Ordre religieux catholique, en latin Ordo Sancti Benedicti (OSB). La règle de saint Benoît de Nursie ne s'imposa qu'assez tardivement et d'abord au nord des Alpes. Aux VIIe et VIIIe s., elle était pratiquée en amalgame avec d'autres observances. Ce n'est qu'à la faveur du processus d'unification introduit par les Carolingiens qu'elle deviendra obligatoire dans toute l'aire franque.
Les débuts du Monachisme helvétique s'inscrivent dans cette évolution générale. Les monastères jurassiens (Romainmôtier, Baulmes, Moutier-Grandval) sont d'origine prébénédictine. A Saint-Gall, les disciples de l'Irlandais Colomban observaient les préceptes de saint Benoît en tant qu'éléments d'une règle composite. Au VIIIe s., sous l'influence du pouvoir franc, les couvents bénédictins de l'espace rhétique et alémanique affirmèrent une identité plus nette. Ils avaient été fondés par des familles de la haute noblesse régionale: par les Zaccon, branche des Victorides, en Rhétie (Cazis, Mistail, Disentis, Pfäfers, Müstair), ailleurs par des proches de la famille ducale d'Alémanie (Saint-Gall, Reichenau, Lucerne, Rheinau). L'intégration de ces monastères dans la structure ecclésiastique carolingienne leur assura protection et stabilité. A l'époque de Charlemagne et de Louis le Pieux, la règle bénédictine s'imposa définitivement. Sous l'influence de Benoît d'Aniane, l'ordre acquit quelques-unes des caractéristiques qu'il devait conserver jusqu'à nos jours: l'habit noir à capuchon (d'où le surnom de moines noirs), de grandes communautés, le soin particulier apporté à la liturgie et aux activités culturelles qui en découlent. Les livres de confraternité de Saint-Gall, Reichenau et Pfäfers témoignent des liens étendus qui existaient entre les abbayes impériales sous les Carolingiens (Libri confraternitatum). Certains couvents n'en disparurent pas moins au IXe s., alors que d'autres se transformèrent en chapitres collégiaux.
Les Xe et XIe s. virent se multiplier les réformes monastiques. En Suisse occidentale, elles se déroulèrent autrement que dans l'espace rhétique et alémanique. Dans les diocèses de Genève et de Lausanne, les monastères adoptèrent la réforme centralisatrice de Cluny, dont ils devinrent des prieurés (Clunisiens). Plus tard les prieurés de Saint-Jean-hors-les-murs à Genève et ceux d'Ayent, Granges et Saint-Pierre-de-Clages in Valais relevèrent de l'abbaye d'Ainay, ceux de Vautravers et de Grandson de l'abbaye réformée de La Chaise-Dieu. Dans les diocèses de Constance et de Coire, les couvents réformés purent conserver leur autonomie. A Einsiedeln, une réforme proche de celle de Gorze près de Metz débuta en 934. Elle exerça un rayonnement aussi vif que bref. S'inspirant de Cluny sans renoncer pour autant à leur caractère propre, les réformes de Hirsau et de Saint-Blaise connurent un succès plus durable. Les couvents d'Allerheiligen (SH) et de Beinwil (SO) se rallièrent à la première, qui influença également Wagenhausen, Rheinau, Fischingen et Herzogenbuchsee. L'abbaye de Saint-Blaise dans la Forêt-Noire avait adopté la réforme clunisienne par l'intermédiaire de Fruttuaria (Piémont) avant d'y convertir à son tour Muri (AG), Engelberg et Cerlier. Au début, les abbayes réformées furent souvent des couvents doubles (hommes et femmes), comme à Engelberg, Muri, Rheinau et Beinwil. Au cours du Moyen Age, les communautés féminines disparurent dans certains cas, alors que dans d'autres elles furent transférées avant de poursuivre, parfois jusqu'à nos jours, leur vie contemplative sous la direction d'un abbé, ceux d'Einsiedeln pour Fahr, de Muri pour Hermetschwil, d'Engelberg pour Saint-André (à Sarnen à partir de 1615) et d'Allerheiligen pour Sainte-Agnès à Schaffhouse. Aux XIIe-XIIIe s., des communautés dynamiques de cisterciens et de prémontrés effectuèrent un retour aux sources en marge des vieilles abbayes bénédictines, tandis que les nouveaux ordres mendiants et de chevalerie contribuaient eux aussi à la diversification du monde monastique. On ne connaît que fort peu d'établissements bénédictins au Tessin (Campione, Dino, Giornico, Quartino); aucun n'eut le statut d'abbaye et aucun ne dura au-delà du XVIes.
Au bas Moyen Age, la riche abbaye, impériale ou non, côtoie le couvent tombé dans la misère. La composition sociale des communautés varie tout autant. Politiquement, l'abbaye de Saint-Gall était un important seigneur foncier et l'un des alliés des Confédérés, tenant sous son protectorat les abbayes situées sur les territoires de ces derniers. L'institution monastique, qui de plus en plus servait à assurer de bonnes places à des membres de la noblesse et du patriciat et s'autorisait la propriété privée, l'abandon de la vie communautaire et le laxisme sexuel, connut une crise toujours plus profonde. Des tentatives de réforme n'aboutirent qu'isolément. Si des rapports se nouèrent avec les centres réformateurs de Kast (Bavière) et de Melk (Basse-Autriche), ce fut de façon fortuite et les efforts, couronnés de succès, de la congrégation de Bursfeld n'atteignirent pas le sud de l'Allemagne, les couvents bénédictins des diocèses de Constance et de Coire se trouvant alors sous l'influence temporaire du chapitre provincial de Mayence-Bamberg constitué dans le sillage du concile de Constance.
La Réforme devait modifier très fortement le paysage monastique de la Suisse. A l'ouest du pays, tous les couvents bénédictins disparurent. Les cantons protestants de Berne et de Zurich supprimèrent notamment ceux de Trub et de Rüegsau, le Fraumünster de Zurich et Saint-Georges à Stein am Rhein. Après la seconde paix de Kappel, les monastères de Saint-Gall, Rheinau, Pfäfers et Fischingen furent rétablis, tandis que Disentis était restauré avec l'aide de la région soumise à son autorité (la Cadi). Même pour les communautés qui subsistaient, le XVIe s. fut une période difficile. Si elles réussirent à survivre, ce fut essentiellement grâce à l'influence politique des cantons catholiques. Il fallut attendre les décrets de réformation tridentins et les visites des nonces apostoliques pour que s'amorçât une régénération durable. L'époque baroque vit une prise d'influence grandissante des jésuites sur les couvents. Des bénédictins allèrent étudier dans les collèges et les universités de la Compagnie. Fondée en 1602, la Congrégation suisse des bénédictins apporta aux monastères jusqu'alors isolés l'aide nécessaire à une stabilisation des réformes. Elle réussit à obtenir qu'ils fussent exemptés de la juridiction et des visites épiscopales. Les immixtions de la nonciature apostolique de Lucerne n'en devinrent que plus pressantes. La réforme inspirée par les jésuites rendit aux bénédictins la conscience de leur vocation dans l'univers culturel catholique, ce dont témoignent les constructions baroques entreprises un peu partout à cette époque. Ils restèrent nettement sur la réserve face à l'esprit des Lumières qui remettait en question la vie monastique en tant que telle. Quelques ouvertures modérées aux idées nouvelles inspirées par le souci de diffuser le savoir et de servir l'intérêt public se produisirent néanmoins de façon isolée, par exemple à Engelberg avec l'abbé Karl Stadler, à Disentis avec le père Plazidus a Spescha, à Pfäfers avec l'abbé Plazidus Pfister et à Saint-Gall avec l'abbé Beda Angehrn.
Les suppressions de couvents, l'interdiction d'admettre des novices et l'abolition des pèlerinages d'Einsiedeln, jointes à des levées de taxes spéciales, attisèrent l'opposition des bénédictins à la République helvétique. L'acte de Médiation permit aux cantons catholiques de corriger sensiblement les effets de cette politique anticonventuelle à partir de 1803. Les restrictions apportées à l'accueil de novices et le contrôle des comptes par les autorités cantonales n'en subsistèrent pas moins. Les pressions exercées sur l'ordre pour qu'il contribue à l'instruction des enfants et à la formation des maîtres se firent plus insistantes. Le Pacte fédéral de 1815 garantit leur survie aux couvents, mais la période de la Régénération, à partir de 1830, devait être marquée par une recrudescence de l'hostilité dans les cantons libéraux (affaire des couvents d' Argovie). Elle se traduisit jusqu'à la fin du Kulturkampf par de nouvelles suppressions: Pfäfers en 1838, Rheinau en 1862, Muri et, temporairement, Hermetschwil en 1841, Fischingen et Münsterlingen en 1848, Beinwil-Mariastein en 1874.
1848 devait toutefois inaugurer une période de reconsolidation intérieure des communautés bénédictines. Après l'interdiction des jésuites, elles se chargèrent de dispenser l'enseignement secondaire aux populations catholiques. Les petites écoles conventuelles, qui n'avaient accueilli jusqu'alors que vingt à quarante élèves, devinrent des collèges avec maturité reconnue par la Confédération. Ces derniers allaient fournir désormais une bonne part de la relève monastique et offrir aux moines une formation de niveau universitaire. Les préjugés à l'encontre des couvents diminuèrent visiblement. Afin d'assurer l'apostolat des émigrants, les abbayes d'Einsiedeln et d'Engelberg fondèrent au cours du XIXe s. des établissements monastiques aux Etats-Unis, lesquels sont rassemblés dans la Congrégation helvético-américaine. D'autres fondations devaient suivre au XXe s. en Argentine et au Cameroun. De nombreux Suisses entrèrent dans la Congrégation de Sainte-Odile (missionnaires), fondée en 1887 en Bavière par le père Andreas Amrhein, laquelle allait créer à son tour en 1919 le foyer Saint-Benoît d'Uznach (prieuré en 1963, abbaye en 1982). En 1928, un couvent s'ouvrit à Corbières; il fut déplacé au Bouveret (comm. Port-Valais) en 1956 et érigé en abbaye en 1961; il relève directement de l'abbé primat. A Fischingen, des moines d'Engelberg constituèrent en 1977 un prieuré indépendant.
Les bénédictines connurent elles aussi un développement plus dynamique au XIXe s. Aux anciens monastères d'Au (Einsiedeln), Claro, Müstair, Hermetschwil, Sarnen, Fahr, Seedorf (UR) et Glattburg, dont les nonnes étaient soumises à une clôture stricte, vinrent s'ajouter les couvents de Niederrickenbach, Melchtal et Wikon, où les sœurs se contentaient de vœux simples et se vouaient à des œuvres éducatives et caritatives. Depuis le XVIIIe s., certaines communautés pratiquent l'adoration perpétuelle d'origine française. Sarnen et Niederrickenbach ont non seulement soutenu Engelberg dans ses activités en Afrique et aux Etats-Unis, mais y ont aussi fondé des établissements.
Depuis 1893, les bénédictins sont rassemblés dans la Confédération bénédictine. Ils ont pour centre spirituel le collège Saint-Anselme de Rome, où réside l'abbé primat. En dépit de ce lien, les bénédictins ne forment pas réellement un ordre, mais une association très souple de monastères groupés eux-mêmes en vingt et une congrégations de caractère le plus souvent national. L'abbé primat n'est pas le général de l'ordre, mais le représentant des bénédictins. Bien que ce fédéralisme prononcé ne soit pas sans inconvénients, l'union s'est montrée jusqu'à ce jour imperméable aux tendances centralisatrices. L'époque qui a suivi Vatican II est marquée par un recul sensible des vocations, un vieillissement des communautés et un retour aux activités proprement monastiques. Entre 1972 et 1992, l'effectif des moines de la Congrégation suisse est descendu de 518 à 335, celui des nonnes de 869 à 568.