Durant des siècles, les villes ne purent s'approvisionner en lait que dans leur voisinage immédiat ou auprès de commerçants citadins, par exemple dans les magasins qui ne vendaient que du lait de vache, que l'on trouvait dans bon nombre de métropoles étrangères au XIXe s. Les nouveautés techniques (chemin de fer, réfrigération, et plus tard pasteurisation), mais aussi l'essor des cités suscitèrent la création de centrales laitières urbaines, qui assumèrent l'organisation du marché du lait. Leur tâche essentielle fut d'abord d'équilibrer les importantes fluctuations de la production et de la consommation. Alors qu'en ville de Zurich notamment, la consommation laitière baissait de 20% en été, la production dans la campagne voisine augmentait de 30%. Si en été il fallait assurer l'exploitation des excédents, en hiver par contre, il fallait se procurer le lait dans des régions plus lointaines. Les fluctuations quotidiennes de la production soulevaient elles aussi un problème d'organisation.
Ce sont d'abord de grandes laiteries privées, fondées dans le dernier tiers du XIXe s., qui remplirent la fonction des centrales laitières. Les premières laiteries gérées par des coopératives de consommation, comme par exemple celle de l'Allgemeiner Consumsverein Basel ACV (1884), naquirent au tournant du siècle. A la même époque, on se demanda si l'approvisionnement devait être organisé par des services communaux ou par des coopératives ou des fédérations de producteurs. Ces dernières, en créant des fédérations laitières (la première, dont les origines remontaient à 1889, fut fondée à Genève en 1911) exercèrent une influence décisive après la Première Guerre mondiale. Dans leur intérêt, elles veillèrent de plus en plus au contrôle de la qualité, qui fut simplifié par la loi sur les denrées alimentaires de 1906. Elles jouèrent aussi un rôle croissant pour la collecte du lait, son acheminement en ville, la régulation des quantités et la distribution en gros. Tandis qu'à Zurich, la fédération fondée en 1919 occupait une place dominante (on trouvait aussi une grande entreprise privée), l'ACV et sa centrale fondée en 1909 dominèrent le marché bâlois jusqu'en 1925, date à laquelle une fédération fut créée. Partout, le commerce de détail reposait essentiellement sur les petits commerçants qui livraient le lait à domicile. La consommation laitière élevée dans les villes suisses (en baisse au cours du XXe s.) est due à l'efficacité du ravitaillement, à l'écart assez minime, en comparaison internationale, entre le prix à la production et celui de la vente au détail, ainsi qu'au rôle majeur joué depuis toujours par l'industrie laitière: autant de raisons qui expliquent que le lait soit devenu une denrée alimentaire pour toutes les couches sociales, alors qu'en Allemagne notamment, il était essentiellement réservé aux classes supérieures. En 1913 par exemple, la consommation quotidienne par tête s'élevait à 0,56 l au Locle, 0,92 l à Lucerne, 0,63 l à Zurich et 0,67 l à Bâle, alors qu'elle atteignait seulement 0,3 l à Berlin et 0,22 l à Dortmund.
Le système se transforma radicalement lorsque, dans les années 1960, les grossistes conquirent une part croissante du marché grâce au lait pasteurisé vendu en berlingots. En 1959, la Migros obtint l'autorisation de vendre du lait frais durant une phase d'essai. Les protestations des producteurs, qui craignaient qu'à long terme les laitiers ne soient lésés (diminution de la distribution à domicile, baisse de la consommation), mirent fin à l'expérience deux ans plus tard. Néanmoins, le commerce du lait pasteurisé fut libéré peu après. Malgré les nombreux conflits entre les fédérations et la Migros au sujet du prix du lait frais et du lait pasteurisé, le marché laitier passa bien vite aux mains des grossistes.