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République helvétique

Nom officiel de l'entité étatique créée en Suisse le 12 avril 1798, à la place de l'ancienne Confédération, et qui se maintint jusqu'au 10 mars 1803 (all. Helvetische Republik, ital. Repubblica elvetica). On appelle parfois cette période "l'époque de l'Helvétique".

Aarau lui servit de capitale jusqu'en septembre 1798, puis Lucerne jusqu'en mai 1799 et enfin Berne jusqu'en mars 1803. Son territoire comprenait la plus grande partie de la Suisse actuelle, mais n'engloba jamais Genève, l'ancien évêché de Bâle ni la principauté "prussienne" de Neuchâtel. La Rhétie (Grisons) s'y rattacha le 21 avril 1799. Le 13 août 1802, la France donna son accord à l'incorporation du Fricktal, précédemment autrichien. Le Valais reçut un statut d'indépendance le 27 août 1802. On comptait 1 493 726 habitants en 1800.

Origine et organisation

Le bouleversement politique

Portrait de Mathias Alexandre Tabin, député du Valais au Grand Conseil helvétique. Huile sur toile d'un auteur inconnu, réalisée vers 1800 (Musée d’histoire du Valais, Sion) © Musée d’histoire du Valais, Sion; photographie Robert Barradi.
Portrait de Mathias Alexandre Tabin, député du Valais au Grand Conseil helvétique. Huile sur toile d'un auteur inconnu, réalisée vers 1800 (Musée d’histoire du Valais, Sion) © Musée d’histoire du Valais, Sion; photographie Robert Barradi. […]

Après le traité de Campoformio (17 octobre 1797), sanctionnant les succès remportés, tant en Europe centrale qu'en Italie, contre la Prusse et l'Autriche lors de la première guerre de coalition (1792-1797), la France révolutionnaire (Révolution française) eut les mains libres pour renverser l'Ancien Régime dans la Confédération. Le 10 octobre déjà, la France avait forcé le rattachement des pays sujets des III Ligues grisonnes à la République cisalpine; en décembre 1797, elle occupa les parties méridionales de l'évêché de Bâle, incluses dans la neutralité suisse. En même temps, Pierre Ochs élaborait à Paris, sur demande du Directoire, une constitution pour la Confédération. Exploitant le mécontentement des élites rurales dans les pays sujets et celui des bourgeois éclairés dans les cantons villes, la France encouragea de manière ciblée les efforts des partisans de la révolution. Celle-ci éclata en janvier 1798 à Bâle et dans le Pays de Vaud, puis s'étendit rapidement (Révolution helvétique); le 4 avril 1798, il n'y avait plus un seul pays sujet en Suisse. Elle fut stimulée ou déclenchée et simultanément consolidée par les troupes françaises qui, dès la fin de janvier, envahirent l'ouest du Plateau (Invasion française), pris en tenaille à la fois depuis le sud (Vaud) et le nord (Jura). Les combats de mars 1798 firent chuter l'ancienne Confédération. Les cantons de Fribourg, Soleure et Berne furent occupés; les Français commencèrent aussitôt à piller les territoires tombés sous leur autorité du fait de la conquête ou de la révolution et à les réorganiser politiquement.

La Constitution helvétique

La loi fondamentale octroyée par la France et entrée en vigueur le 12 avril 1798 était une adaptation de la Constitution française de 1795 (qui avait institué le régime du Directoire). Elle transforma la Confédération issue de la révolution helvétique en un Etat national unitaire reposant sur les principes de l'égalité des droits, de la souveraineté populaire et de la séparation des pouvoirs. Selon les principes de la démocratie représentative, les citoyens actifs désignaient, lors d'assemblées primaires tenues annuellement dans les communes, les membres du corps électoral cantonal, auquel incombait la nomination d'autorités cantonales et centrales. Chaque canton envoyait quatre députés au Sénat, huit au Grand Conseil (les deux chambres du Parlement) et un juge au Tribunal suprême. Le Directoire exécutif, composé de cinq membres, disposait de larges compétences. Il était assisté de quatre, puis six ministres, responsables des divers domaines de l'administration centrale. Il contrôlait théoriquement tout le pays grâce aux préfets nationaux (Préfet), aux sous-préfets et aux agents nationaux (Agent national). Les cantons, privés d'organes législatifs et dirigés chacun par une Chambre administrative de cinq membres, n'étaient plus que des unités administratives et judiciaires (tribunaux cantonaux et de district). La Constitution helvétique élaborée par Pierre Ochs et modifiée par le Directoire français marqua la transformation de la Suisse en un Etat moderne ne devant sa légitimité qu'à la volonté des citoyens et poursuivant le bien commun. Le français, l'allemand et l'italien furent reconnus comme langues officielles.

Les cantons

La République helvétique en 1799
La République helvétique en 1799 […]

Selon la Constitution, la République helvétique devait comprendre treize anciens cantons et huit nouveaux: Saint-Gall (ville, Alte Landschaft, Toggenbourg), Sargans (Rheintal, Sax, Gams, Werdenberg, Gaster, Uznach, Rapperswil et la Marche), Argovie (partie bernoise), Thurgovie, Bellinzone (nord du Tessin), Lugano (sud du Tessin), Léman (Vaud) et Valais. La Rhétie était invitée à adhérer. François-Philibert Le Carlier, commissaire du gouvernement français, créa deux cantons supplémentaires: celui de l'Oberland le 28 mars 1798 et, pour contrer l'opposition zougoise, celui de Baden (avec les Freie Ämter) le 11 avril. Perçue dans les cantons à landsgemeinde et dans une partie des anciens bailliages de Suisse centrale et orientale comme une menace contre la religion et contre les libertés traditionnelles, la Constitution helvétique fut imposée par la force aux cantons primitifs, dont l'offensive militaire échoua (22 avril - 3 mai 1798). Pour diminuer l'influence des régions rétives, le successeur de Le Carlier, Jean-Jacques Rapinat, créa le 4 mai trois cantons qui en remplaçaient huit (ramenant le total à dix-huit): ceux des Waldstätten (Uri, Schwytz, Unterwald, Zoug), de la Linth (Glaris, Sargans, Haut-Toggenbourg) et du Säntis (Appenzell, Saint-Gall, Rheintal, Bas-Toggenbourg).

Les classes dirigeantes

Les partisans actifs de la révolution et de la République helvétiques se recrutaient surtout dans les élites réformistes citadines; nombre d'entre eux avaient déjà revêtu auparavant des charges publiques (cantonales ou municipales). Le personnel des nouvelles institutions centrales et cantonales se composait de magistrats, de fonctionnaires, de juristes, d'officiers au service étranger, de médecins, de théologiens, de pédagogues, de marchands et d'industriels, souvent membres de la Société helvétique. Parmi les parlementaires, deux tendances apparurent: les républicains modérés et les patriotes qui, regroupant citadins plus extrémistes et représentants des campagnes, cherchèrent à accélérer le processus révolutionnaire en faisant jouer les rapports de force. Dans les anciens cantons à landsgemeinde, les charges publiques durent le plus souvent être confiées à des partisans de l'ordre ancien. A l'échelon local, les fonctions administratives allèrent à des membres des élites rurales (gros paysans, aubergistes, meuniers, chirurgiens), dont beaucoup avaient été lieutenants baillivaux, sautiers ou intendants avant 1798. La République helvétique, en faisant appel à des politiciens jeunes, provoqua un changement de génération dans les milieux dirigeants.

La phase de modernisation (1798-1800)

Evénements politiques et militaires

Pays occupé, la République helvétique dut assumer l'entretien de l'armée française en Helvétie et, comme les autres républiques sœurs, elle fut pillée sans merci. Les représentants de la France confisquèrent le trésor public et le matériel de guerre des cantons; ils obligèrent les patriciens et divers couvents à payer des contributions. Le 16 juin 1798, le commissaire Jean-Jacques Rapinat força les directeurs David Ludwig Bay et Alphons Pfyffer à démissionner, ce qui permit à Pierre Ochs et Frédéric-César de La Harpe, instigateurs de la révolution, d'entrer au gouvernement central. La conclusion d'une alliance offensive et défensive avec la France, le 19 août, mit fin officiellement aux hostilités entre les deux pays; transformée en Etat satellite, privée de toute liberté en politique étrangère, la République helvétique dut renoncer à la neutralité. Elle n'avait des représentants qu'à Paris et Milan, villes où ouvrirent alors les premières missions diplomatiques suisses permanentes.

Massacre de patriotes luganais le 29 avril 1799. Dessin à la plume aquarellé de Rocco Torricelli, vers 1800 (Museo d'arte della Svizzera italiana, Lugano, Collezione Città di Lugano).
Massacre de patriotes luganais le 29 avril 1799. Dessin à la plume aquarellé de Rocco Torricelli, vers 1800 (Museo d'arte della Svizzera italiana, Lugano, Collezione Città di Lugano). […]

Le 12 juillet 1798, les conseils helvétiques décrétèrent que chaque citoyen devrait prêter le serment à la République prévu dans la Constitution. Cette décision provoqua une insurrection à Nidwald et à Schwytz, réprimée à la demande de l'exécutif helvétique par le général Schauenburg; le 9 septembre, les troupes françaises écrasèrent la révolte, puis se livrèrent à des massacres dans le district de Stans (terreur de Nidwald). La détérioration rapide de la situation internationale après l'entrée des Autrichiens aux Grisons (18-19 octobre) incita les autorités centrales à mettre en place une organisation militaire. Les exigences de la France (mise à disposition d'un corps auxiliaire de 18 000 hommes) et l'entrée en vigueur de la loi du 13 décembre sur l'organisation de la milice poussèrent de nombreux hommes en âge de servir à s'exiler et souvent à s'engager dans des régiments d'émigrés. Après l'éclatement de la deuxième guerre de coalition, qui se déroula en partie sur sol suisse, plusieurs cantons connurent des soulèvements populaires contre le recrutement; le Parlement promulgua des lois d'exception les 30-31 mars 1799. La perte de territoires au sud et à l'est, occupés par les Alliés et passés sous l'autorité de gouvernements provisoires réactionnaires, créa des tensions au sein du Directoire exécutif, qui jouissait des pleins pouvoirs depuis le 18 mai. Le 25 juin, Frédéric-César de La Harpe contraignit son rival Pierre Ochs à se retirer. Les victoires françaises du second semestre 1799 (seconde bataille de Zurich) assurèrent la survie de la République helvétique. Les cantons alpins souffraient gravement des opérations militaires dont ils étaient le théâtre; ils bénéficièrent d'une entraide privée et publique, qui permit d'atténuer la misère de leurs habitants. Après le coup d'Etat du 18 Brumaire (9 novembre 1799) fomenté par Napoléon Bonaparte, Frédéric-César de La Harpe voulut accaparer tout le pouvoir, mais le nouveau maître de la France lui refusa son soutien. Le 7 janvier 1800, les républicains renversèrent le Vaudois et le gouvernement des patriotes jusqu'alors majoritaires ("premier coup d'Etat").

En dépit des difficultés, la République helvétique s'efforça, dans sa première phase, de lancer un processus de modernisation à long terme, fondé sur les idées des Lumières. Mais elle ne put mener à bien qu'une partie des réformes projetées.

Le rachat des redevances féodales

Dans les régions du Plateau soumises à la dîme, les paysans espéraient que le rachat des redevances féodales, prévu par l'article 13 de la Constitution helvétique, leur donnerait la pleine disposition du sol qu'ils cultivaient. Contraint d'agir, le Parlement déclara le 4 mai 1798 que les redevances féodales personnelles étaient abolies sans indemnité. Le 8 juin, il suspendit la perception des dîmes, privant de revenu les ecclésiastiques qui en dépendaient. La question du rachat des redevances féodales réelles, qui constituaient jusqu'alors la principale ressource de la République, suscita dans les conseils des débats passionnés. Les patriotes voulaient abolir les charges foncières sans indemnité, selon le modèle français; les républicains en revanche souhaitaient dédommager les propriétaires. La loi du 10 novembre prévoyait l'abolition sans indemnité des petites dîmes, tandis que les grosses dîmes et les cens fonciers devaient être rachetés par l'entremise de l'Etat. Mais les bureaux créés dans les cantons furent incapables de procéder rapidement à l'estimation de toutes les parcelles grevées et la République n'avait pas les moyens d'indemniser. On introduisit donc, le 13 décembre 1799, une procédure permettant aux censitaires de racheter directement les cens aux propriétaires.

Création d'une fiscalité moderne

Pour pouvoir renoncer aux dîmes et cens, la République devait remplacer le régime financier traditionnel par un système fiscal moderne. En déclarant propriété nationale, le 24 avril 1798, la fortune des cantons, le pays pillé par la France se mit provisoirement à l'abri de la banqueroute. La loi fiscale du 17 octobre introduisit une série d'impôts directs et indirects inédits. A ceux qui frappaient la fortune mobilière et immobilière (impôt sur le capital, impôt foncier, taxe d'habitation) s'ajoutaient un impôt de succession, des droits de mutation, un droit de timbre et des taxes sur le commerce en gros, sur les boissons vendues au détail et sur le luxe (chiens de chasse, voitures, etc.). La taxation des fortunes prit du retard et la situation financière de la République s'en ressentit. Les impôts extraordinaires levés pendant l'année de guerre 1799 eurent aussi un effet négatif sur les revenus réguliers. Comme les rendements fiscaux restaient très inférieurs aux attentes, l'Etat fut obligé dès avril 1800 de se financer par la vente de biens nationaux.

Les régales

La République helvétique s'efforça de récupérer et de centraliser les droits régaliens des anciens cantons, importants à cause des revenus qu'ils généraient. Le 4 mai 1798, elle reprit la régale des sels. Le 1er septembre, les postes furent déclarées monopoles d'Etat, mais il n'y eut pas d'étatisation des services postaux. Le 17 novembre, à la veille de la deuxième guerre de coalition, la régale des poudres fut légalisée. Le transfert de la souveraineté monétaire à l'Etat central, le 19 mars 1799, s'accompagna de l'introduction d'un système uniformisé basé sur un franc suisse valant 10 batz et 100 centimes. Cependant, la situation financière catastrophique empêcha de réaliser la conversion des espèces en circulation. Les ressources du sous-sol ne furent nationalisées que par la loi du 13 février 1800. L'unification du calendrier (26 juin 1798) fut unanimement saluée.

Le commerce et l'industrie, la réforme économique

Bien que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ne fût pas mentionné dans la Constitution helvétique, il inspira d'emblée la pratique sous la République helvétique, qui ignora les restrictions en vigueur sous l'Ancien Régime. Le 8 mai 1798, les conseils supprimèrent toutes les entraves au commerce entre cantons. Les privilèges des corporations furent abolis le 19 octobre; les artisans campagnards purent venir travailler en ville. Les exploitants de tavernes, moulins, etc. ne durent plus payer de banalités, mais furent soumis à autorisation. Cependant, devant la prolifération soudaine des auberges, le Parlement introduisit le 24 septembre 1799 des taxes de patente. On encouragea la céréaliculture et l'élevage, afin d'augmenter le rendement agricole. Le 9 mai 1798, le Directoire interdit provisoirement la chasse, qui menaçait de se développer de manière incontrôlable. En revanche, la pêche était libre, sous réserve des droits des propriétaires. Le pillage des forêts domaniales, déclarées biens nationaux, amena le gouvernement central à promulguer une ordonnance forestière le 28 février 1799. La guerre empêcha de prendre des mesures en faveur de l'industrie textile.

Evolution du droit

L'Etat sous la République helvétique 1798-1800: organigramme simplifié
L'Etat sous la République helvétique 1798-1800: organigramme simplifié […]

L'égalité des droits est sans aucun doute le principal acquis de la République helvétique. L'article 8 de la Constitution aplanit les différences de statuts de la société d'ordres, qui se perpétuaient depuis des siècles, et supprima les derniers vestiges du servage. L'article 19 créa la notion de citoyenneté suisse. Cependant, l'égalité des droits ne fut pas étendue aux femmes: pour l'écrasante majorité des politiciens, leur discrimination ne posait pas de problème. Les juifs furent certes exonérés, le 1er juin 1798, de la capitation spéciale qui les frappait (Impôt sur les juifs), mais le Parlement ne leur accorda pas la citoyenneté suisse. Les étrangers établis dans la République furent assimilés, sur le plan du droit privé, aux citoyens helvétiques (nouveauté radicale introduite le 29 octobre 1798). Les enfants illégitimes obtinrent le 28 décembre les droits civils complets (sauf en matière successorale). L'unification et la codification du droit civil et pénal devaient renforcer la conscience nationale. On projeta un code civil helvétique, mais seuls quelques fragments en furent réalisés. En matière de droit matrimonial, la conception française du mariage civil s'imposa. Les empêchements au mariage furent adoucis: les conseils autorisèrent, le 2 août, les unions entre conjoints de confessions différentes et, le 17 octobre, ceux entre cousins. Les nouvelles communes d'habitants furent chargées de tenir les registres de l'état-civil et de s'occuper des tutelles. La propriété privée fut garantie par la loi et la Constitution (art. 9). Le 4 mai 1799 entra en vigueur le Code pénal de la République helvétique, conçu d'après le modèle français de 1791; reprenant les idées des Lumières, il proportionnait les peines aux délits, limitait l'arbitraire des juges et prévoyait des sanctions plus humaines. La torture avait déjà été abolie le 12 mai 1798.

Organisation communale et droit de bourgeoisie

Les citoyens helvétiques avaient tous les mêmes droits politiques au niveau communal, mais seuls les bourgeois du lieu pouvaient jouir des biens communaux. La République helvétique renonça à abolir le droit de bourgeoisie traditionnel. La loi du 13 février 1799 réserva aux bourgeois l'accès aux droits d'usage communaux, maintint le principe de l'assistance aux pauvres par la commune d'origine, formula le principe de la liberté d'établissement et de l'acquisition possible de la participation aux biens communaux et aux biens de l'assistance. Au printemps 1798, on ignorait quelle serait la forme des futures communes: corporations d'ayants droit ou simples unités administratives sur le modèle français. Officialisant une solution adoptée déjà provisoirement le 13 novembre 1798, la loi du 15 février 1799 mit fin à cette incertitude en instaurant deux sortes de communes: l'une regroupait les citoyens actifs (commune d'habitants ou commune politique, dirigée par une municipalité) et l'autre les membres de la bourgeoisie (gérée par une chambre de régie). Leurs autorités jouissaient d'une autonomie limitée, qui permit cependant aux institutions communales de prendre leur essor.

Relations entre l'Etat et l'Eglise

Bien que la République helvétique ait paru se diriger vers une séparation de l'Eglise et de l'Etat, la politique des autorités favorisa plutôt, tout compte fait, une forme éclairée d'Eglise d'Etat. L'article 26 de la Constitution privait de droits politiques les ministres du culte, ainsi poussés dans l'opposition. Une loi du 31 août 1798 abolit les privilèges des ecclésiastiques. La juridiction spirituelle de l'Eglise catholique et les consistoires protestants furent supprimés. L'Etat prit des mesures de surveillance des communautés spirituelles, qui touchèrent en premier lieu les catholiques. Le 27 avril, le Directoire refusa de reconnaître le nonce apostolique. La fortune des couvents et chapitres, passée le 8 mai sous administration étatique, fut déclarée propriété nationale le 17 septembre (Sécularisation des biens du clergé). On interdit aux couvents d'accepter des novices et des profès. Enfin, le gouvernement limita les processions, le 4 avril 1799, et interdit ainsi les pèlerinages. Cependant, l'article 6 de la Constitution, qui garantissait la liberté de conscience et de culte, empêcha une déchristianisation de l'Etat et de la société. Si les chambres administratives surveillaient la nomination des ecclésiastiques et la remise des prébendes, les paroisses conservèrent leurs droits.

Instruction publique, éducation populaire

L'instruction publique fut le domaine où l'on entreprit les plus gros efforts. Pour Philipp Albert Stapfer, ministre des Arts et des sciences, l'instruction conduisait à l'accomplissement éthique de l'homme. L'école dépendait auparavant de l'Eglise; Stapfer en fit une institution de l'Etat, surveillée dans chaque canton par un conseil d'éducation de huit membres (arrêté du 24 juillet 1798). Un projet d'école obligatoire, accompagné d'un vaste programme éducatif, s'enlisa devant le Parlement. Le gouvernement finit par décréter la création d'écoles élémentaires dans les communes et l'obligation générale de fréquenter l'école pendant les semestres d'hiver (4 et 6 décembre 1800). Pour améliorer la formation des maîtres, il aurait fallu des écoles normales, dont bien peu virent le jour. L'éducation politique du peuple incombait au Bureau pour la culture nationale, fondé en novembre 1798 et dirigé par Heinrich Zschokke.

Affaires culturelles, politique de la presse

Philipp Albert Stapfer s'illustra aussi comme ministre de la Culture. Il mit en place la protection officielle des antiquités et l'encouragement des beaux-arts par l'Etat. Il s'occupa de mettre à l'abri les livres des bibliothèques conventuelles et ceux de la précieuse collection Zurlauben de Zoug (saisie après avoir été vendue à l'abbaye de Saint-Blaise dans la Forêt-Noire). Le 18 décembre 1798, le Parlement créa les Archives centrales (Archives fédérales) et une bibliothèque pour la législation. Un projet de bibliothèque nationale resta lettre morte. L'évolution politique empêcha l'organisation de fêtes nationales, qui auraient renforcé l'identité helvétique à l'instar de symboles comme la cocarde helvétique (vert-rouge-jaune), les arbres de la liberté et la figure de Guillaume Tell.

La Constitution ayant garanti la liberté de la presse (art. 7), le nombre des périodiques doubla. L'organe le plus important était Der schweizerische Republikaner de Hans Conrad Escher de la Linth et Paul Usteri, qui informait les citoyens sur les débats parlementaires. Les lois et ordonnances étaient publiées dans des feuilles officielles cantonales. Les adversaires de la République profitèrent aussi des nouvelles libertés. Le Directoire réagit aux critiques de Karl Ludwig von Haller dans les Helvetische Annalen" en introduisant, le 7 novembre 1798, la censure de la presse, qui s'avérera un moyen efficace pour réduire l'opposition.

Statistique

Les vastes relevés statistiques que les autorités centrales conduisirent dans les domaines les plus variés étaient censés livrer les bases d'une politique rationnelle. Le 21 octobre 1798, le ministre de l'Intérieur Albrecht Rengger lança le premier recensement de la population suisse. Les enquêtes de Philipp Albert Stapfer sur le clergé et sur les écoles (février 1799) sont bien connues.

Assistance, santé publique

L'assistance ne fut pas étatisée comme en France, mais confiée aux chambres de régie. Cependant, nombre de communes n'étaient pas en mesure d'assumer cette tâche, ce qui encouragea la mendicité. La République helvétique se contenta de verser des contributions financières à quelques nécessiteux et de soutenir des sociétés de bienfaisance. Faute de moyens, elle n'établit pas de maisons de correction. La santé publique relevait de commissions sanitaires cantonales qui, en l'absence d'une loi sur l'exercice de la médecine, restaient peu efficaces.

Organisation militaire

Appel solennel pour garnir les rangs de la Légion helvétique (Zentral- und Hochschulbibliothek Luzern, Sondersammlung).
Appel solennel pour garnir les rangs de la Légion helvétique (Zentral- und Hochschulbibliothek Luzern, Sondersammlung). […]

L'article 25 de la Constitution instaura le service militaire obligatoire sur le plan national (sans le lier expressément à la citoyenneté suisse). Le 4 septembre 1798, on décida de former une Légion helvétique de 1500 hommes, troupe permanente destinée à assurer l'ordre intérieur. La loi du 13 décembre sur l'organisation de la milice visait à doter la République helvétique d'une armée. Le recrutement et l'incorporation des hommes astreints incombaient aux inspecteurs généraux cantonaux. Lorsqu'il apparut qu'un conflit armé avec les puissances de la coalition était inévitable, le gouvernement central leva 20 000 hommes pour la défense des frontières (24 février 1799), désigna un état-major général (28 février) et nomma général le Soleurois Augustin Keller (28 mars). Cependant, les troupes helvétiques s'avérèrent inaptes au combat. La milice fut pratiquement démantelée le 12 août et la Légion helvétique fut dissoute le 5 septembre. Le même jour, le Parlement décida de créer une armée permanente de 6500 hommes au maximum. Il dut assouplir, au profit de la France, le décret du 5 juillet 1798 interdisant les enrôlements au service étranger.

La phase de stagnation et la chute (1800-1803)

Luttes constitutionnelles et coups d'Etat

Après le renversement de Frédéric-César de La Harpe et la suppression du Directoire en janvier 1800 ("premier coup d'Etat"), les conseils élurent un Comité exécutif de sept membres, dont trois partisans de l'Ancien Régime. La question constitutionnelle devint le thème dominant de la politique intérieure; elle divisa les révolutionnaires et déstabilisa la République helvétique. Dans de nombreuses municipalités, les patriotes durent céder la place, lors des élections de mai, à des conservateurs dont la loyauté envers la République était douteuse. Le 7-8 août 1800, les républicains forcèrent, avec l'accord de la France, la dissolution des deux chambres du Parlement, où prédominaient les patriotes ("deuxième coup d'Etat"); ils instituèrent des autorités centrales provisoires, où ils s'assurèrent la majorité: un Conseil législatif de quarante-trois membres et un Conseil exécutif de sept membres. Dès lors, de violents débats opposèrent dans la presse les unitaires, partisans de l'Etat centralisé, et les fédéralistes, que le Premier Consul soutint par opportunisme politique. Bien que le traité de Lunéville (9 février 1801) ait reconnu le droit à l'autodétermination de la République helvétique, celle-ci dut accepter une loi fondamentale élaborée par Bonaparte, la Constitution dite de la Malmaison, qui faisait de la Suisse un Etat fédéral. Adoptée par le Conseil législatif le 29 mai 1801, elle ne satisfaisait aucun des deux camps et la Diète helvétique (organe qu'elle avait institué et qui devait formellement l'approuver), entreprit de la réviser dans un sens unitaire. Les fédéralistes s'emparèrent alors du pouvoir ("troisième coup d'Etat" des 27-28 octobre 1801). Ils rétablirent les cantons d'Uri, Schwytz, Unterwald et Zoug, et nommèrent le Sénat (deux landammans et vingt-trois conseillers) et le Petit Conseil (quatre membres). L'opposition du landamman Alois Reding à la cession du Valais à la France, l'établissement de relations avec la Prusse et l'Autriche (envoi d'un délégué à Vienne en janvier 1802) et la modification de la loi fondamentale firent perdre aux fédéralistes le soutien du dictateur français. Le 17 avril 1802, les unitaires revinrent au pouvoir ("quatrième coup d'Etat") et instituèrent une assemblée de notables, chargée d'élaborer la "deuxième Constitution helvétique", qui sera adoptée le 2 juillet lors de la première votation populaire organisée en Suisse (les citoyens qui s'abstinrent furent considérés comme acceptants). Les organes suprêmes de l'Etat étaient désormais le Conseil d'exécution (souvent appelé Conseil exécutif) de trois membres et le Sénat de vingt-sept membres.

La fin des réformes

Paralysantes, les profondes divisions politiques entraînèrent une forme de stagnation et l'abandon de nombreuses réformes. Le système douanier prévu par la loi du 3 avril 1801 resta lettre morte et les poids et mesures fondés sur le système métrique, introduits le 4 août, ne parvinrent pas à s'imposer. Dans le domaine scolaire, les projets de Stapfer pour le degré primaire n'aboutirent que partiellement; la réforme du secondaire se réduisit à quelques mesures isolées et l'université nationale ne vit pas le jour. Le Conseil législatif, dominé par les républicains, annula le 15 septembre 1800 la loi sur les redevances féodales. Il ordonna le 6 octobre le recouvrement des cens fonciers pour 1800, afin d'assurer des revenus à la République et aux ecclésiastiques, ce qui provoqua un soulèvement dans les campagnes bâloises en octobre 1800 (Bodenzinssturm). La perception des dîmes causa des troubles dans les districts zurichois de Fehraltorf et de Wald en janvier 1802, mais le mouvement le plus dangereux contre les tendances restauratrices fut la révolte des Bourla-Papey, qui éclata en mai 1802 dans le canton du Léman. Le principe de la liberté du commerce fut violé quand le Parlement soumit l'ouverture de nouvelles auberges à la preuve du besoin (20 novembre 1800). On durcit peu à peu la pratique en matière de droit d'établissement et d'acquisition de la bourgeoisie. Selon la loi du 10 août 1801, les étrangers ne pouvaient acquérir la citoyenneté suisse qu'après avoir été reçus membres d'une commune bourgeoise.

La chute de la République helvétique

Le gouvernement central perdit toute autorité lorsqu'il approuva la transformation du Valais en une république prétendument souveraine. A la fin de juillet 1802, les troupes françaises d'occupation se retirèrent brusquement, laissant le Conseil d'exécution sans défense. Un soulèvement commença aussitôt en Suisse centrale; en septembre, la guerre des Bâtons touchait presque l'ensemble des dix-neuf cantons. Les autorités centrales durent s'enfuir à Lausanne. Le 30 septembre, juste avant que la République helvétique ne s'effondre définitivement, Bonaparte publia la proclamation de Saint-Cloud. Il ordonnait le retour à l'ordre constitutionnel et invitait les parties en conflit à envoyer des représentants à la Consulta à Paris. La Suisse fut de nouveau occupée par des troupes françaises. Leur commandant, le général Michel Ney, empêcha en décembre la reprise de l'administration du Fricktal par un émissaire helvétique. L'acte de Médiation du 19 février 1803 scella la fin de la République helvétique; le 10 mars, les autorités remirent leurs pouvoirs au Landamman de la Suisse et aux commissions gouvernementales provisoires instituées dans chaque canton.

Peu avant sa disparition, la République avait remporté un succès en politique extérieure. Ses représentants aux négociations sur la réorganisation du Saint Empire avaient obtenu l'inscription dans le recès de la Diète impériale de la suppression de toutes juridictions impériales sur territoire suisse.

Les causes de l'échec

Le triomphe de Berne sur la République helvétique le 18 septembre 1802, dessin aquarellé d'un artiste inconnu (Musée d'Histoire de Berne; photographie Stefan Rebsamen).
Le triomphe de Berne sur la République helvétique le 18 septembre 1802, dessin aquarellé d'un artiste inconnu (Musée d'Histoire de Berne; photographie Stefan Rebsamen). […]

La politique de grande puissance de la France empêcha la révolution suisse de suivre son propre cours et priva la République helvétique des moyens économiques utiles à son développement. Vue de Paris, cette dernière était à la fois un Etat satellite parmi d'autres et une sorte de laboratoire constitutionnel (le système préfectoral, par exemple, ne fut introduit en France qu'en 1800). Elle souffrit de son instabilité politique, à l'instar des Républiques bataves et cisalpines. Ni gouvernants ni gouvernés n'étaient accoutumés aux structures centralistes qu'elle adopta. Une partie des réformes fut introduite de manière précipitée, et la guerre de 1799 paralysa les activités de l'Etat. Enfin, les républicains brisèrent l'élan révolutionnaire entre 1800 et 1801. En réintroduisant la perception des cens fonciers, ils s'aliénèrent la paysannerie, qui perdit tout espoir d'une amélioration décisive, assista passivement à la lutte pour le pouvoir entre unitaires et fédéralistes et finit par se ranger du côté des réactionnaires dans la guerre des Bâtons.

Historiographie et commémorations

Dans l'historiographie suisse, la période de la République helvétique a fait l'objet de jugements contrastés. Carl Hilty, en 1878, y voyait la première démocratie sur sol suisse. Dans la première moitié du XXe s., Alfred Rufer, proche de la gauche bourgeoise, défendit les partisans de la République qui malgré des circonstances défavorables avaient osé édifier un nouveau régime. Mais le courant conservateur, prédominant, considérait surtout l'époque de la République helvétique comme une période de faiblesse nationale, déplorait la perte d'indépendance et critiquait un centralisme importé. Les historiens de la fin du XXe s. proposèrent une vision plus large dans laquelle tout le demi-siècle 1798-1848 était analysé comme un temps de mutation profonde conduisant à l'apparition de la Suisse moderne et à la fondation de l'Etat fédéral. L'image variable, selon les cantons, de la République helvétique empêcha l'organisation de festivités nationales en 1898. Vaud, Thurgovie et le Tessin célébrèrent le centenaire de leur indépendance, tandis que Berne, Schwytz et Nidwald se souvenaient plutôt de leur défaite militaire. En 1995, les Chambres fédérales décidèrent de marquer sobrement le deuxième centenaire. Des commémorations officielles furent organisées par les cantons, dont certains (Bâle-Ville, Vaud, Argovie) mirent sur pied de nombreuses activités. Le Conseil fédéral in corpore prit part à la manifestation officielle qui se tint à Aarau le 17 janvier 1998.

Sources et bibliographie

  • ASHR
  • G. Hunziker et al., Das Zentralarchiv der Helvetischen Republik 1798-1803, 2 vol., 1990-1992 (avec bibliogr.)
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  • A. Fankhauser, «Die Zentralbehörden des helvetischen Einheitsstaates», in Itinera, 15, 1993, 35-49
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  • E. Godel, Die Zentralschweiz in der Helvetik (1798-1803), 2009
Complété par la rédaction
  • Guzzi, Sandro: «Widerstand und Revolten gegen die Republik. Grundformen und Motive», in: Schluchter, André; Simon, Christian (éd.): Helvetik – neue Ansätze. Referate des Helvetik-Kolloquiums vom 4. April 1992 in Basel, 1993, pp. 84-104 (Itinera, 15).
  • Guzzi, Sandro: Logiche della rivolta rurale. Insurrezioni contro la Repubblica Elvetica nel Ticino meridionale (1798-1803), 1994.
  • Guzzi-Heeb, Sandro: «Logik des traditionalistischen Aufstandes. Revolten gegen die Helvetische Republik (1798-1803)», in: Historische Anthropologie, 9, 2001, pp. 233-253.
Liens
Notices d'autorité
GND

Suggestion de citation

Andreas Fankhauser: "République helvétique", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 27.01.2011, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/009797/2011-01-27/, consulté le 19.03.2024.