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Draperie

Entre le XVe et le XVIIe s., le drap (c'est-à-dire le tissu de laine) fut l'un des principaux produits d'exportation de la Suisse. Le fait que la laine de qualité provenait de régions éloignées (Allemagne centrale et orientale, Angleterre, Bourgogne et Provence) et la complexité des processus de fabrication (foulage, teinture, tondage) favorisèrent l'apparition du Verlagssystem.

Le tondeur de drap (der Tuchscherer), gravure sur bois extraite du "Livre des métiers" (Das Ständebuch, 1568) de Jost Ammann (Bibliothèque nationale suisse, Berne).
Le tondeur de drap (der Tuchscherer), gravure sur bois extraite du "Livre des métiers" (Das Ständebuch, 1568) de Jost Ammann (Bibliothèque nationale suisse, Berne). […]

Pratiqué d'abord tant au nord qu'au sud des Alpes, l'élevage du mouton offrait de bonnes conditions au développement d'un artisanat local de la laine. Cependant, sur le territoire de la Suisse, seul Fribourg vit se développer au bas Moyen Age une draperie tournée vers l'exportation (Régions industrielles). A la fin du XIVe s., le passage à l'élevage du gros bétail au nord des Alpes priva peu à peu l'artisanat lainier de sa base agricole; pourtant le travail de la laine dans le cadre de l'économie de subsistance subsista localement jusqu'au XIXe s. (par exemple à Glaris). A Genève et Zurich apparurent dans la seconde moitié du XVIe s. de nouveaux centres drapiers tournés vers l'exportation; ils ne dépendaient pas pour leur matière première d'éleveurs indigènes. Leur essor est dû notamment aux activités de réfugiés pour cause de religion; il s'inscrit dans l'évolution générale de la draperie européenne, au gré des modes vestimentaires (Habillement, Industrie de l'habillement). Entre le XVe et le XVIIIe s., les principaux centres lainiers en Suisse furent Fribourg, Genève et Zurich. Dans le territoire de la Suisse italienne actuelle (notamment à Lugano) furent fondées, pendant la première moitié du XVIe s., d'importantes manufactures de laine créées et dirigées par des entrepreneurs venus de l'extérieur (les Allemands Welser, les Lucernois Fleckenstein) associés parfois avec des indigènes.

La draperie fribourgeoise naquit probablement au XIVe s. et connut son apogée entre 1425 et 1450, pour ensuite perdre progressivement de son importance. Les fabricants étaient organisés en corporations (Artisanat, Corporations). Au milieu du XVe s., presque la moitié de la population urbaine, notamment les "habitants" sans droits, était active dans les différentes étapes de transformation de la laine. Fribourg devait produire des draps de qualité moyenne, avec une petite proportion de laine indigène. On exportait des draps portant le sceau de contrôle de la ville, mais aussi des draps de qualité inférieure, sans sceau. Les foires de Zurzach et de Genève constituaient les principaux canaux de diffusion vers les régions méditerranéennes et l'Allemagne du Sud. Assuré par les corporations elles-mêmes jusque dans la seconde moitié du XVe s., l'écoulement rencontra ensuite de grosses difficultés, quand les foires de Genève périclitèrent au profit de celles de Lyon. Pour y remédier, des accords furent conclus entre 1491 et 1523 avec les compagnies Vöhlin et Welser (à Memmingen et Augsbourg): celles-ci achetaient la production des corporations à prix fixe et se chargeaient de la diffusion. Cet arrangement se rapprochait du Verlagssystem, puisque les tisserands, membres des corporations, étaient progressivement dégradés au statut de salarié. A long terme, cette industrie ne put éviter un déclin auquel contribuèrent l'évolution de la mode (goût pour des draps plus légers) et l'attrait grandissant, pour les acteurs économiques locaux, de l'élevage et du mercenariat.

S'adonnant déjà au commerce à grande échelle de textiles de toutes sortes, Genève vit apparaître au XVIe s. une industrie lainière (qui cependant n'eut jamais l'envergure de la Soierie). Elle se développa dès 1550 avec l'arrivée des réfugiés huguenots français, qui disposaient du capital et du savoir-faire nécessaires. Elle se mit à stagner à la fin des années 1610, en raison de la peste et d'une crise économique européenne, pour disparaître presque entièrement à la fin du XVIIe s. Genève produisait une vaste gamme de qualités, des draps les plus légers ou grossiers au drap florentin, large et fin. La fabrication fut contrôlée par les autorités dès 1578. Une corporation fut créée en 1593; elle jouait un rôle primordial dans la formation des artisans et le contrôle de la qualité. Les marchands-fabricants et les marchands-drapiers opéraient comme entrepreneurs en contrôlant, outre l'ensemble du processus de fabrication, l'importation de la matière brute et l'exportation du produit fini. Ils confiaient les différentes étapes de la production à des salariés, y compris le tissage (mais les tisserands étaient propriétaires de leur atelier; quelques-uns étaient indépendants: ils achetaient la laine aux marchands et organisaient eux-mêmes la fabrication en la sous-traitant en partie).

Genève avait aussi une industrie des apprêts renommée, qui ne perdit de son importance qu'à la fin du XVIIIe s. Les différentes opérations, soit le foulage, la teinture, le tondage, le ratinage ou frisage (pour friser la laine) et le pressage ou catissage étaient effectuées par des artisans spécialisés, souvent étrangers. Les entrepreneurs contrôlaient davantage les apprêts que le tissage, puisqu'ils possédaient non seulement la matière première (les draps de laine), mais aussi les locaux et les outils. Genève compta parmi les rares centres de production qui mécanisèrent le ratinage, en 1673/1675. Pour le foulage, on utilisait autant que possible la force hydraulique. Les moulins à foulon et à ratiner, tout comme les Teintureries et les tanneries, occupaient l'Ile (du Rhône) et la rive droite voisine pour former un véritable quartier industriel, au début du XVIIIe s. déjà.

Les débuts des manufactures de drap de Zurich remontent à 1570 environ et restèrent fort modestes jusqu'à la fin des années 1580. Les réfugiés protestants italiens jouèrent un rôle prépondérant dans l'acquisition du savoir-faire technique; en revanche, la mise en place de l'industrie fut essentiellement organisée par des notables locaux, qui disposaient des capitaux nécessaires et surent s'assurer le soutien des autorités après avoir appris les intentions des réfugiés. Dans la première phase d'expansion, qui dura jusque vers 1620, on fabriquait principalement une imitation de burat, étoffe légère et grossière, originaire de Bergame. Produite à moindres coûts, en dehors des organisations corporatives et des marchés protégés, l'imitation zurichoise pouvait concurrencer l'original aux foires de Lyon, qui offraient de larges débouchés. Plus tard, les foires allemandes, notamment celles de Francfort-sur-le-Main, devinrent un important canal de diffusion. A son apogée, vers 1700, cette industrie était probablement la première branche d'exportation de Zurich. Dans la deuxième phase d'expansion, après 1660, la palette des produits s'était diversifiée, bien que les draps de qualité moyenne fussent toujours dominants. Les années 1710-1730 marquèrent un net fléchissement; on en ignore les causes précises, parmi lesquelles il faut sans doute compter la demande croissante de cotonnades (Industrie cotonnière).

Contrairement à celle de Genève, l'industrie lainière de Zurich, où régnaient de grands marchands également actifs dans l'industrie de la soie, n'était pas organisée en corporation. Ces marchands supervisaient la production; ils confiaient le filage et même le tissage à des campagnards (sous forme de Travail à domicile), mais afin d'éviter la diffusion du savoir-faire technique, ils concentraient le peignage dans leurs ateliers en ville. Pour les types de draps concernés, celui-ci était effectué en faisant roussir la laine brute sur des fours. Ainsi, de grandes Manufactures virent le jour, comptant jusqu'à vingt-cinq fours et plusieurs douzaines d'ouvriers, tous masculins.

Après un déclin dans la première moitié du XIXe s., l'industrie de la laine connut à nouveau un certain essor après 1850. Pourtant, à cette date, ce secteur employait environ 2000 travailleurs, contre 52 000 pour le coton et 45 000 pour la soie. Entre les années 1860 et 1880 apparurent la filature et le tissage de la laine peignée (la majeure partie de ces filés était destinée à l'exportation), secteurs qui eurent une certaine importance jusqu'à la grande crise économique mondiale. L'arrivée des produits industriels fit reculer la fabrication de textiles dans le cadre de l'économie domestique. De ce fait, la demande de textiles destinés aux vêtements de tous les jours augmenta sur le marché intérieur. Jusqu'au début du XXe s., la production se concentra sur des textiles mixtes (laine/coton surtout). Les commandes de l'Etat (couvertures et drap d'uniforme) permirent de maintenir la production lainière au-delà de la grande crise et de la Deuxième Guerre mondiale. Vers 1950, l'industrie lainière occupait environ 10 000 personnes; mais après 1960 elle fut victime de la dégradation générale des conditions de production qui frappa l'ensemble de l'industrie textile. En 2001, seules quelques entreprises restaient actives dans cette branche (Alle, Huttwil, Turbenthal). Créée en 1882, l'Association suisse des industriels de la laine s'intégra dans les années 1990 à la Fédération textile suisse.

Sources et bibliographie

  • HSVw, 2, 652-656
  • W. Bodmer, Die Entwicklung der schweizerischen Textilwirtschaft im Rahmen der übrigen Industrien und Wirtschaftszweige, 1960
  • Hist.FR, 1, 241-283
  • L. Mottu-Weber, Economie et refuge à Genève au siècle de la Réforme, 1987, 25-211
  • U. Pfister, Die Zürcher Fabriques, 1992
Liens

Suggestion de citation

Ulrich Pfister: "Draperie", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 03.02.2015, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/013960/2015-02-03/, consulté le 12.10.2024.