Le monde très diversifié de la Métallurgie fut, avant l'actuelle domination de l'industrie, le domaine de l'Artisanat. Sur le territoire de la Suisse, la métallurgie (cuivre, or, Métaux précieux) est attestée par l'archéologie dès la fin du Néolithique et l'on peut dire que d'une certaine manière il s'agit du plus ancien artisanat spécialisé. Les matières premières étaient d'origine locale (Mines) et sans doute aussi d'importation . On a mis au jour des ateliers dans des oppida celtiques (dès 300 av. J.-C. env.). A l'époque gallo-romaine (du Ier s. av. J.-C. au Ve s. apr.), la métallurgie subit l'influence de la tradition romaine et se répandit dans tout le territoire colonisé: les ateliers des cités, des vici et des castra produisaient pour les besoins locaux et pour l'exportation (bronze). Après la chute de l'Empire, les artisanats de prestige, soit l'Orfèvrerie et la fabrication des armes (production et commerce d' Armes), survécurent dans les anciens sites romains, dans les grands domaines et dans les couvents. Pour les objets d'usage courant, destinés surtout à la paysannerie, toute seigneurie médiévale disposait d'une forge, dont l'exploitation, jusqu'au XIXe s., était soumise à concession (Banalités).
La métallurgie dans les villes
La métallurgie occupa d'emblée une place importante dans les villes médiévales. Comme à la campagne, on y trouvait des forges qui travaillaient pour les besoins des transports (fers à cheval, pièces de char, Construction navale), produisaient des outils pour les artisans, les paysans, les bûcherons, ainsi que toutes sortes d'objets pour la vie quotidienne. A l'instar des autres métiers, les forges d'une ville se regroupaient dans une rue, généralement le long d'une route de transit et en périphérie, à cause des émanations et des risques d'incendie. A l'époque de l'économie domaniale, les forgerons dépendaient des services (officia) du seigneur de la ville (notamment à Bâle), avant de former des Corporations, comme les autres métiers, au XIIIe-XVe s.
L'essor démographique, économique et commercial des villes entraîna dans la métallurgie un mouvement de spécialisation, car une demande apparut, au gré des modes, pour des produits nouveaux dont la fabrication exigeait des qualifications particulières. On distingua dès le XIIIe s., surtout dans le domaine des armes et des Arts décoratifs, de nouveaux métiers, qui appliquaient des techniques récentes, travaillaient des métaux de haute qualité, utilisaient des outils coûteux et des machines.
Parmi les plus anciens de ces spécialistes, on trouve les orfèvres attachés surtout aux cours épiscopales (Bâle, Lausanne) et produisant des bijoux et des objets liturgiques en or et en argent. L'évolution des armes se reflète dans celle des métiers de la branche: après les affineurs de lames, les fabricants de hallebardes, d'armures et cuirasses, apparurent au XIVe-XVe s. les fabricants d'arquebuses et de canons, puis au XVIe s. ceux de dagues et de mousquets. Les serruriers constituaient l'un des principaux métiers spécialisés; on leur demandait, outre des serrures, de petits objets, des appareils domestiques et des mécanismes, parfois compliqués. De leur groupe émergèrent les ceinturiers (boucles et ornements fins) et les horlogers (horloges de ville dès le XIVe s., puis pendules et montres; Horlogerie). Les potiers d'étain produisaient pour l'Eglise et les classes aisées, les chaudronniers diffusaient leurs récipients de cuivre en ville comme à la campagne. Les épingliers façonnaient (à partir de fil métallique) divers objets pour le ménage et la ferme, les fabricants de faux et faucilles, de haches, de compas et outils, de limes, de clous, de forets, de fils répondaient aux besoins des paysans, des bûcherons ou des artisans.
La spécialisation appelle deux remarques. D'une part la fabrication d'objets complexes exigeait souvent la collaboration de plusieurs métiers: pour les armes, par exemple, de serruriers (mécanisme), d'aléseurs et polisseurs (canon), de graveurs, ciseleurs et brunisseurs (décor). D'autre part, les métiers voisins partageaient des connaissances et des techniques communes. Faute de travail dans son domaine, un maître pouvait s'activer ailleurs, et si l'on manquait d'un spécialiste, un autre pouvait le remplacer: un serrurier faisait office de ceinturier, un orfèvre passait de l'or à l'argent, un fondeur de cloches coulait des canons ou des plaques funéraires. Il y avait autant de rivalité que de solidarité entre les divers fondeurs, entre serruriers et arquebusiers, maréchaux-ferrants et armuriers, mécaniciens et horlogers. Dans les métiers spécialisés, en dehors des forgerons, maréchaux, chaudronniers et serruriers, le nombre des maîtres était restreint; il dépendait de la taille de la ville et du prestige de la profession. La corporation zurichoise des Forgerons réunissait dix-sept métiers; vers 1762, seuls les potiers d'étain, les serruriers et les chaudronniers comptaient au moins dix maîtres et deux métiers n'avaient aucun représentant. Si des orfèvres étaient établis aux XVIIe-XVIIIe s. dans de petites villes comme Sursee et Wil (SG), par exemple, qui en firent leur spécialité, il s'en trouvait surtout dans des centres comme Zurich et Bâle, qui n'avaient cependant pas le rayonnement européen d'Augsbourg ou de Nuremberg (24 maîtres à Bâle au XVIe s., et près de 200 à Augsbourg). Les fabricants d'horloges publiques, les facteurs d'orgues et les fondeurs de cloches se déplaçaient à l'appel de leurs clients.
Corporations et règles professionnelles
Contrairement à ce qu'on observe parfois en Allemagne, les villes suisses réunissaient dans une seule corporation les forgerons et les autres artisans des métaux, vu leurs trop faibles effectifs. Elles pouvaient compter douze à dix-sept métiers formant autant de sous-groupes organisés ("maîtrises"). Les orfèvres, parfois les arquebusiers, les ceinturiers, voire d'autres encore, pouvaient choisir librement leur corporation (par exemple la Konstaffel à Zurich, les Changeurs à Bâle, les Artisans d'art à Lucerne et Soleure, les Merciers à Fribourg).
Comme les autres métiers, ceux des métaux se donnèrent dès le XVe-XVIe s. des règles corporatives et professionnelles. L'apprentissage, qui durait deux ou trois ans, et jusqu'à six ans pour les orfèvres ou les horlogers, fut allongé dès le XVIe s. sous l'effet de la concurrence.
Il incombait aux maîtres d'acheter les matières premières et demi-produits nécessaires (fer, cuivre, étain, laiton, plomb, fer blanc, tôle noire, fil), mais les règlements corporatifs, qui distinguaient bien dès les XVe-XVIe s. marchands et artisans, leur interdisaient d'en faire le commerce, à l'exception des vieux métaux. La raréfaction et le renchérissement des matières premières, dès le XVIe s., poussa les maîtrises à étendre des villes aux campagnes leur monopole sur la récupération des vieux métaux. Les chaudronniers étaient avantagés sur ce point grâce à des accords conclus avec les rétameurs ambulants.
La petite entreprise (un maître par atelier) s'imposa dès le XVIe s., en épargnant toutefois les ateliers des villes, régies municipales qui employaient forgerons, serruriers et armuriers. Quelques grands établissements à forte capitalisation échappaient au carcan corporatif, par exemple les forges produisant dès le XVe s. des demi-produits de fer ou de cuivre. Les bruyants marteaux-pilons, actionnés par l'énergie hydraulique, et les tréfileries (dès le XVIIe s.) se trouvaient à l'extérieur des villes.
Les artisans travaillaient pour une clientèle locale ou régionale et plus rarement pour l'exportation (faux lucernoises au XVe s., Dorure et horlogerie à Genève et Neuchâtel aux XVIIe et XVIIIe s., par exemple); leur réputation dépassait parfois les frontières (fondeurs de canons de Berne et Zurich par exemple). Ils luttaient souvent avec vigueur contre les marchands qui importaient des produits de luxe (bijoux, armes de prix, étains d'art, etc.) pour les vendre dans leurs boutiques ou sur les marchés des villes.
A la campagne
Jusqu'au XIXe s., les maréchaux-ferrants dominèrent l'artisanat métallurgique à la campagne; leurs ateliers étaient soumis à concession (banalité) et jouissaient d'un monopole territorial. Leurs activités, très variées, allaient du ferrage des chevaux à la fabrication et à la réparation de toute espèce d'outils et ustensiles (pour l'agriculture, le jardinage, le ménage), en passant par la clouterie (pour chaussures, pour fers à cheval) et le cerclage des roues de char. Ils se procuraient du fer chez les marchands en ville et surtout par la récupération; le commerce du vieux fer leur procurait un revenu accessoire et un certain prestige au village. Ils faisaient souvent eux-mêmes leur charbon de bois et donnaient des soins aux chevaux. Dès le XVIe, les autorités fixèrent prix et salaires dans des tarifs officiels.
Liées comme les moulins aux activités agricoles, les forges étaient répandues partout, et en particulier le long des grandes routes. La demande s'accrut comme la population aux XVIe-XVIIIe s. Le monopole des forges établies empêchant qu'il s'en crée de nouvelles, l'approvisionnement en objets de fer et de cuivre fut assuré par les colporteurs. Au XVIIe s., l'essor de la construction fit apparaître des fabricants de clous et de forets jouissant d'une concession officielle "de cheminée", selon l'expression alémanique; en Emmental par exemple, ils travaillaient pour l'exportation. Fait nouveau, des arquebusiers, des horlogers, des facteurs d'orgues et surtout des serruriers s'établirent comme Tauner et commencèrent à battre en brèche les privilèges, pourtant bien défendus, des corporations urbaines et des forgerons villageois.
Les conséquences de l'industrialisation
Au XVIIIe s., de nouveaux matériaux et l'évolution des techniques firent reculer des artisanats autrefois réputés: le verre et la porcelaine, par exemple, remplacèrent la vaisselle d'étain. La production mécanisée, plus avantageuse, commença à s'imposer dans les années 1820, d'abord pour les objets de série, par exemple lorsque les tréfileries remplacèrent les petites forges de clouterie. Dans l'industrie du fer et du cuivre, laminoirs et marteaux mécaniques succédèrent aux martinets mus par la roue à eau. La fabrique prit le pas sur la manufacture, évinçant les forgerons, chaudronniers, serruriers, rétameurs, épingliers et outilleurs dans le domaine des accessoires ménagers, des cuisinières, des poêles, des véhicules, des instruments agricoles, des outils, etc. En ville, puis à la campagne, les artisans perdirent leur clientèle, qui prit l'habitude de se fournir dans des quincailleries diffusant les marchandises industrielles. La mécanisation ne recula même pas devant les produits de luxe et de précision, tels ceux de l'horlogerie.
Vers 1900, les structures des artisanats (métallurgiques ou autres) commencèrent à changer, par redéfinition des métiers et recul des exploitations individuelles non rentables, encore nombreuses en 1905, ce qui amena l'effectif moyen des ateliers à son maximum en 1965 (douze personnes).
Tout moribond qu'il était, l'artisanat des métaux se mit à donner des signes d'espérance, malgré les prophètes de malheur. Ont survécu surtout de petites et moyennes entreprises dans les domaines du fer forgé, de la serrurerie et des constructions métalliques, capables de réaliser des pièces spéciales pour les particuliers (balustrades, barrières, escaliers, portes, façades, vitrines, etc.), des ferronneries d'art (lampes, chandeliers, grilles, mobilier d'église), des installations de transports, d'extraction, de coupe, etc. pour l'industrie et le commerce, ou encore aptes à réparer et entretenir les équipements agricoles, forestiers et sanitaires fournis par l'industrie. A côté de la Bijouterie industrielle, orfèvres, ciseleurs, graveurs et autres maintiennent une qualité artisanale dans les produits de luxe. A la fin du XXe s., l'apprentissage dans les artisanats des métaux dure trois ans et demi ou quatre ans, selon la réglementation fédérale.
L'association des maîtres serruriers (fondée en 1888) et celle des maîtres forgerons et charrons (1891) ont fusionné en 1972 dans l'Union suisse du métal, qui représente en 2001 60% des entreprises de la branche (env. 18 000 employés). Il existe aussi des associations de maîtres chaudronniers (1877), couteliers (1891) et orfèvres (1894).
Sources et bibliographie
- Volkswirtschafts-Lexikon der Schweiz, 1, 1885-87, 522-525
- HSVw, 1, 398-406
- F. Häusler, «Spes Pacis in Armis», in 100 Jahre kant. Militäranstalten Bern, 1878-1978, 1978
- Das Gewerbe in der Schweiz, 1979
- P.-L. Pelet, Fer, charbon, acier dans le Pays de Vaud, 3, 1983
- R. Reith, Lexikon des alten Handwerks, 1990
- A.-M. Dubler, éd., Handwerksgeschichte, 1993
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