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Banques

Malgré la condamnation du prêt à intérêt et de l'Usure que l'on trouve chez Aristote et dans le droit canonique, on connaît des hommes d'affaires et des banquiers dans l'Antiquité (le père de l'empereur Vespasien exerçait de telles fonctions chez les Helvètes) et au Moyen Age. Ils pratiquaient le change, le prêt sur gages ou à intérêt. Dès le XIIe s., des hommes d'affaires italiens commencèrent à mettre de grosses sommes d'argent à la disposition des marchands pour la durée des foires. Ces prêteurs itinérants s'installèrent à la fin du Moyen Age comme banquiers. Utilisant de nouvelles techniques commerciales (lettre de change, comptabilité double), ils furent actifs dans le grand négoce, dans le change et dans la finance, c'est-à-dire dans le prêt aux souverains.

La montée de la banque publique (XVe siècle)

La banque commence avec la renaissance des villes et la présence des juifs et des Lombards (Economie monétaire). Mais, dès la fin du XIVe s., les républiques urbaines se passèrent de leurs services. Quelques-unes créèrent des changes publics (Lucerne en 1383, Zurich en 1419) pour une durée en général limitée, d'autres se contentèrent d'un service administratif affilié à la trésorerie centrale. Les changeurs (orfèvres, maîtres monnayeurs) étaient désignés par le Conseil. Le change public contrôlait la monnaie en circulation, changeait les espèces, accordait du Crédit. Le bénéfice était partagé entre changeur et ville.

Au XVe s., on observe en Suisse et en Europe une tendance générale à la communalisation de la banque. La solidarité croissante entre les villes suisses et leurs voisines favorisant les prêts et emprunts réciproques, l'offre générale de capitaux tendit à augmenter, d'autant plus que les bourgeois s'étaient enrichis (Marché financier). En même temps s'effectuait un changement important dans les structures du crédit hypothécaire. La rente gagée par un bien immeuble (Droit de gage immobilier), jusqu'alors perpétuelle, devint remboursable et donc assimilable à une obligation, d'où l'effacement progressif de la frontière entre crédit lombard ou juif, à court ou moyen terme et aux Intérêts élevés (taux de 33% à 43%) et prêt hypothécaire à long terme et à taux d'intérêt bas (en 1380 déjà, le plus souvent 8%). Le petit prêt sur gages perdit son attrait pour les banquiers; sa nécessité sociale et économique en fit cependant l'un des domaines d'activité des trésors et changes publics, qui jouent un rôle local et régional.

Les paiements internationaux (pour les Chambres apostoliques de Rome et d'Avignon par exemple) restèrent en Suisse l'apanage des banquiers italiens, surtout florentins et lucquois qui, au XIVe s., incorporèrent dans leur réseau européen Genève et ses foires, à leur apogée de 1420 à 1464 (Transactions financières). Quelques Italiens, en particulier les Médicis, ouvrirent aussi des succursales à Bâle pendant le concile, de 1431 à 1438. La fin du concile et la montée des foires de Lyon les incitèrent à abandonner Bâle, bientôt Genève. Le développement de la banque publique locale ou régionale dans les nombreuses villes de Suisse n'en souffrit cependant pas, ni d'ailleurs les relations internationales des marchands saint-gallois et bâlois, grâce à leur propre réseau de lettres de change.

La change public de Bâle (XVIe siècle)

Mentionné dans des documents du XVe s., le change public de Bâle (Basler Stadtwechsel) fut réorganisé en banque publique de l'Etat de Bâle en 1504. Elle fut la banque publique la plus importante de Suisse aux XVIe et XVIIe s. Sa forme juridique, inspirée du change public de Strasbourg, correspondait à celle d'une société en commandite simple avec participation au capital du ou des changeurs (les premiers furent Andreas Bischoff et Heinrich David) et des autorités, et avec répartition paritaire annuelle des bénéfices. Les changeurs, qui faisaient partie de la corporation de l'Ours, furent aussi très souvent maîtres de la monnaie durant les premières décennies du XVIe s. Le règlement fut modifié plusieurs fois, notamment à l'occasion de l'élargissement des compétences de la banque, qui exerça peu à peu le rôle de banque universelle. Sa fonction principale était le change des espèces. Par son monopole de l'émission de pièces courantes neuves, elle servait de banque centrale et était seule autorisée à retirer de la circulation les mauvaises pièces destinées à la refonte, à acheter et vendre des lingots d'or et d'argent (Monnaies). A ces activités de base s'ajoutait tout l'éventail de services qu'une banque moderne pouvait alors offrir. Banque de dépôt, elle profitait de la garantie de l'Etat. Elle accordait des prêts aux marchands, aux entreprises de transports, aux artisans, à la noblesse, aux églises et aux couvents, ainsi qu'aux villes de Suisse et d'Allemagne. Les prêts, d'abord accordés sur gages, le furent dès 1533 sur caution, obligation, hypothèque et lettre de change, avec des délais fixés individuellement. C'était aussi une banque de virements qu'utilisaient administrations publiques, marchands et artisans. La banque servait de lieu de paiement des échéances. Dès 1574, elle se consacra à la gestion de fortune et, en 1608, à celle des masses en faillite de Bâle.

Dans le domaine de la négociation d'emprunts publics, l'institut bâlois dépassait largement le cadre régional. Dès ses premières années et jusqu'au début du XVIIe s., il émit des emprunts pour de nombreuses villes, pour la petite noblesse du pays, pour les margraves de Bade, les ducs de Savoie, de Wurtemberg et d'Orléans-Longueville, pour les rois de France - de François Ier à Henri IV - et pour l'empereur, par l'entremise de la régence d'Ensisheim. Unique banque d'émission d'emprunts en Suisse, elle drainait les capitaux des particuliers et des couvents à la recherche d'un placement dans un rayon d'au moins 150 km: elle réalisait les emprunts par souscription au moyen de titres d'obligation préfabriqués, sur lesquels le banquier n'avait qu'à ajouter le nom du souscripteur, la somme, l'intérêt et son échéance. Lorsque le montant de l'emprunt était réuni, la souscription était close. On versait aux clients les intérêts annuels et on leur remboursait les emprunts arrivés à échéance. En innovant de la sorte dès le début du XVIe s., bien avant le "grand parti" de Lyon (1555), la banque publique bâloise dépassait une technique d'émission compliquée mise au point au XVe s. par les Italiens. Pour les transferts de capitaux on utilisait la lettre de change ou la cédule obligatoire, en affiliation avec le réseau international des marchands et banquiers privés de Bâle, Saint-Gall et Genève. Moderne, la banque publique bâloise escomptait ou honorait les lettres de change en dehors des foires. Florissante, elle fournissait au trésor public des bénéfices couvrant jusqu'à 12% du budget ordinaire de l'Etat; en 1567, elle servit de modèle pour la création d'une banque publique à Genève, liquidée par manque de succès en 1581.

La percée de la banque privée (XVIIe et XVIIIe siècles)

A partir du XVIe, et plus encore aux XVIIe et XVIIIe s., l'histoire bancaire suisse ne suit plus l'évolution des autres pays européens. Le marché des capitaux ne fonctionnait pas comme celui des grands royaumes où l'endettement perpétuel de l'Etat avait favorisé l'éclosion et le développement de la banque. Les républiques urbaines suisses (la première, Lucerne, dès le début du XVIe s.) et leurs alliés ne connurent plus le surendettement chronique. Genève, après avoir assaini ses finances grâce à sa Chambre des blés, sorte d'institut financier et de crédit semi-public, ne jouit qu'après le milieu du XVIIe s. d'une situation analogue.

Portrait d'Isaac Thellusson. Gravure, vers 1740 (Bibliothèque de Genève).
Portrait d'Isaac Thellusson. Gravure, vers 1740 (Bibliothèque de Genève). […]

Par ailleurs, le service étranger, la protoindustrie et le commerce produisirent une énorme accumulation de capital privé et public, que le marché intérieur ne pouvait absorber, d'où exportation de capitaux. Ralentis pendant la guerre de Trente Ans, les placements à l'étranger reprirent de plus belle dès 1648. De plus en plus, et surtout dès le XVIIIe s., des marchands-banquiers s'en chargèrent: les d'Aubert, Boissier, Fatio, Lullin, Mallet, Rigot, Rilliet, De la Rue, Sellon et Thellusson à Genève, les Högger, Schlumpf, Zili et Zollikofer à Saint-Gall, les Meyer, Escher, Muralt et Orelli à Zurich, les Malacrida, Marcuard, Müller, Hunziker et Gruner à Berne, les Battier, Burckhardt, Heusler, Leissler, Merian, Mitz, Ochs et Sarasin à Bâle, les Pury, Rougemont, Perregaux et Cartier à Neuchâtel ainsi que les Grand, Silvestre, Panchaud et Delessert à Lausanne. Vers 1700 déjà, plusieurs ne pratiquaient plus que la banque, seuls ou avec un ou deux associés, disposant d'un réseau de paiements internationaux, de relations familiales, amicales et d'affaires dans chaque ville européenne d'une certaine importance, ainsi que d'entrées auprès des gouvernements. Ces relations leur permirent de placer les capitaux provenant des trésors publics suisses de préférence dans des obligations d'Etat en Autriche, en Allemagne, en Savoie, en France, au Danemark, aux Pays-Bas, en Suède, en Angleterre et aux Etats-Unis d'Amérique. Les banquiers offrirent à leur clientèle privée tout un choix d'investissements (emprunts en rentes ou dans des entreprises semi-publiques de l'industrie, du commerce, de l'armement maritime et de la banque). Vers la fin du XVIIIe s., on comptait une quarantaine de banquiers suisses en France: administrateurs de la Caisse d'escompte (1776-1793), dont le Vaudois Isaac Panchaud à qui revint l'initiative de sa création, régents de la Banque de France dès 1800 (Jean-Frédéric Perregaux, son premier président, et Benjamin Delessert). Des carrières analogues sont connues à Vienne (les frères Ochs, banquiers de la cour d'Autriche), à Londres (Pierre-Isaac Thellusson, directeur de la Banque d'Angleterre).

En Suisse, la banque publique perdit, à l'exemple de celle de Bâle liquidée en 1744-1746, presque tout le terrain d'antan. Les banquiers privés ne lui laissèrent que le petit crédit local, particulièrement celui sur gages. C'est ce besoin mal couvert qui amena la création de nouvelles banques publiques. A Saint-Gall, pour sauver les producteurs de toile en crise structurelle dès 1700, on ouvrit en 1752 la Caisse de crédit sur toile (Obrigkeitliche Leinwatcassa), qui accordait des crédits à court et à moyen terme contre la mise en dépôt des invendus. En 1788, on créa une institution analogue pour le secteur cotonnier (Mousseline- und Baumwolltuchcassa); les deux caisses fusionnèrent en 1800. A Zurich, une initiative lancée par des banquiers privés conduisit en 1755 à la création d'une banque publique (Banque Leu) qui devait absorber un pouvoir d'achat considéré comme trop important et aux effets trop inflationnistes pour l'économie du pays. Par l'émission de bons de caisse dont la Banque Leu placerait le capital à l'étranger, on espérait arrêter la baisse des taux d'intérêt et la hausse des prix sur les marchandises de consommation courante.

Caisses d'épargne et premières banques cantonales (XIXe siècle)

A Lucerne, la première banque privée ouvrit en 1798 (Falcini Jünger & Cie), alors que Berne avait inauguré l'ère des Caisses d'épargne et de crédit en 1787 déjà, avec la création de la Dienstenzinscassa in Bern. L'exemple fut suivi par Genève (1789), Bâle (1792) et Zurich (1805). Jusqu'en 1840, il s'en créa cent trente-deux, d'abord urbaines, puis rurales dès 1815, dont cent six dans les régions industrialisées des cantons d'Argovie, de Berne, de Zurich, d'Appenzell Rhodes-Extérieures et de Vaud. La dépression des années 1840 freina momentanément cet élan.

Par ailleurs, la transformation du commerce intérieur et extérieur de quelques cantons pendant la Régénération anima la demande de moyens de paiement et de crédit commercial, d'où une pénurie. Les industriels et les commerçants libéraux et radicaux proposèrent dans leur canton la création de banques centrales d'escompte. C'est ainsi que naquirent en 1834 la Banque cantonale de Berne, en 1837 la Bank in Zürich et la Bank in St. Gallen, en 1844/1845 la Bank in Basel et en 1845 la Banque cantonale vaudoise. Le succès de ces Banques cantonales fut mitigé avant l'unification économique du pays qui suivit 1848. A fin 1850, outre les nombreuses banques privées, pour la plupart anciennes, on comptait en Suisse la Banque Leu, cinq banques cantonales, trois banques hypothécaires, douze banques locales et cent cinquante caisses d'épargne.

Le système bancaire après 1850

Le système bancaire suisse moderne se mit en place dans la seconde moitié du XIXe s. avec les grandes banques. L'exemple du Crédit mobilier français suscita la création de banques commerciales qui cherchaient à mobiliser les dépôts du pays pour financer la construction des lignes ferroviaires et la grande industrie naissante (Sociétés de financement). La première fut la Banque générale suisse, fondée à Genève en 1853 (liquidée en 1869). Elle fut suivie en 1856 par le Crédit suisse; en 1862 par la Bank in Winterthur (qui fusionna en 1912 avec la Banque du Toggenbourg pour former l'Union de banques suisses (UBS)) et par la Banque commerciale de Bâle; en 1863 par la Banque fédérale; en 1869 par la Banque populaire suisse (BPS), à Berne; enfin en 1872 par le Basler Bankverein qui, à la suite de plusieurs fusions, prit le nom de Société de banque suisse (SBS) en 1898.

Les années 1860 furent aussi marquées par la seconde vague de formations de banques cantonales. Dès la fin des années 1860, le "mouvement démocratique" encouragea leur création, dans le but de libérer le marché des capitaux de la tutelle du grand capital. Le résultat le plus important de cette campagne fut la fondation en 1870 de la Banque cantonale de Zurich, qui devint rapidement l'une des plus grandes banques du pays. De nombreuses banques locales de crédit furent aussi établies entre 1860 et 1880. Destinées aux artisans, à la classe moyenne, elles avaient pour slogan Volksbank gegen Herrenbank (une banque pour le peuple, non pour les "messieurs").

La dernière composante majeure du système bancaire suisse, la banque centrale, fut mise en place en 1905 et se concrétisa avec l'ouverture de la Banque nationale suisse (BNS) en 1907. Deux nouveaux types de banque s'ajoutèrent encore au système au XXe s.: les sociétés financières et les banques étrangères. Les premières virent le jour dans les années 1890, fondées par les grandes banques, le plus souvent dans le but de financer l'industrie électrique en Suisse ou à l'étranger. Les banques étrangères firent une entrée timide en Suisse dans la seconde moitié du XIXe s.: la Banque de Paris et des Pays-Bas ouvrit une agence en 1872, le Crédit lyonnais en 1876. Lloyds Bank, Barclays Bank et l'American Express Bank les suivirent dans les années 1920. Mais le mouvement ne prit véritablement son essor qu'après 1945.

Les statistiques officielles distinguent différents types d'établissements, des grandes banques aux caisses Raiffeisen. Mais cette subdivision ne correspond pas à une spécialisation fonctionnelle, la banque en Suisse se caractérisant par une grande flexibilité et une tendance vers la banque universelle. Toutes les banques, par exemple, accordent des prêts hypothécaires, mais non dans les mêmes proportions: en 1950, ils ne représentaient que 6% de l'actif des grandes banques, mais 70% de l'actif des caisses d'épargne et 59% de celui des banques cantonales; en 1995, ils en formaient respectivement 24, 71 et 60%. Pour les parts au marché hypothécaire, les grandes banques (39%) ont évincé à cette date tant les banques cantonales (36%) que les caisses d'épargne (20%). Dès le début du XXe s. et jusqu'à nos jours, les deux principales catégories d'établissements sont les grandes banques et les banques cantonales. Si, en 1880, les autres établissements totalisaient 60% du bilan de l'ensemble des banques, leur part était tombée à 35% en 1913 déjà (32% en 1990).

Les concentrations du XXe siècle

Une première vague de concentrations se produisit à la suite de la fondation de la Banque nationale suisse dont le monopole de l'émission de billets de banque rendait redondantes les fonctions de nombreuses banques régionales émettrices (Banques d'émission). Le nombre total d'établissements chuta de 458 en 1908 à 371 en 1920. La crise des années 1930 marqua en revanche un coup d'arrêt à la croissance des grandes banques, le plus fortement touchées en raison de l'importance de leurs transactions avec l'étranger. Le total de leur bilan diminua de moitié entre 1930 et 1935. L'une d'entre elles, la Banque d'escompte suisse, de Genève, s'effondra en 1934 et toutes les autres, à l'exception des deux plus grandes - SBS et Crédit suisse - durent être réorganisées et consentir des réductions de capital. La BPS, qui s'était développée trop rapidement dans les années 1920, fut sauvée par le gouvernement fédéral. Les banques cantonales s'en tirèrent mieux, en raison notamment de la garantie de l'Etat, et redevinrent la catégorie de banque la plus importante du pays; leur part au bilan, de 36% en 1929, remonta à 40% en 1935, alors que celle des grandes banques passait de 41 à 21%. Comme dans la plupart des pays européens, la crise bancaire entraîna une régulation accrue par les pouvoirs publics. La loi de 1934 ne constitue pourtant qu'une ingérence modérée de la Confédération. Elle se contente de fixer des règles générales relatives à l'autorisation d'exercer, à l'organisation et à la gestion des banques (notamment par ses dispositions sur les liquidités et le rapport entre fonds propres et fonds étrangers), à la révision des comptes (qui doit désormais se faire par des sociétés fiduciaires indépendantes). Elle introduit le secret bancaire, destiné à assurer la protection de la personnalité des clients. La supervision du système bancaire incombe à une commission de contrôle, la commission fédérale des banques, composée de sept à neuf experts nommés par le Conseil fédéral.

Le degré de concentration du système bancaire suisse, resté relativement stable de la fin du XIXe s. aux années 1960, s'est intensifié durant le dernier tiers du XXe s. Les grandes banques étendent en particulier leur réseau d'agences et succursales à travers le pays: leur nombre passe de 184 en 1946 à 688 en 1975, celui des banques cantonales de 1031 à 1252. Le nombre total de banques augmente durant cette période: de 319 en 1960, il grimpe à 584 en 1970 et à 625 en 1990, accroissement dû surtout aux établissements spécialisés (opérations boursières, transactions sur titres, gestion de fortune, leasing) et aux banques étrangères (88 en 1970, 120 en 1985, 155 en 1995). Les grandes banques et les banques étrangères ont continué à renforcer leur position, principalement dans les opérations hors bilan (trafic des paiements, commerce des devises et des métaux précieux, émissions, gestion de portefeuille, conseils aux entreprises, et surtout opérations fiduciaires), qui ont connu l'expansion la plus forte depuis les années 1970. Après l'hécatombe qui a frappé les institutions locales et régionales et les caisses d'épargne dans les années 1990 (204 banques régionales en 1990, 95 en 1997, fondation d'un holding en 1994), les grandes banques sont devenues les banques hypothécaires et les caisses d'épargne les plus puissantes du pays, ce qui n'est pas sans conséquence sur le plan social. Confrontées à la globalisation économique, les grandes banques suisses appliquent en 1997 diverses stratégies: le Crédit suisse a formé avec la Winterthour un groupe actif à la fois dans la banque et les assurances, tandis que l'UBS et la SBS ont fusionné sous le nom d'UBS: cet établissement occupe le deuxième rang mondial de la branche et se concentre sur les affaires spécifiquement bancaires.

La Suisse, place financière

La croissance du secteur bancaire au XXe s. est due pour une bonne part aux activités financières internationales des banques helvétiques et au rôle de la Suisse comme Place financière internationale. Ce rôle resta modeste jusqu'en 1914, bien que la Suisse fût une forte exportatrice de capitaux. Sa position se renforça à la faveur de la guerre: pays neutre, la Suisse fut sollicitée par tous les belligérants et le franc suisse joua de plus en plus le rôle de monnaie refuge.

Département boursier de l'UBS à Zurich. Photographie, vers 1990 (Bild Archiv HR. Bramaz, Oberwil-Lieli).
Département boursier de l'UBS à Zurich. Photographie, vers 1990 (Bild Archiv HR. Bramaz, Oberwil-Lieli). […]

On ne possède que des données éparses sur les capitaux étrangers déposés en Suisse. En 1929, ils sont estimés à 1-1,3 milliard de francs par la Banque nationale, ce qui représenterait entre 5% et 7% du total des dépôts du pays, mais entre 13% et 17% des dépôts des grandes banques, où ils sont principalement placés. Une estimation précise pour la Deuxième Guerre mondiale reste pour l'instant impossible. La Suisse joua alors un rôle clé dans les relations financières internationales en tant que (quasi) seul marché libre de l'or. Elle rendit particulièrement service à l'Allemagne en lui rachetant de l'or (pour l'essentiel pillé dans les banques centrales des pays vaincus) pour un montant évalué autour d'un milliard et demi de francs; elle le convertit ensuite en francs suisses que l'Allemagne pouvait utiliser pour s'approvisionner en matériel stratégique auprès des pays neutres. Dans les années 1960, la Suisse devint l'une des places financières les plus importantes du monde. Jusqu'à l'émergence récente de Tokyo, elle était généralement considérée comme occupant la troisième place derrière Londres et New York (Bourses). Entre 1947 et 1971, le total du bilan des banques suisses a été multplié par six en francs courants, celui des seules grandes banques par huit. La part de leurs transactions avec l'étranger est à la source de ce formidable essor. En 1962, les créances étrangères des banques suisses s'élevaient à 9,4 milliards, soit 15,8% de leur actif (29,1% pour les grandes banques); en 1972, elles étaient passées à 86,5 milliards de francs ou 38,6% de leur actif (41,3% pour les grandes banques). Les engagements étrangers des banques suisses s'élevaient à 10,8 milliards de francs en 1962, représentant 17,2% de leur passif (24,9% pour les seules grandes banques); en 1972 ils atteignaient 71,7 milliards ou 32% du total du passif des banques suisses (59,4% pour les seules grandes banques).

En dépit de leurs engagements financiers internationaux, les banques suisses ne disposaient, jusqu'aux années 1960, que d'un faible réseau d'agences à l'étranger. En 1914, elles n'en avaient que trois ou quatre (dont l'agence de Londres de la SBS et deux filiales du Crédit suisse en Argentine), comparées aux quelque 1300 agences des banques britanniques et 500 agences des banques françaises et allemandes dans le monde. En 1939, le Crédit suisse et la SBS ouvrirent chacune une agence à New York, à la suite du très fort accroissement des relations financières entre la Suisse et les Etats-Unis. Pourtant, en 1943, on ne comptait encore que six agences à l'étranger. D'autres moyens permettaient de s'assurer la présence suisse: un simple représentant ou une prise de participation dans une banque étrangère. La situation changea dès les années 1960. La Suisse participa dès lors pleinement à la mondialisation des activités financières. De 11 agences étrangères de banques suisses en 1965, leur nombre passa à 41 en 1975, 81 en 1985 et 105 en 1995.

Les banques et l'économie

Hormis leur rôle d'employeurs (9320 emplois en 1880, 23 510 en 1910, 45 140 en 1930, 66 480 en 1960, 109 205 en 1995), la contribution des banques au développement économique et plus généralement les relations entre banques et industrie restent encore mal connues en Suisse. On considère en général que le crédit en compte courant est bien adapté aux besoins du commerce et de l'industrie. Il reste pourtant difficile de savoir dans quelle mesure les industriels ont utilisé de tels comptes pour financer leurs investissements. Il en va de même des prêts à court terme, qui prennent souvent la forme de découverts. L'escompte d'effets de commerce a constitué un moyen de paiement essentiel au milieu du XIXe s., mais a perdu beaucoup de sa signification après 1918. Quoi qu'il en soit, l'autofinancement semble bien avoir été, en Suisse comme ailleurs, un facteur décisif dans le financement industriel. Les banques commerciales se chargent de l'émission de titres pour le compte de sociétés industrielles; ceci inclut la transformation de firmes privées en sociétés par actions, les augmentations de capital ou encore les restructurations d'entreprises en difficulté. Les liens entre banques et sociétés industrielles prennent également la forme de chevauchements de conseils d'administration: les représentants de grandes compagnies forment un tiers des administrateurs du Crédit suisse et de la SBS durant l'entre-deux-guerres, deux tiers dans les années 1960. Bien que l'on connaisse mal les facilités de financement offertes par les banques aux petites et moyennes entreprises, on peut penser que la diversification du système bancaire suisse, sa spécialisation par région et type de clientèle plutôt que par fonction, a eu dans ce domaine des effets positifs: alors que les grandes banques traitent surtout avec les grandes compagnies industrielles, les banques cantonales, banques locales et caisses d'épargne servent avant tout les besoins des petites et moyennes entreprises.

Sources et bibliographie

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  • H.C. Peyer, Von Handel und Bank im alten Zürich, 1968
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  • L.-H. Mottet, éd., Les grandes heures des banquiers suisses, 1986
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  • H. Pohl, éd., Europäische Bankengeschichte, 1993, 279-285, 415-418, 551-560
  • S. Guex, «Les origines du secret bancaire suisse et son rôle dans la politique de la Confédération au sortir de la seconde guerre mondiale», in Genèses, 1999, 4-27
  • Publ. CIE, 13-15; 18-19
Liens

Suggestion de citation

Martin Körner; Youssef Cassis: "Banques", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 17.08.2006. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/014061/2006-08-17/, consulté le 19.03.2024.