Auteure/Auteur:
Pierre Moor
Le droit administratif consiste en l'ensemble des normes juridiques qui régissent l'organisation et l'activité des administrations publiques (Administration). Il constitue avec le droit constitutionnel une subdivision du droit public.
Il est utile de distinguer deux approches de la discipline. Il existe d'une part un droit administratif spécial, constitué par les lois et ordonnances fédérales, cantonales, communales traitant un aspect ou un autre des activités de l'administration ― ce qu'on peut appeler la législation administrative. Il existe d'autre part un droit administratif général, qui est surtout l'œuvre de la jurisprudence et de la doctrine, et qui consiste en l'analyse et la synthèse des différents concepts et institutions typiques des activités publiques, en quelque sorte la systématisation du droit administratif spécial. Il y a eu et il y a toujours entre ces deux aspects une influence réciproque.
Le développement du droit administratif général
Auteure/Auteur:
Pierre Moor
Le droit administratif tel qu'il s'est défini au XIXe s., principalement en France et en Allemagne, n'est pas le droit de n'importe quelle structure étatique: il s'est développé là où existaient séparation des pouvoirs et garantie des droits de l'homme et s'est caractérisé par la création et les activités des tribunaux appelés à statuer sur les recours des justiciables contre les actes de la puissance publique. Sa date de naissance est 1872, lorsque le Conseil d'Etat français reçut la compétence de se prononcer en dernière instance dans les litiges entre administration et administrés ― le cas français étant plus qu'un exemple, parce qu'il a servi de modèle.
L'évolution a été différente en Suisse. Dès 1874, le Tribunal fédéral, devenu juridiction permanente, a joué un rôle fondamental en statuant sur la constitutionnalité des actes de puissance publique cantonaux, essentiellement quant à leur conformité par rapport à la garantie des droits individuels. Cette voie de droit, dite "recours de droit public", a été extrêmement féconde: elle a proprement créé le droit administratif général à l'intérieur du droit constitutionnel, par le contrôle qu'elle permettait d'exercer sur les activités administratives cantonales.
La mise en place de la juridiction administrative fut beaucoup plus lente. A l'exception de certaines compétences particulières du juge civil (notamment en matière de responsabilité de l'Etat et des fonctionnaires), le régime ordinaire était celui de l'administrateur-juge, dans lequel le justiciable saisit l'autorité supérieure, en dernière instance le gouvernement (recours administratif). Ce n'est que pas à pas qu'il fut remplacé au XXe s. par un régime de recours au juge (recours de droit administratif). Sur le plan fédéral, l'adoption en 1914 de l'article 114bis de la Constitution de 1874 donna la base de l'institution d'une cour administrative fédérale; mais il fallut attendre 1928 pour que le Tribunal fédéral reçût quelques attributions en la matière. Ce n'est que par une réforme de 1968 que fut instituée une juridiction administrative fédérale à compétence générale. Une réforme de la justice acceptée en 2000 a créé le Tribunal administratif fédéral (en fonction depuis 2007, siège à Saint-Gall dès 2012). L'évolution ne fut pas plus rapide dans les cantons. Avant 1945, un seul canton, Bâle-Ville, avait un régime de juridiction administrative avec des compétences étendues. Le Valais, dans des matières à vrai dire extrêmement restreintes, avait institué aussi une juridiction spécialement compétente (1877); de même Berne, avec des attributions plus larges (1909). Dans les autres cantons, il existait pour certaines matières (droit fiscal, constructions notamment) des commissions de recours indépendantes et des attributions délimitées (droit fiscal; responsabilité de l'Etat et des fonctionnaires) étaient confiées à un juge. C'est seulement à partir de 1959 (Bâle-Campagne montra la voie) qu'ils créèrent tous, avec des modalités organiques variées, un régime de juridiction administrative au plein sens du terme; l'évolution s'est achevée dans les années 1990.
La lenteur de l'évolution se remarque aussi dans la littérature et l'enseignement. Dans les facultés de droit, l'enseignement du droit administratif n'a été introduit que peu à peu. A Zurich, par exemple, un cours fut donné en 1866, puis abandonné pour n'être repris qu'une dizaine d'années après. A Lausanne, une charge de cours a été créée en 1928, un poste de professeur en 1947 seulement. En ce qui concerne la doctrine juridique, on doit signaler l'œuvre de Jakob Schollenberger, de Fritz Fleiner et d'Erwin Ruck. En 1970, André Grisel publiait son Droit administratif suisse, premier traité présentant la matière de manière complète, systématique et pratique.
La législation administrative
Auteure/Auteur:
Pierre Moor
On caractérise le plus souvent la législation administrative du XIXe s. comme étant de police. On entend par là que le droit administratif posait des interdictions et des ordres dont la finalité était le maintien de l'ordre public, par exemple la sécurité de l'Etat, des personnes et des biens, la santé et la salubrité publiques.
Au tournant du XXe s. est apparue l'administration de prestation, liée aux nouvelles tâches des collectivités publiques: sécurité sociale, bourses d'études, assurances sociales, mise à disposition de services, d'infrastructures et de ressources de base (transports et communications, énergie, enseignement, recherche), protection ou encouragement de certains marchés (agriculture, logement). Depuis les années 1960 enfin, une administration de gestion s'occupe de l'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement, voire des politiques de la santé et du travail. Ces mutations, qui entraînent une profonde imbrication de l'Etat et de la société civile, ont amené la multiplication de la législation administrative, dont l'énoncé devient par ailleurs de moins en moins précis, utilisant des notions floues dont le sens réel n'apparaît qu'au moment de leur application concrète.
Devant la masse des responsabilités confiées à l'Etat, devant l'inertie dont est accusée, à tort ou à raison, la lourdeur d'appareils administratifs de plus en plus complexes, il y a eu, dès les années 1980, des réactions, que l'on énumère seulement ici: évaluation des politiques publiques, dérégulation, privatisation, nouvelle gestion publique.