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Augusta Raurica

Le site antique d'A. s'étend sur le territoire des communes d'Augst, Kaiseraugst et Pratteln, sur la rive sud du Rhin. Il jouit d'une situation privilégiée tant du point de vue stratégique que sur le plan des communications. Les lieux se prêtaient à la construction d'un pont et d'un port. La colonie occupa du Ier au IIIe s. apr. J.-C. une terrasse de faible altitude (ville haute, Augst). Le développement d'une agglomération portuaire, commerciale et artisanale au bord du Rhin (ville basse, Kaiseraugst) commença vers 100 apr. J.-C. sur l'emplacement d'un ancien camp militaire (de 20 env. à 50 apr. J.-C.). Après 270 env., une forteresse fut élevée sur l'éperon rocheux de Kastelen à Augst, puis, au IVe s., le Castrum Rauracense sur la rive même du Rhin, là où s'étend aujourd'hui le village de Kaiseraugst. L'agglomération atteignit son extension maximale vers 200 apr. J.-C. Considérablement agrandie, la ville haute s'étalait, avec ses 53 insulae, le quartier des temples à l'ouest et les faubourgs au sud, sur quelque 77 ha. La ville basse longeait sur 800 m les rives du Rhin et couvrait 29 ha. Avec 106 ha au total, A. était légèrement plus étendue qu'Avenches (80 ha) et à peine plus petite que la Colonia Claudia Ara Agrippinensium (Cologne, 110 ha) ou que la Colonia Augusta Treverorum (Trèves, 150 ha).

Augusta Raurica dans l'histoire

Détail d'une mosaïque représentant des gladiateurs (env. 200 apr. J.-C.), découverte en 1961 dans le péristyle d'une maison située dans l'insula 30 (Augusta Raurica; photographie H. Gauwiler).
Détail d'une mosaïque représentant des gladiateurs (env. 200 apr. J.-C.), découverte en 1961 dans le péristyle d'une maison située dans l'insula 30 (Augusta Raurica; photographie H. Gauwiler). […]

Selon l'inscription gravée sur sa tombe à Gaète (I), Lucius Munatius Plancus fonda en 44 av. J.-C. (à Bâle?) la Colonia Raurica. Les travaux de construction commencèrent à A. vers 15-10 av. J.-C., la date la plus ancienne établie par la dendrochronologie étant 6 av. J.-C. Des bâtiments en bois caractérisent ce premier "boom immobilier". Sous Auguste (27 av. J.-C.-14 apr. J.-C.) eut lieu une nouvelle fondation, avec un nom modifié. Le forum en bois (avec temple?) vit le jour vers 20 apr. J.-C. Entre 20 env. et 50, des troupes d'infanterie et de cavalerie se trouvèrent cantonnées dans le fortin en bois de la ville basse (vestiges archéologiques, inscriptions) et vers 40-70 les habitations furent refaites en pierre (second "boom immobilier"). Le premier théâtre, le temple de Schönbühl et le forum en pierre surgirent de terre vers 60-70. Des vestiges et une inscription signalent la présence de troupes (beneficiarii?) sous les Flaviens. Une ère de prospérité économique, de la fin du Ier  au début du IIIe s., permit l'aménagement des thermes, puis, vers 200, du troisième théâtre, de l'amphithéâtre et de luxueux bâtiments privés à mosaïques (troisième "boom immobilier"). On possède la preuve que de faux deniers ont été frappés vers 195-210. Entre 240 et 250, un tremblement de terre semble avoir détruit en grande partie l'agglomération et les premiers indices d'une menace guerrière (dépôts enfouis) peuvent être observés vers 253/254. Les incursions des Alamans aux alentours de 260 n'ont, en revanche, pas laissé de traces à A. Les rapports de force à l'époque de l'empire séditieux gaulois, fondé par Postumus, restent mal connus (stationnement de troupes, fort auxiliaire sur la rive du Rhin?). En 273/274, la ville haute fut ravagée par la guerre et l'on décida de fortifier la colline de Kastelen. Sous Dioclétien (284-295), A. fut rattachée à la province Maxima Sequanorum nouvellement créée. La démolition des murailles de Kastelen commença entre 320 et 340, peut-être dès la construction du Castrum Rauracense. Le célèbre trésor d'A. témoigne du climat d'insécurité régnant vers 352 (strate de destruction). C'est entre 346 et 360 que se situe la période la plus richement documentée avec de nombreuses mentions du Castrum Rauracense en rapport avec des mouvements de troupes, des inspections impériales et avec les actes du siège épiscopal (Ammien Marcellin, Notitia Dignitatum, etc.). Après 400, les armées romaines se retirèrent, tandis que le castrum continuait d'être habité.

La Colonia [Paterna Munatia Felix Apollin]aris [Augusta E]merita [Raur]ica (?) - nom probable de la ville après sa refondation par Auguste, selon l'inscription du nuncupator (celui qui nomme) - comptait à son apogée, soit aux environs de l'an 200 apr. J.-C., quelque 20 000 habitants, dépassant de peu Avenches. Contrairement à Vindonissa, A. ne joua qu'un rôle mineur dans la politique d'expansion militaire du Ier s. apr. J.-C. Son importance sur le plan de l'économie et des communications n'en fut que plus considérable durant cet "âge d'or" qui s'étend de la fin du Ier s. au milieu du IIIe s. La quasi-totalité des voyageurs et des biens circulant entre le sud et les colonies ou garnisons du Rhin moyen et inférieur passaient par A., dont l'économie s'appuyait sur le transbordement des marchandises (port) et leur commerce, sur une production et transformation locale très diversifiée d'articles de consommation ou d'objets utilitaires. Ce n'est qu'au IVe s., lorsque la legio I Martia en fit, pendant plusieurs années, son principal point d'appui pour la défense d'un large secteur de la frontière septentrionale de l'Empire, que le castrum de Kaiseraugst prit une importance militaire suprarégionale.

Historique des fouilles

En 1582 déjà, Andreas Ryff et Basile Amerbach le Jeune entreprirent des fouilles dans les ruines du théâtre. A. se trouve être ainsi le premier champ d'investigations archéologiques au nord des Alpes. La société d'histoire et d'archéologie de Bâle se chargea des recherches en 1839. Les fouilles, systématiques depuis 1878, sont menées par une équipe à plein temps depuis 1957. Cette société acheta en 1884 la zone du théâtre et du temple de Schönbühl pour la préserver de toute nouvelle déprédation ou récupération de pierres. Elle n'a cessé depuis lors d'acquérir des parcelles du territoire de l'ancienne ville romaine pour en assurer la sauvegarde, imitée en cela par la fondation Pro A., née en 1935, et par le canton de Bâle-Campagne.

Vue romantique anonyme des ruines au début du XIXe siècle (Augusta Raurica).
Vue romantique anonyme des ruines au début du XIXe siècle (Augusta Raurica). […]

Bilan archéologique

Plan archéologique de Augusta Raurica (état des fouilles en 1999)
Plan archéologique de Augusta Raurica (état des fouilles en 1999) […]

La présence de troupes à A. avant le IVe s., soit avant que la ville ne devienne officiellement base militaire, ne doit pas être sous-estimée, même si elle n'est prouvée pour l'instant que pour certaines époques: vestiges d'un castrum en bois accueillant des fantassins et des cavaliers sur l'emplacement de la future ville basse, inscription mentionnant l'ala Moesica et l'ala Hispanorum (première moitié du Ier s.); inscription citant la legio I Adiutrix, monuments célébrant des victoires (seconde moitié du Ier s.); fortification de Kastelen où s'entassaient civils et soldats en cas de danger (fin du IIIe s.), sans doute réponse militaire aux événements de 273/274, dont témoignent des strates de destruction, des armes retrouvées dans les rues et des restes humains portant des traces évidentes de violences (cadavres découpés en morceaux). Les céramiques et monnaies associées permettent une datation relativement précise et excluent le lien autrefois supposé avec la chute du limes et les dévastations massives de l'an 260. Un rapport avec la liquidation de l'empire séditieux gaulois par Aurélien paraît beaucoup plus vraisemblable. Divers indices (fossés) relevés sur le site du futur Castrum Rauracense laissent à penser qu'un petit fort fut construit sur la rive du Rhin peu avant les fortifications de Kastelen (sous Gallien?) ou en même temps qu'elles.

A. possédait toutes les infrastructures d'une colonie romaine: une curie, construite en trois quarts de cercle, siège du Conseil municipal, près d'un forum principal avec son area publica (place, basilique où l'on rendait la justice) et son area sacra (portique, temple surélevé pour le culte impérial). Un forum secondaire, comptant lui aussi de nombreuses boutiques, se trouvait à environ 200 m au sud-ouest du premier. Il devait offrir un praetorium (siège administratif) et un macellum (marché aux denrées alimentaires), sans abside. Au centre de la ville fut construit (vers 60-70 apr. J.-C. seulement, fait surprenant) un premier théâtre, transformé en théâtre-arène au début du IIe s. Ce bâtiment fut remplacé vers l'an 200 par un théâtre à vocation purement scénique, tandis qu'un amphithéâtre séparé s'édifiait à la périphérie. A. possédait trois établissements de bains. Ceux des femmes, derrière le théâtre, d'abord très modestes (env. 40-50) furent agrandis (env. 60-80) et considérablement transformés au cours du IIe s. Les thermes centraux, au milieu des quartiers d'habitation (insulae) de la ville haute, présentent quatre états successifs: une construction de la seconde moitié du Ier s., une rénovation et extension à la fin de celui-ci, des agrandissements au cours du siècle suivant et l'insertion d'une palaestra (destinée aux exercices sportifs) au début du IIIe s. Les bains publics de la ville basse furent créés au IIIe s. et entièrement remaniés et intégrés au castrum durant le IVe s.

Le centre et, plus tard, la ville basse avaient un plan en damier. L'infrastructure urbaine comportait un pont et temporairement un bac sur le Rhin, un aqueduc long de 6,5 km et plusieurs fontaines publiques, des canalisations d'eaux usées et des cloaques souterrains, un système d'évacuation des ordures attesté au IIe s. seulement, une enceinte restée inachevée avec deux portes, l'une à l'ouest, l'autre à l'est (fin du Ier s.).

La ville et ses environs révèlent un mélange typique de cultes romains et autochtones. Le temple principal sur le forum était dédié à la déesse Roma et au divin Auguste. Dans l'axe du théâtre, le temple de Schönbühl, construit sur un podium, remplaça vers 70 apr. J.-C. de petits sanctuaires indigènes. On ignore quelle divinité y était vénérée (Mercure?). On a retrouvé en six endroits des temples gallo-romains, qui formaient une véritable ceinture à la périphérie occidentale de la ville. D'autres temples semblables s'élevaient dans les environs d'A., à des distances de 1 à 5,4 km (Im Sager, Wyhlen [D], Flühweghalde, Schauenburger Fluh). Il existe des inscriptions, des sculptures et des céramiques en rapport avec des prêtres du culte impérial (flamines Augusti), avec les nombreuses divinités invoquées dans le sanctuaire de Grienmatt, notamment en cas de maladie, et avec un culte du serpent particulier à Augst, pour lequel on utilisait des récipients spécifiques.

Economie et société

L'artisanat et le commerce étaient les piliers de l'économie urbaine. Les maisons, d'abord en bois, puis en pierre dès 40-70, agrandies au gré des besoins, servaient à la fois de logement et de lieu de travail. On a retrouvé des boucheries et des fumoirs, des locaux ayant servi à des bronziers, fondeurs d'ornements métalliques, forgerons, ferrailleurs, tourneurs, souffleurs de verre, tisserands, foulons, mosaïstes, peintres, tailleurs d'objets en os, fabricants de colle, médecins, marchands, éleveurs de petit bétail ou aubergistes, des maisons de commerce, des hôtelleries et des ateliers de poterie relégués à la périphérie de la ville pour parer aux risques d'incendie. L'importance grandissante du port et le manque d'espace dans la ville haute appelèrent le développement, au IIe s., de la ville basse avec ses entrepôts, ses ateliers et ses magasins. L'intense activité commerciale d'A. est attestée par une inscription du collegium negotiatorum cisalpinorum et transalpinorum provenant de la basilique, par une allusion de Pline l'Ancien à des cerises "des rives du Rhin" (Histoires naturelles XV, 30, 103) et par une précision de Varron concernant l'importation de jambons, saucisses et lard gaulois (Economie rurale II, 4, 10). Le confort des habitations allait du logement d'artisan étroit et sombre muni d'un foyer ouvert très primitif jusqu'à la luxueuse villa urbaine offrant un péristyle, des bains privés, des pièces agrémentées de mosaïques et chauffées par hypocauste. Les quartiers non desservis par une fontaine publique tels que le faubourg sud et certaines parties de la ville basse devaient s'alimenter en eau par des puits.

La prospérité d'A. reposait sur son emplacement privilégié au bord d'un fleuve navigable et au croisement de routes principales, sur ses échanges avec son environnement agricole immédiat et sur l'exportation de ses spécialités artisanales (articles en métal, conserves de viande, éventuellement fruits). Son port fluvial, situé probablement à l'embouchure de l'Ergolz, qui n'a pas encore été fouillée, et ses ponts sur le Rhin représentaient ses principaux atouts en matière de transbordement, de transports et d'échanges. Des études archéologiques et topographiques laissent à penser qu'au Ier s. déjà, il un pont primitif existait dans le prolongement de l'axe nord-sud (dit route du Castrum), à l'emplacement du futur pont reliant, au IVe s., le Castrum Rauracense à un ouvrage fortifié de l'autre côté du fleuve. Un ouvrage permit en tout cas aux IIe/IIIe s. d'atteindre la rive droite du Rhin à partir de l'actuelle Höllochstrasse en passant par l'île de Gwerd.

Sources et bibliographie

  • K. Stehlin, «Bibliographie von Augusta Raurica und Basilia», in BZGA, 10, 1911, 38-180
  • M. Martin, «Bibliographie von Augst und Kaiseraugst 1911-1970», in Beiträge und Bibliographie zur Augster Forschung, 1975, 289-371
  • Augster Museumshefte, 1-, 1976-
  • Forschungen in Augst, 1-, 1977-
  • Augster Blätter zur Römerzeit, 1-, 1978-
  • M. Martin, «Zur Topographie und Stadtanlage von Augusta Rauricorum», in ArS, 2, 1979, 172-177
  • Jahresberichte aus Augst und Kaiseraugst, 1-, 1980-
  • A.R. Furger, Kurzführer Augusta Raurica, 1997
  • K. Kob et al., Römerstädte in neuem Licht, 1997
  • L. Berger, Führer durch Augusta Raurica, 61998
  • R. Frei-Stolba et al., «Recherches sur les institutions de Nyon, Augst et Avenches», in Cités, municipes, colonies, éd. M. Dondin-Payre, M.-T. Raepsaet-Charlier, 1999, 29-95
  • P.-A. Schwarz, L. Berger, éd., Tituli Rauracenses, 2000

Suggestion de citation

Alex R. Furger: "Augusta Raurica", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 21.09.2006, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/012280/2006-09-21/, consulté le 19.03.2024.