Affiche en vue de la votation du 3 décembre 1922 concernant l'impôt sur la fortune, réalisée parEdouard Elzingre (Museum für Gestaltung Zürich, Plakatsammlung, Zürcher Hochschule der Künste).
[…]
Les fonctionnaires appartiennent à une administration publique qui les engage pour une durée déterminée (période de fonction), au terme de laquelle le rapport de service est souvent reconduit par réélection tacite. Ils ont un devoir particulier de fidélité envers l'autorité qu'ils servent. On considérait autrefois qu'ils bénéficiaient d'une sécurité de l'emploi plus élevée que dans l'économie privée. Cependant, vers la fin du XXe s., on tendit peu à peu, dans la plupart des cantons, à les engager pour une durée indéterminée (avec délai de congé approprié), sur la base de contrats de travail analogues à ceux des employés de l'économie privée. Jusqu'en 2000, la majorité des cantons et de nombreuses communes, parmi lesquelles figuraient les grandes villes, modifièrent leurs lois et ordonnances sur le personnel et passèrent du fonctionnariat à une administration composée d'employés. La Confédération suivit cette évolution dans sa nouvelle loi sur le personnel fédéral, entrée en vigueur en 2002 (pour le personnel CFF en 2001).
Auteure/Auteur:
Raimund E. Germann
Traduction:
Florence Piguet
Le premier texte relatif au droit des fonctionnaires édicté par l'Etat fédéral de 1848 fut la loi du 9 décembre 1850 sur la responsabilité des autorités fédérales et des fonctionnaires. Elle attribuait, en cas de dommages causés par une autorité, une responsabilité première au fonctionnaire fautif (et non à l'Etat, comme le fera la loi du 14 mars 1958). En 1853, les "fonctions fédérales permanentes" furent inscrites pour la première fois dans une loi qui, avec les arrêtés subséquents (jusqu'en 1972), servit de base à l'"état des fonctions", liste régulièrement établie par le Conseil fédéral et approuvée par le Parlement. Au bout d'un siècle, le nombre des fonctions ainsi formellement définies était de 581; il diminua fortement dès 1972 et n'était plus que de 325 quand la nouvelle loi du 24 mars 2000 sur le personnel de la Confédération, entrée en vigueur en 2002, supprima l'état des fonctions, devenu obsolète car son contenu correspondait de moins en moins à des tâches administratives concrètes.
Les fonctionnaires au sens formel étaient nommés pour une durée déterminée (à la Confédération: trois ans jusqu'en 1959, puis quatre ans); en principe, ils n'acquéraient nul droit à une réélection. Dans son application concrète, le système suisse des mandats s'aligna, avec le temps, sur le système des carrières en vigueur à l'étranger, dans la mesure où la "réélection" quadriennale devint pratiquement automatique. En 1992 pourtant, un nombre assez élevé de fonctionnaires ne fut réélu que provisoirement, en relation avec les réductions d'effectifs au Département militaire (auj. Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports ou DDPS). Le Parlement refusa encore en 1995 de remplacer, pour les hauts fonctionnaires, le système de la période par les mécanismes de licenciement en usage dans l'économie privée. Ce n'est qu'avec la nouvelle loi sur le personnel de la Confédération que les fonctionnaires devinrent des employés. La base de l'engagement n'est plus une décision, quasi souveraine, de l'Etat, mais un contrat de travail d'une durée normalement indéterminée et pouvant, sous certaines conditions, être résilié également par la Confédération.
Fonctionnaires fédéraux 1938-1997a
Administration et régies
Administrationb
Année
personnes occupées
dont fonctionnaires
personnes occupées
dont fonctionnaires
femmes
1938
43 114
67.6%
6 450
60,2%
1948
49 694
53,6%
8 962
39,8%
1953
61 576
66,2%
11 072
52,9%
1958
67 341
66,4%
14 280
63,8%
1963
72 325
64,2%
15 794
62,6%
1968
87 196
73,0%
22 105
78,5%
1973
91 443
71,1%
24 847
77,1%
1978
96 305
77,4%
24 895
77,0%
1983
98 369
74,4%
26 090
77,8%
1988
100 932
74,5%
26 576
78,8%
1993
27 053
78,2%
14,8%
1997
24 078
68,5%
14,4%
a Sans les apprentis dès 1953
b Sans les régies
Fonctionnaires fédéraux 1938-1997 - Office fédéral du personnel
Il fallut près de quatre-vingts ans pour mettre sur pied une réglementation uniforme et cohérente des rapports de service pour le personnel de la Confédération. Jusqu'à la fin du XIXe s., les dispositions du droit du travail et, surtout la rémunération, différaient selon les départements et les domaines d'activité. Une loi de 1897 unifia les traitements, mais le Département militaire y échappa jusqu'en 1909. Après la Première Guerre mondiale, on s'en prit aux lacunes et à l'opacité du droit du travail dans la Confédération. Après une longue préparation, le Conseil fédéral présenta au Parlement, en 1924, un projet de loi sur les fonctionnaires, qui fut adopté en 1927. Il imposait le devoir de loyauté, la limitation des activités politiques et l'interdiction de la grève. La nouvelle loi sur le personnel de la Confédération, entrée en vigueur en 2002, a introduit la notion de convention collective dans les services publics. La tendance actuelle n'est plus, comme dans les années 1920, à l'uniformisation mais à la diversification des rapports de travail.
Sur le plan cantonal, l'évolution a suivi le même chemin que dans la Confédération. Au début du XXIe s., la majorité des cantons avait supprimé ou révisé le statut de fonctionnaire. Outre la Confédération et les cantons, les quelque 3000 communes sont habilitées à établir leurs propres normes pour leur personnel. Le secteur public suisse présente donc une fragmentation extrême à cet égard. Une plus grande homogénéité, telle qu'elle existe dans le secteur privé depuis plus de cent ans, reste de l'ordre du possible, d'autant plus que la différence entre le droit du travail privé et celui de la fonction publique s'est réduite.
En 1997, le Parlement décida de diviser les Postes, téléphones et télégraphes (PTT) en deux entreprises indépendantes, La Poste et Telecom SA (Swisscom depuis 1998). Les contrats de travail des employés de Swisscom furent fondés dès le début sur le droit privé. Avec la nouvelle loi sur le personnel de la Confédération, les employés de La Poste et des CFF ont eux aussi perdu le statut de fonctionnaires.
Définition et statistique
Auteure/Auteur:
Raimund E. Germann
Traduction:
Florence Piguet
Seuls les cantons de Genève et de Vaud ont connu le système du fonctionnariat à vie, tel qu'il est répandu à l'étranger, en particulier dans la plupart des pays européens. L'administration fédérale et la majorité des cantons et des communes pratiquent ou ont pratiqué, tout au moins du point de vue de la forme juridique, le "système des mandats" dans lequel le fonctionnaire est nommé à un poste précis pour une durée déterminée; ce système plonge ses racines dans une tradition républicaine et marquée, plus tard, par la démocratie directe, tradition hostile au fonctionnariat de carrière issu des cours royales.
Il convient de différencier entre fonctionnaire au sens formel et au sens matériel. Au niveau fédéral, était fonctionnaire au sens formel celui qui avait été nommé comme tel par l'autorité compétente pour occuper un poste mentionné dans la liste officielle ("état des fonctions"). Tel était le statut, en 1992, de 73% des 145 000 agents que comptait la Confédération (y compris les régies fédérales), la plupart des autres étant des employés. On considérait en revanche comme fonctionnaires au sens matériel du terme les personnes travaillant, contre salaire, pour une autorité fédérale à laquelle elles étaient hiérarchiquement subordonnées. A cette catégorie appartenaient non seulement les "employés", mais aussi des personnes revêtues d'un statut particulier, tels les professeurs des EPF, les officiers supérieurs de l'armée et les collaborateurs personnels des conseillers fédéraux. Des différences analogues existaient, et existent encore en partie, aux niveaux cantonal et communal.
Rémunération
Auteure/Auteur:
Raimund E. Germann
Traduction:
Florence Piguet
Affiche en vue des votations du 28 mai 1933 sur la loi fédérale prévoyant une réduction temporaire des salaires des personnes au service de la Confédération, réalisée parAlois Carigiet (Collection privée).
Pour les fonctionnaires fédéraux, les classes de traitement étaient inscrites dans la loi. Les adaptations de salaire hors compensation du renchérissement nécessitaient une modification de la loi et, si le référendum facultatif était demandé, une votation populaire. Durant la crise économique mondiale, le Conseil fédéral proposa en 1932 une diminution de 10% des salaires. La loi correspondante, qui prévoyait une réduction plus faible (7,5%), fut attaquée par référendum et rejetée par le peuple le 28 mai 1933. Peu après, le Parlement décida néanmoins, en procédure d'urgence, une diminution de 7%, qu'il portera même provisoirement à 15%. Le 3 décembre 1939, une autre loi sur les traitements fut rejetée par le peuple; elle aurait entraîné une modeste hausse des salaires et un redressement des caisses de pensions.
Durant la phase de haute conjoncture qui suivit la Deuxième Guerre mondiale, les salaires des fonctionnaires connurent une amélioration continue. Entre 1950 et 1991, le pouvoir d'achat du salaire moyen à la Confédération augmenta de près de 130%, tandis que la durée hebdomadaire de travail passait de 48 à 42 heures et la durée minimale des vacances de deux à quatre semaines. La compensation automatique du renchérissement fut complétée par un relèvement progressif des salaires réels. Le passage d'importantes tranches du personnel dans des classes de traitement supérieures provoqua une hausse supplémentaire du salaire moyen.
La crise des finances publiques, qui s'est aggravée depuis 1992, amena la Confédération (dès 1994), ainsi que de nombreux cantons et communes, à supprimer en partie ou en totalité les adaptations au renchérissement. Quelques collectivités réduisirent même les salaires. La Confédération ordonna, en 1996, une baisse des rémunérations aux CFF. Finalement, la loi sur le personnel de la Confédération abolit en 2002 l'augmentation annuelle automatique et introduisit un modèle de calcul des salaires qui prenait en considération les prestations individuelles.
Syndicats
Auteure/Auteur:
Raimund E. Germann
Traduction:
Florence Piguet
Les syndicats du secteur public se caractérisent par une forte dispersion par branches, champs d'activité, niveaux de salaires, échelons étatiques et orientations idéologiques. La formation dominante, sur le plan fédéral, était l'Union fédérative du personnel des administrations et des entreprises publiques, organisation faîtière fondée en 1903 qui regroupait, en 2000, douze associations (plus de 160 000 membres). Huit d'entre elles étaient affiliées à l'Union syndicale suisse (USS). L'Union fédérative représentait les "syndicats majoritaires", par opposition aux "syndicats minoritaires": cinq syndicats chrétiens du personnel des transports et de la Confédération (Transfair dès 2000) et cinq associations non membres d'une organisation faîtière. Elle a fait place en 2003 à la Communauté de négociation du personnel de la Confédération (CNPC).
Le Syndicat suisse des services publics (SSP/VPOD), créé en 1905, participe à la CNPC, mais recrute ses adhérents presque exclusivement aux niveaux cantonal et communal. Il s'y trouve en concurrence avec plusieurs associations professionnelles, la plus importante étant le Zentralverband Staats- und Gemeindepersonal der Schweiz (fondé en 1917, actif uniquement en Suisse alémanique), dont les effectifs croissent régulièrement, alors que ceux du SSP stagnent depuis 1960. En 1992, les deux formations avaient atteint une taille comparable (environ 40 000 membres). Globalement, le degré d'organisation syndicale dans le service public a diminué depuis 1960; ce sont surtout les associations de l'Union fédérative qui ont perdu du terrain.
Aux fonctionnaires de la Confédération et de la majorité des cantons il fut longtemps interdit de faire grève. Des agents de la Confédération, surtout des cheminots et un petit nombre d'employés postaux, prirent part à la grève générale de 1918. Depuis lors, on relève de très rares débrayages, toujours brefs, surtout à Genève (1990, 1992 et 1996). Les manifestations du personnel de la fonction publique restèrent exceptionnelles. L'Union fédérative en organisa d'importantes en 1955, 1966, 1982 et 1996 pour protester contre les réductions de salaires qui menaçaient les CFF.
Durant des décennies, les relations entre les partenaires sociaux du secteur étatique furent basées sur un consensus voulant que les agents de la fonction publique bénéficient de conditions de travail analogues à celles des salariés du privé (principe de parité). Des conflits éclatèrent cependant sur la manière de comparer les deux secteurs. La majorité des syndicats et associations de personnel soutinrent le référendum contre la loi sur le personnel du 24 mars 2000, qui supprimait la protection absolue, quoique limitée à quatre ans, contre le licenciement des fonctionnaires. En outre, on craignait une évolution salariale semblable à celle de l'économie privée, où les rémunérations des classes de salaires inférieures diminuaient tandis que celles des cadres supérieurs augmentaient massivement. Lors du vote, le 26 novembre 2000, la loi, soutenue par les radicaux, les démocrates du centre, les démo-chrétiens, les chrétiens-sociaux, les évangéliques et le parti de la liberté, fut acceptée par 66% de oui.
La représentativité de la fonction publique
Auteure/Auteur:
Raimund E. Germann
Traduction:
Florence Piguet
On se pose de plus en plus, en particulier à propos des fonctionnaires supérieurs du degré hors classe, la question de savoir à quel point l'administration publique reflète, dans la composition de son personnel, les diverses catégories qui s'affirment dans la société civile. Les facteurs significatifs sont les affinités partisanes, la langue maternelle et le sexe.
Depuis 1938, la provenance socioéconomique des grands commis de l'Etat, au niveau fédéral, ne s'est guère modifiée. Près des deux tiers viennent des classes supérieure ou moyenne supérieure. En ce qui concerne les affinités politiques, la prédominance radicale est loin d'avoir disparu, même si elle s'est affaiblie. S'il a perdu la majorité au Conseil national, en raison de l'introduction de la proportionnelle en 1919, le parti radical a su conserver une position de force dans la haute administration, où ses proches occupaient environ la moitié des postes (ses membres environ un tiers) dans les années 1980. Longtemps sous-représenté, le PDC a atteint, depuis les années 1970, une participation correcte. Le PS a certes amélioré sa position, mais reste sous-représenté. Dans les années 1980, il occupait un nombre de postes clés à peu près égal à celui de l'UDC, qui était encore, à ce moment-là, un parti nettement plus petit. La formule magique en usage au Conseil fédéral jusqu'en 2004 n'avait donc pas trouvé d'application auprès de l'élite des fonctionnaires.
L'équilibre linguistique a été de tout temps à peu près respecté. Dans les années 1980, sur la totalité du personnel de l'administration fédérale générale (c'est-à-dire sans les PTT ni les CFF), les francophones étaient légèrement sousreprésentés, sauf en hors classe où ils étaient un peu surreprésentés. Ce point est toutefois régulièrement l'objet de controverses et de réglementations (directives du Conseil fédéral en 1951, 1965 et 1983), visant surtout la surreprésentation germanophone dans les postes clés, les chances de carrière insuffisantes pour les minorités linguistiques et la domination de l'allemand dans une administration en principe trilingue.
Après l'introduction du suffrage féminin au niveau fédéral, en 1971, il fallut attendre deux ans jusqu'à ce qu'une femme soit nommée à un poste hors classe. Dans cette catégorie, la présence des femmes dans l'administration fédérale générale est passée de 1,8% à 3,5% entre 1982 et 1992; aux PTT et aux CFF, aucune femme n'a accédé à un poste hors classe jusqu'en 1992.
Raimund E. Germann: "Fonctionnaires", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 14.09.2011, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/010346/2011-09-14/, consulté le 01.04.2023.