Auteure/Auteur:
Michael Zeuske
Traduction:
Laurence Margairaz
Débutant à la préhistoire (environ 8000 av. J.-C.) et s'étendant jusqu'à nos jours, l'histoire globale de l'esclavage comprend plusieurs grandes phases: jusqu'au IIIe millénaire av. J.-C., une période sans institutions ni règles juridiques fixes; à partir du IIIe millénaire av. J.-C. environ, l’esclavage familial et domestique (prisonniers de guerre, femmes et enfants – invisibilisés en tant que personnes esclavagisées – qui appartenaient à une famille ou à un clan); entre le début du XVIe siècle et 1888, la traite transatlantique (commerce maritime) et, jusqu'au XXe siècle, les pratiques d’esclavage en Afrique et en Asie. Parmi les usages actuels «modernes» de la servitude, pour la plupart illégaux, figurent la traite des êtres humains et des enfants, la prostitution contrainte, les formes religieuses d'esclavage et le travail forcé. A l'exception de la traite transatlantique, aucune de ces pratiques d’asservissement n'a été officiellement abolie, bien qu'il existe des lois contre la possession d'êtres humains dans le monde entier (tel l'article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme).
Les êtres humains sont asservis à la suite de guerre, pillage, condamnation et endettement. La majorité des personnes esclavagisées depuis les Temps modernes étaient et sont toujours des femmes et des enfants, le plus souvent des filles; les hommes étaient avant tout esclavagisés après avoir été faits prisonniers de guerre et lors de la traite transatlantique. Une grande partie des personnes asservies mouraient en esclavage. Celles qui purent se libérer le firent par la fuite, la rébellion ou la révolution, l'achat de leur liberté, l'affranchissement, la décision de l'Etat ou l’abolition (abolitionnisme).
Les personnes esclavagisées sont soumises à la violence concrète d'autrui contre leur intégrité physique et à la limitation, par leurs propriétaires et par les institutions, de leur mobilité géographique et sociale. Contraintes de travailler pour leurs détentrices ou détenteurs, elles sont utilisées pour la reproduction et la prostitution, mais aussi pour le service militaire et le service de garde, et sont des marqueurs de pouvoir et de statut social. En outre, en tant que «marchandises», elles constituent un capital d'investissement et d'échange. L'histoire de l'esclavage est marquée par deux principaux types de dégradation du statut de la personne: l'un interne, selon des critères socio-économiques (comme l'endettement), le sexe et l'âge; l'autre externe, par dénigrement systématique de l'origine, altérisation et déshumanisation, ainsi que par le biais de théories religieuses et «scientifiques» proclamant la supériorité d'une «civilisation» et d'une «race» sur les autres (racisme).
Les dispositions de l’autorité sur les personnes réduites en esclavage étaient réglées dans le cadre légal du «droit de propriété». En Europe, il était régi par le droit romain et les recueils de droit des Etats coloniaux (colonialisme) s'inscrivant dans la tradition de ce dernier (en particulier l'Espagne et le Portugal). Dans le monde anglophone et ses colonies, il était réglementé par la common law. En outre, d'autres empires (aztèque, inca, chinois, perse, ottoman, russe, Etats princiers des Indes) pratiquaient également l’esclavageendogène selon leurs propres usages, religions, règles et systèmes juridiques. S'y ajoutaient les sociétés esclavagistes à petite échelle, non étatiques, ainsi que des pratiques de «petit» esclavage et de servitude pour dettes, souvent non désignées par ce terme. Le présent article se penche sur l’époque romaine et donne un bref aperçu de la situation au haut Moyen Age. Il aborde ensuite la traite transatlantique, puis l'attitude du Conseil fédéral et du Parlement (Assemblée fédérale) face à la question de l'esclavage durant la seconde moitié du XIXe siècle.
Malgré les différences géographiques et culturelles, l'esclavage est omniprésent dans les sociétés du monde antique. Le manque de sources ne permet toutefois pas de restituer les diverses formes de servitude en usage chez les Gaulois (Gaule), les Helvètes et autres peuples celtes installés sur le territoire de la Suisse actuelle. Dans la Guerre des Gaules (De bello gallico), César fait état d'une forme de servitude pour dettes parmi les Gaulois et mentionne que les Helvètes réduisaient en esclavage leurs adversaires de guerre; une pratique qui était également courante chez les Romains, qui asservirent ainsi de nombreux Celtes, Gaulois et Germains. Les peuples alliés furent épargnés par ce sort, sauf lorsqu'ils s'opposaient à la domination romaine. Ainsi, selon Tacite, en 69 apr. J.-C., un conflit entre la civitas des Helvètes et les légions romaines entraîna la mise en esclavage d'une grande partie de la population helvète. L'intégration successive du territoire de la Suisse actuelle dans l'Empire romain mit fin à l'asservissement de la population locale par les Romains.
L’afflux de personnes esclavagisées fut assuré tant que les Romains étendaient leur Empire et étaient impliqués dans des conflits dans les régions frontalières. En des temps plus pacifiques, ils recouraient davantage aux esclaves de naissance (vernae) pour couvrir les besoins en main-d'œuvre. Afin d’éviter l’utilisation des prisonniers de guerre asservis dans leur région d'origine par crainte de révoltes, ceux-ci étaient répartis dans tout l'Empire par le biais d'un réseau commercial (commerce), qui passait notamment par le Grand-Saint-Bernard comme le suggère une plaquette votive offerte à Jupiter Poeninus par un marchand d'esclaves helvète. On ne peut que spéculer sur le nombre de personnes réduites en esclavage par rapport à la population libre.
Ex-voto de l'Helvète Gaius Domitius Carassounus, marchand d'esclaves (mango) lui-même affranchi d'origine celte, au dieu local Jupiter Poeninus pour s'assurer la bonne traversée du col du Grand-Saint-Bernard (Summus Poeninus). Bronze, début du Ier siècle apr. J.-C., 14,7 x 24,4 cm, trouvé à Bourg-Saint-Pierre (Musée national suisse, Zurich, A-56435).
Répandu dans tout l'Empire romain, l'esclavage était juridiquement réglementé. Jusqu'à l'octroi de la citoyenneté romaine à tous les habitants et habitantes libres de l'Imperium Romanum en 212 apr. J.-C. par l’édit de Caracalla (Constitutio Antoniniana), le droit romain et les réglementations locales pour les non-citoyens coexistaient (romanisation). Dans le droit romain, les personnes esclavagisées étaient considérées comme la chose et la propriété de leur dominus. Leurs conditions de vie variaient selon le maître ou la maîtresse et le domaine d'activité. Elles étaient utilisées pour une multitude de travaux, que ce soit dans l'agriculture, la construction, le ménage ou l'artisanat. Des tuiles provenant de Cerlier et Wettswil am Albis mentionnent notamment que des esclaves étaient impliqués dans la production de ces dernières. Le travail libre et le travail non libre coexistaient fréquemment.
Fragment de tuile avec graffito datant de l'époque romaine, trouvé en 1950 à Cerlier. Terre cuite, 22,5 x 24 x 3 cm (Musée national suisse, Zurich, A-86274).
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Les esclaves pouvaient être la propriété non seulement d’individus, mais également de villes et de corporations. Dans ces cas, ils étaient souvent chargés de l'entretien des infrastructures urbaines, de la construction de routes et de bâtiments publics, ainsi que de tâches administratives. De même, des esclaves de l'empereur et surtout des affranchis ayant appartenant à ce dernier étaient employés dans de nombreuses activités administratives. Ainsi, à Genève, Aurelius Valens, un affranchi impérial qui disposait lui-même d'affranchis et d'esclaves, était responsable du poste de douane de la ville.
Selon le droit romain, les esclaves pouvaient être affranchis à partir de l'âge de 30 ans. Des affranchissements plus précoces étaient possibles, mais ils entraînaient une dégradation du statut juridique. Celui-ci dépendait du statut de leur ancien maître, qui devenait leur patron (clientélisme). Si le patron possédait la citoyenneté romaine, ses affranchies et affranchis devenaient soit citoyens romains, soit citoyens latins avec des droits matrimoniaux et successoraux limités (Lex Iunia Norbana). Si le patron n’avait pas la citoyenneté romaine (peregrinus), ses affranchies et affranchis étaient également considérés comme pérégrins, ce qui devint caduc avec la Constitutio Antoniniana. Toutefois, le droit romain faisait la distinction entre celles et ceux qui étaient nés libres (ingenui) et les affranchies et affranchis (libertini/liberti). Les enfants de libres et d'affranchis étaient considérés comme nés libres; en cas de doute, le statut de la mère au moment de la naissance était déterminant. Les enfants nés libres bénéficiaient d'un statut juridique plus favorable que les affranchis, qui ne pouvaient par exemple pas exercer de fonctions supérieures, ni accéder au rang de sénateur.
Certains esclaves avaient la possibilité de s'affranchir eux-mêmes grâce aux revenus d'un peculium: il s’agissait d’un bien particulier, comme un troupeau de bétail ou une exploitation, appartenant au maître (pater familias), que celui-ci pouvait confier à un ou une esclave pour qu'il ou elle la gère et l’administre de manière indépendante. Même après leur libération, les affranchies et affranchis restaient soumis au pouvoir de disposition (potestas) de leur patron et pouvaient, en particulier s'ils n'étaient pas en mesure de payer la somme d'affranchissement, être tenus d'accomplir certaines tâches fixées par contrat pour leur ancien maître. Tout manquement à ces obligations pouvait entraîner une nouvelle mise en esclavage. Il n’était pas rare que des affranchis restent vivre dans le foyer de leur patron et assument des activités à plus grande responsabilité, comme la gestion d'un domaine rural éloigné (villa). L'inscription de Quintus Postumius Hyginus et de son affranchi Postumius Hermes pour la fondation d’un collège de médecins et d'enseignants, conservée à Avenches, laisse supposer que les deux fondateurs appartenaient à cette catégorie professionnelle, le second ayant sans doute d'abord travaillé comme esclave, puis comme assistant libre du premier.
La relation entre patron et affranchis ou affranchies pouvait être très étroite, comme en témoignent différentes inscriptions funéraires: à Munzach, un patron commémore son affranchie décédée à l'âge de 16 ans et sa sœur âgée d'un an; à Morat, la pierre tombale de Titus Nigrius Saturninus fut érigée par son affranchie et épouse.
L'esclavage faisait partie de la réalité de la vie romaine et n’était que rarement contesté. Lors de la christianisation croissante de l'Empire romain, l'esclavage ne fut pas foncièrement remis en question, les institutions religieuses et les monastères possédant eux-mêmes des esclaves. La possibilité d'un affranchissement par l’Eglise (manumissio in ecclesia) fut introduite. Toutefois, dans la sphère ecclésiastique, les affranchis n'étaient pas non plus placés sur un pied d'égalité avec ceux nés libres; l'entrée dans le clergé supérieur leur était par exemple interdite. Au IVe siècle, le colonat introduisit une nouvelle forme de liberté limitée: les paysans étaient plus étroitement liés juridiquement à la terre qu'ils avaient louée, et ni eux ni leurs enfants ne pouvaient la quitter sans l'accord du propriétaire.
Les différentes puissances qui succédèrent à l'Empire romain et investirent le territoire de la Suisse actuelle s’inspirèrent du droit romain, reprenant également ses dispositions relatives à l'esclavage, tout en les adaptant sur certains points à leur contexte sociétal (lois barbares). Au haut Moyen Age, les esclaves ou les personnes non libres voyaient leurs droits limités en matière de propriété et de mariage (formariage)sanctionné par l'Eglise. Leur situation restait précaire, car la reconnaissance de leurs droits dépendait de leurs maîtres (familia) et il n’y avait guère de possibilités de recours. Le terme latin servus (esclave) perdit probablement sa signification initiale vers l’an mille et désigna désormais d'autres formes de dépendance (affranchis, hommes libres, assujettis aux corvées). A partir du VIIIe siècle déjà, dans le nord-est de la Suisse actuelle au moins, on parlait de mancipii (servage) – dérivé de la mancipation romaine – et de servitores (serviteurs) plutôt que de servi. En regard des statuts et du droit des tenanciers contemporains ainsi que de la loi des Alamans, la condition de ces serfs, servantes et valets (seigneurie foncière) ne peut être que partiellement comparée à celle des esclaves de l'Antiquité romaine. A partir du XIIe siècle, le mot «slave» (de la dénomination ethnique «Slave» d'où le mot «esclave» est dérivé) fut utilisé comme terme alternatif pour servus.
Epoque moderne
Auteure/Auteur:
Bouda Etemad
Avec la «découverte» de l’Amérique par les Européens et sa mise en exploitation coloniale, l’histoire de l’esclavage se focalise durablement sur le système d’échanges qui se constitue autour de l’Atlantique, reliant l’Europe et l’Afrique au continent américain (Amérique latine, Caraïbes, Etats-Unis d'Amérique). La mise en place dans les colonies européennes d’Amérique d’une économie de plantation, gourmande en main-d’œuvre, incita les Européens et les élites coloniales américaines à organiser, à partir des côtes africaines, en s'appuyant sur des réseaux locaux (notamment en Afrique occidentale), un déplacement de population aussi massif que dramatique. De 1519 à 1867, les principaux marchands européens impliqués dans le commerce des esclaves étaient issus du Portugal et de la Grande-Bretagne. Entre le début du XVIe et le dernier tiers du XIXe siècle, la traite atlantique fournit à l’Amérique 10 à 11 millions de captives et captifs africains, destinés à y être réduits en esclavage.
Les événements historiques se reflètent dans l'évolution quantitative du commerce des esclaves. Le début de la guerre d'indépendance des Etats-Unis en 1775 ou le soulèvement des esclaves à Saint-Domingue en 1791 entraînèrent un effondrement temporaire de la traite atlantique. On aperçoit également les effets de l'interdiction du commerce des esclaves dans les territoires britanniques en 1807-1808 et du traité de 1830 entre l'Angleterre et le Brésil pour lutter contre la traite des Noirs (Source: extrapolations de la Trans-Atlantic Slave Trade Database et de l'Intra-American Slave Trade Database sur slavevoyages.org [janvier 2023]).
La grande majorité des Suisses apparut dans le vaste réseau d'échanges atlantique durant son apogée dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ils étaient fabricants de textiles (industrie textile), grands négociants, manieurs d’argent (place financière). L’extension du réseau atlantique leur permit d’y entrer pour lui fournir, d’un côté, plus de produits (essentiellement des indiennes ou toiles de coton imprimées) à fabriquer et à troquer contre des captives et captifs noirs de plus en plus nombreux à être embarqués; et, de l’autre côté, plus de capitaux à investir soit dans des transports d'esclaves qui se multipliaient, soit dans des plantations américaines qui passaient pour des lieux de placement attrayants.
Eaux-fortes de François Aimé Louis Dumoulin, tirées de la Collection de cent-cinquante gravures [illustrant les] Voyages et aventures surprenantes de Robinson Crusoé, impression de Blanchoud, Loertscher et fils, Vevey, vers 1818 (seconde édition), planches numéro 4 et 5 (Musée historique de Vevey, Inv. MhV 5418).
[…]
Les entreprises suisses de négoce, impliquées dans le circuit atlantique, ne vendaient pas seulement des indiennes, marchandise de traite par excellence; elles prenaient également des parts dans le commerce des esclaves; de plus, elles vendaient des denrées (sucre, café, cacao, coton) produites par une main-d’œuvre servile dans les colonies américaines. Elles étaient pour la plupart originaires de Bâle (Christoph Burckhardt & Cie, Christoph Burckhardt; Weis & fils; Riedy & Thurninger; Kuster & Pelloutier; Simon & Roques), de Neuchâtel (Favre-Petitpierre& Cie; Pourtalès et Cie, Pourtalès; Gorgerat Frères& Cie) et de Genève (Labat Frères; Rivier & Cie; Jean-LouisBaux & Cie). L’implication strictement financière des Suisses fit, quant à elle, apparaître des manieurs d’argent (tel le Neuchâtelois David de Pury), des banques (à l’instar des établissements Marcuard & Cie et Zeerleder & Cie de Berne ou Tourton & Baur et Mallet frères & Cie aux fortes attaches genevoises), voire des villes (comme Berne et Zurich). Ces acteurs étaient le plus souvent actionnaires de grandes compagnies à charte (telles la portugaise Pernambuco e Paraíba, la Compagnie française des Indes ou la South Sea Company anglaise), engagées à des degrés divers dans la traite des esclaves et le commerce colonial.
Selon un décompte provisoire, la participation sous toutes ses formes des Suisses à la traite atlantique entraîna, de 1719 à 1830, le déplacement de plus de 170'000 Noirs, soit environ 2% du total des captives etcaptifs africains embarqués par les vaisseaux européens durant cette période de plus d’un siècle. Les études de cas montrent que, pour les Suisses, le commerce des esclaves ne représentait qu’une fraction réduite de leurs activités de négoce et d’investissement. Ce qui fit d’eux des marchands d'esclaves de circonstance. A l'instar des autres pays européens, la Suisse comptait pourtant sur son territoire des personnes esclavagisées originaires des colonies. Ce fut le cas de Pauline Buisson, amenée à Yverdon dans les années 1770 par David-Philippe de Treytorrens, qui fut son propriétaire à Saint-Domingue.
L’implication dans l’esclavage se situait en aval de la traite des Noirs. Dans l’Amérique coloniale, des Suisses, principalement des planteurs et accessoirement des marchands, possédaient et utilisaient des esclaves avant tout comme travailleurs et travailleuses agricoles, mais aussi comme employés ou domestiques. Au XVIIIe siècle, on les trouvait d’abord dans les Caraïbes (zone incluant la Guyane néerlandaise, Suriname), puis, après les révoltes d’esclaves à Saint-Domingue (Haïti) et en Jamaïque, plutôt dans le sud des Etats-Unis et au Brésil. Les propriétaires suisses de plantations esclavagistes exploitaient rarement eux-mêmes leurs domaines, dédiés à la culture du sucre, du café, du cacao, du coton ou du riz. Ils en déléguaient l’administration à des agents, parfois suisses, établis sur place.
Parmi les propriétaires absentéistes, gérant leurs «plantages» principalement depuis la Suisse ou l’une des grandes places européennes (Amsterdam, Londres), figuraient notamment Jacques-Louis de Pourtalès et son associé bâlois Johann Jakob Thurneysen, qui possédaient de grandes plantations sur l'île de la Grenade. Ce fut le cas également des frères bâlois Johannes et Johann Jakob Faesch, du Vaudois Jean Samuel Guisan et du Neuchâtelois Pierre Alexandre DuPeyrou. Dans cette catégorie prenaient place encore des Genevois: François Fatio, Michel Trollet, David Flournois, Isaac Vernet, Jean Gallatin, Jean Zacharie Robin.
La traite des esclaves de la fin du XVIIIe au début du XIXe siècle
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La traite des esclaves de la fin du XVIIIe au début du XIXe siècle
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La traite des esclaves de la fin du XVIIIe au début du XIXe siècle
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La traite des esclaves de la fin du XVIIIe au début du XIXe siècle
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Parmi les propriétaires exploitant eux-mêmes leurs domaines et résidant sur place, il y avait dans les Caraïbes et en Guyane néerlandaise les Genevois Jean Trembley, Ami Butini, Charles-Alexandre Dunant, Jacques Théodore Colladon, Jean Antoine Bertrand, Henri Peschier et Henri Rieu, auxquels il faut ajouter Raymond Marie et Pierre Gautier, faisant partie des planteurs indemnisés après la révolution haïtienne (1791-1803), en compensation de la perte de leurs biens. Des Suisses issus d'autres cantons étaient aussi présents dans les Caraïbes et en Amérique du Sud comme propriétaires de plantations, tels le Zurichois Friedrich Ludwig Escher (oncle d'Alfred Escher) à Cuba et le Saint-Gallois Paulus Züblin au Guyana.En Caroline du Sud, deux colonies suisses, l’une fondée par le Neuchâtelois Jean Pierre de Pury (père de David de Pury) et l’autre par l’Appenzellois Johannes Tobler, s’établirent sur des terres dont une fraction était exploitée en ayant recours à de la main-d’œuvre servile. Au XIXe siècle, des immigrés helvétiques (surtout d’origine vaudoise, neuchâteloise et zurichoise) débarquèrent au Brésil et s’installèrent dans les régions de Bahia et de Sao Paulo, où ils cultivèrent le café sur de grandes exploitations esclavagistes.
Ne connaissant habituellement ni l’exacte superficie, ni l’effectif précis des esclaves qui y travaillaient, ni les types de culture pratiqués, sans parler de leurs comptabilités, il est difficile de dire si les plantations étaient de bonnes ou de mauvaises affaires pour leurs propriétaires, résidents ou non. Il semblerait à première vue que leurs exploitations donnaient lieu à autant de déboires (Sophie-Adrienne Martinet Larguier des Bancels) qu’à de juteux profits (David de Pury, Auguste-Frédéric de Meuron). Par ailleurs, l’hostilité du milieu épidémiologique pour les Européens, décimés par les maladies tropicales meurtrières, est à prendre en considération dans le tableau. En définitive, pour qui tient compte de la contextualisation, la traite atlantique et l’esclavage des Noirs représentaient pour les Suisses qui y étaient impliqués, comme pour les autres marchands et investisseurs européens, un trafic et un placement parmi d’autres.
La traite transatlantique des esclaves eut des conséquences dramatiques sur les modes de vie, les langues et les cultures autochtones. De nombreux hommes, femmes et enfants décédèrent lors de chasses aux esclaves ou durant les marches forcées vers les côtes africaines. D'autres moururent dans les forts, où ils étaient souvent emprisonnés de longs mois en vue de leur vente. Selon des estimations scientifiques, environ trois quarts des décès d'esclaves avaient lieu en Afrique. Si ces derniers survivaient à la dangereuse traversée de l'Atlantique, ils étaient revendus dans les villes portuaires. Marqués au fer d'un signe désignant leurs propriétaires, ils n'avaient plus dès lors qu'une espérance de vie de quatre à six ans en moyenne.
Bataille de la Ravine-à-Couleuvres, à Saint-Domingue, entre les rebelles commandés par Toussaint Louverture et les troupes coloniales françaises, le 23 février 1802. Illustration parue dans le 4e volume de l’Histoire du Consulat et de l’Empire d’Adolphe Thiers, dessinée par Karl Girardet, gravée par Jean-Jacques Outhwaite, éditée par Jean-Baptiste-Alexandre Paulin, Paris, 1845 (Musée du Nouveau Monde de la Rochelle, MNM.doc.2019.1.1).
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Etat fédéral
Auteure/Auteur:
Fabio Rossinelli
Au XIXe siècle, la Suisse entretenait des relations officielles avec des puissances esclavagistes. Si les rapports avec la Grande-Bretagne (abolition de l’esclavage en 1838), la France (1848) ou les Pays-Bas (1863) étaient anciens, ceux avec d’autres pays, comme les Etats-Unis (1865) et le Brésil (1888), étaient plus récents. S’étant abstenue de toute expansion territoriale outre-mer, la Confédération ne fut pas directement impliquée dans l’administration de colonies et de plantations. Certains politiciens toutefois, qui contribuèrent à façonner le jeune Etat fédéral, cultivaient des liens étroits avec le monde colonial. Louis Wyrsch, par exemple, membre de la Constituante de 1848 (Constitution fédérale), finança sa carrière politique grâce aux pensions issues du service étranger dans les Indes orientales néerlandaises (Indonésie). La Suisse officielle resta aussi en retrait par rapport à l’abolitionnisme, propagé essentiellement par des milieux intellectuels et religieux.
Premières pages du rapport du Conseil fédéral du 2 décembre 1864 concernant les propriétaires d'esclaves, publié en allemand et en français dans la Feuille fédérale (vol. 3, cahier 53) du 10 décembre 1864 (Bibliothèque nationale suisse, Berne).
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Il y eut cependant des circonstances où l’Etat fédéral se pencha sur la question. Le 23 décembre 1863, le conseiller national Wilhelm Joos déposa une motion exigeant du gouvernement l’abolition progressive de l’esclavage. Elle concernait implicitement les pays du continent américain, où ce dernier était encore pratiqué. Préconisant depuis le début des années 1860 l’émigration outre-Atlantique comme remède contre le chômage, Joos avait constaté lors d’un séjour au Brésil que l’économie esclavagiste limitait les possibilités d’embauche des émigrés helvétiques. Invoquant des principes éthiques (il s’agissait à ces yeux d’une «question d’honneur»), il proposa des mesures visant à interdire aux Suisses l’achat ou la vente d’esclaves. Rejetée par le Conseil national, sa motion ne fut pas débattue au sein du Conseil fédéral. Le 13 juillet 1864, Joos déposa une nouvelle motion. Les motifs éthiques n’ayant pas eu l’effet escompté, il prit désormais la défense des nombreux colons suisses qui travaillaient la terre comme métayers au Brésil (métayage). Vu sous cet angle, le Conseil national accepta la nouvelle motion et la transmit à l’exécutif national pour qu’il prît position. Le Conseil fédéral présenta un rapport détaillé sur le sujet le 2 décembre 1864. L’avis émis par le gouvernement, fondé en grande partie sur des expertises de Johann Jakob von Tschudi, ancien envoyé extraordinaire de la Confédération au Brésil, et Henri David, ancien consul général honoraire à Rio de Janeiro, fut négatif. L’interdiction faite aux Suisses de vendre ou d’acheter des esclaves, comme demandé par le motionnaire, n’aurait non seulement pas amélioré la condition de la main-d’œuvre suisse au Brésil, mais aurait en outre privé les propriétaires helvétiques «d’une partie de leur fortune légitimement acquise». Parmi ces derniers, souligna le Conseil fédéral, il y avait des représentants de l’Etat, tel Eugène Emile Raffard, consul général de Suisse à Rio. Joos critiqua le rapport lors d’un débat parlementaire le 10 décembre 1864. Il jugea que le Conseil fédéral sous-estimait la situation réelle au Brésil et évoqua l’abolition imminente de l’esclavage aux Etats-Unis comme argument supplémentaire pour pousser la Suisse à agir dans un sens abolitionniste. Le conseiller national Philipp Anton von Segesser, pour sa part, proposa de renvoyer la motion au Conseil fédéral pour que ce dernier étudiât la mise en place de lois interdisant le commerce des esclaves aux Suisses. Soucieux de préserver les bénéfices liés à l’économie esclavagiste, le Conseil national rejeta cette proposition. En mars 1865, Joos revint dans le Schaffhauser Intelligenzblatt sur la question de l’esclavage, qu’il qualifia de «crime contre l’humanité».
Travail à la chaîne. Reportage sur les colons suisses au Brésil de Cyril Dépraz dans l’édition de Mise au point de la télévision suisse romande du 21 janvier 2024 (Radio Télévision Suisse, Genève, Play RTS).
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La question de l’esclavage ne fut plus débattue officiellement à Berne jusqu'à l'adhésion en 1920 de la Suisse à la Société des Nations (SdN). La Confédération ratifia par la suite une série de traités internationaux, soit en 1930 la Convention relative à l’esclavage de la SdN et en 1964 la Convention supplémentaire relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l'esclavage de l’Organisation des Nations Unies (ONU). En 1974, elle adhéra à la Convention européenne des droits de l'homme, puis en 1992 au pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte II de l’ONU, adopté par l’Assemblée générale de l’ONU en 1966), qui contiennent également des articles interdisant l’esclavage. La Déclaration de Durban, adoptée en 2001 par la Conférence mondiale contre le racisme de l’ONU, qualifie la traite des esclaves de «crime contre l’humanité». L'un des délégués suisses affirma en amont de la conférence que la Confédération, qui fit partie des pays signataires de la déclaration, n'avaitjamais été impliquée dans ce type de commerce ou dans le colonialisme. Ce point de vue, que la recherche historique actuelle contredit, fut régulièrement repris par des membres du Conseil fédéral, notamment par Doris Leuthard en 2017 lors d’un voyage au Bénin et par Ignazio Cassis en 2021 dans l'émission Samstagrundschau de la radio suisse alémanique, ce qui provoqua plusieurs interventions parlementaires. Contrairement aux Etats-Unis, aux Pays-Bas, au Danemark et à la couronne britannique, la Suisse n'a pas présenté d'excuses officielles concernant l'esclavage.
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