherches
Parmi les chroniqueurs contemporains, Jean de Winterthour donne un récit détaillé de la bataille. Mais il s'inspire de modèles bibliques (surtout des livres de Judith, Esther et Jérémie) et il s'avère difficile de démêler les éléments authentiques. Pour les XVe et XVIe s., on doit constater que ni la guerre, ni la bataille de Morgarten ne sont mentionnées dans le Livre blanc de Sarnen.
La bataille elle-même pose de nombreuses questions de détail qui ont fait l'objet de réflexions abondantes et parfois de controverses. La discussion sur le site exact de la rencontre a entraîné au début du XXe s. une querelle entre Schwytz et Zoug quant à l'emplacement du monument commémoratif. Un autre débat porte sur l'itinéraire de Léopold; on se demande pourquoi il n'a pas choisi la voie la plus directe pour Schwytz, celle passant par Arth, et comment il se fait que des nobles de Hünenberg aient pu, selon la tradition, avertir les Schwytzois, par des messages fixés à des flèches, de "veiller au Morgarten". On a beaucoup parlé des effectifs en présence et du nombre de morts. Les Autrichiens devaient être quelques milliers (et non plusieurs dizaines de milliers, estimation excessive) et les Waldstätten sans doute environ mille, pour la plupart Schwytzois. Les recherches récentes indiquent quelques centaines de morts, cavaliers et piétons, du côté autrichien, alors que, selon la tradition, confirmée par les obituaires, les Waldstätten n'auraient perdu que quelques hommes. On a débattu abondamment des techniques de combat et de la tactique, mais généralement d'un point de vue trop moderne. On s'est penché aussi sur l'entreprise du comte Othon de Strassberg contre Obwald, qui, pour nombre d'auteurs mais pas pour tous, était coordonnée avec l'offensive de Léopold à Morgarten.
Morgarten, lieu de mémoire
Dans la vision traditionnelle, Morgarten est la première bataille des Confédérés pour leur liberté et leur victoire scelle le destin de leur alliance (Mythes fondateurs). Plus récemment est apparue une perspective différente: en plaçant les Waldstätten dans un contexte plus large que celui de la Confédération dont ils sont le noyau, on s'aperçoit qu'après le 15 novembre 1315, les tensions en Souabe et en Suisse centrale subsistent et que les Habsbourg ne sont pas définitivement affaiblis.
Plus que l'événement lui-même, c'est la signification centrale qu'on lui a donnée ultérieurement dans l'histoire de la Confédération qui est importante. A la fin du Moyen Age, on organisait des commémorations religieuses de portée locale (Commémoration de batailles). Aux XIXe et XXe s., le culte du souvenir, laïcisé, se manifesta par des journées commémoratives, par l'érection d'un monument en 1908 au Buchwäldli (sur sol zougois), par l'institution en 1912 du tir de Morgarten et par celle, en 1957, du tir au pistolet de Schornen (comm. Sattel). Près de la chapelle de Morgarten (mentionnée dès le début du XVIe s.) à Schornen, on a aménagé en 1965, à l'occasion de la célébration nationale du 650e anniversaire, une place du souvenir qui accueille aujourd'hui encore les fêtes annuelles organisées par la commune de Sattel, le district et le canton de Schwytz, en collaboration avec le canton de Zoug. Le terrain où se trouvent la chapelle, la place et la tour de la Letzi est géré par la Fondation des écoliers suisses pour la conservation du champ de bataille de Morgarten (créée en 1965). La façade de l'hôtel de ville de Schwytz s'orne d'une fresque de Ferdinand Wagner (1891), qui a marqué l'imagerie de Morgarten. Le culte du souvenir se rattache à une vision traditionnelle des événements de 1315, qui subsiste à côté des analyses plus récentes tendant à réévaluer leur portée. Cette vision traditionnelle était notamment celle du film de Leopold Lindtberg, Le landamman Stauffacher (1941) qui racontait les événements avant le déclenchement de la bataille et contribua à la propagande de la défense spirituelle.
Sources et bibliographie
- W. Oechsli, Die Anfänge der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 1891, index 551 a-q
- QW, I/2
- C. Amgwerd, « Die Schlacht und das Schlachtfeld am Morgarten», in MHVS, 49, 1951, 1-128
- B. Meyer, «Die Schlacht am Morgarten», in RSH, 16, 1966, 129-179
- M. Schnitzer, Die Morgartenschlacht im werdenden schweizerischen Nationalbewusstsein, 1969
- H.R. Müller, Morgarten, 1986
- P. Blickle, «Friede und Verfassung», in Innerschweiz und frühe Eidgenossenschaft, 1, 1990, 44-50
- Ch. Henggeler, "Der dritte Morgartenkrieg", 1990
- B. Sutter, «Morgarten, ein Erinnerungsort zwischen Geschichte und Tradition», in Zug erkunden, 2002, 280-303
- R. Sablonier, Gründungszeit ohne Eidgenossen, 2008, 141-160
- MHVS, 107, 2015
- «Neue Sicht(en) auf Morgarten 1315?», in Gfr., 168, 2015, 7-210
- B. Meier, Von Morgarten bis Marignano, 2015
- J.-D. Morerod, «La bataille de Morgarten a bel et bien eu lieu», in Passé simple, 2015, n° 8, 18-21