Le terme a été utilisé en français d'abord en biologie pour désigner le caractère de ce qui est sexué et l'ensemble des caractères propres à chaque sexe (dès 1838). Il apparaît avec le sens courant de «vie sexuelle» dès 1924. L'histoire de la sexualité, nouveau champ, a été étudiée à la fois sur le plan du discours et sur celui des pratiques et modèles des rapports de genre (histoire des femmes). Si l'histoire du désir s'est surtout concentrée sur l'imaginaire littéraire et visuel, l'histoire de la limite entre le permis et l'interdit, quant à elle, utilise principalement des sources théologiques, juridiques et médicales, mais aussi des textes (auto)biographiques. Au début, on s'intéressa principalement aux thèmes de la répression et de la libération, mais ensuite, dans la foulée des travaux de Michel Foucault, la recherche s'est de plus en plus focalisée sur la construction, la régulation et la mise en discours de la sexualité.
Discours: entre régulation et sexualisation
Sur le territoire de la Suisse actuelle, il est possible de repérer des éléments reflétant, sous des formes particulières, certains aspects du développement général de l'histoire de la sexualité dès le bas Moyen. Des textes littéraires, tels que farces, pièces de carnaval ou poèmes didactiques satiriques stigmatisaient la sexualité des paysans, qualifiée de grossière et obscène. Au XVe siècle, les adversaires politiques des Confédérés les diffamaient en les accusant de pratiquer la zoophilie, notamment avec des vaches comme l'illustre l'injure de Kuhschweizer qu'on leur lançait lors de la guerre de Souabe, et donc d'être dangereux pour l'ordre naturel. Au temps de la Réforme, la paillardise et l'homosexualité devinrent des figures rhétoriques importantes dans le combat pour un nouvel ordre social. La sexualité hors mariage fut de plus en plus criminalisée; la virginité et la sexualité légitime apparurent dans le discours théologique sur le mariage et furent jugées devant les consistoires. Avec la parution de L'Onanisme du médecin lausannois Auguste Tissot en 1760 et son combat contre la masturbation, le discours passa clairement du domaine de la théologie à celui de la médecine. Les aspects moraux et médicaux de la sexualité restèrent prépondérants par la suite et furent complétés au XXe siècle par son approche psychologique. Au débat des Lumières sur l'infanticide, repris notamment par Pestalozzi, succéda dès 1875 le mouvement pour le relèvement moral, qui luttait contre la prostitution et les maladies vénériennes. Dès le tournant du XXe siècle, le débat public fut dominé, dans le contexte du mouvement hygiéniste (hygiène) et du darwinisme social, par les discussions sur l'eugénisme, avec des arguments de politique démographique, et sur l'avortement. Dès les années 1970, la levée progressive de l'interdiction du concubinage également en Suisse alémanique et en Valais témoigne d'une nouvelle orientation. La décriminalisation de l'homosexualité qui n'est plus pénalement poursuivie depuis 1942 et de moins en moins stigmatisée à partir des années 1970, et la large égalité juridique entre les couples homosexuels et hétérosexuels dès 2005, vont dans le même sens.
A côté des discussions nettement axées sur les interdits à instituer ou à supprimer, on chercha aussi à dégager les aspects positifs de la sexualité, par exemple le mouvement pour une vie saine et le naturisme dès le milieu du XIXe siècle, les projets de réforme du Monte Verità dès 1900, les nouvelles perspectives scientifiques introduites par Auguste Forel (La question sexuelle, 1905), la psychanalyse et les mouvements de libération, comme le mouvement des femmes dès le début du XXe siècle, le mouvement gay et lesbien, ainsi que l'éducation sexuelle depuis les années 1960. Avec l'introduction de la pilule en 1960 et le débat suscité par l'encyclique Humanae Vitae du pape Paul VI (1968), la sexualité se trouva dissociée de la reproduction. Dès les années 1990, les campagnes contre le sida, la sexualisation croissante observable dans la publicité et les médias, ainsi que la diffusion massive de pornographie grâce aux nouveaux médias, entraînèrent d'autres discours.
Pratiques: contrôle - libération - intégrité
Le «modèle de mariage européen», répandu également en Suisse dès le bas Moyen Age, avec des unions relativement tardives (mariage, empêchements au mariage), et l'importance économique que revêtaient le mariage et la fondation d'un foyer pour la famille (originelle) conduisirent, dès l'époque moderne, à diverses formes ritualisées de contrôle social dans le domaine de la sexualité; ainsi par le Kiltgang ou les sociétés de jeunesse, les garçons surveillaient les contacts entre les sexes dans leur village. Des rituels de condamnation publique, comme le charivari, allaient dans le même sens et visaient à sanctionner publiquement les rapports sexuels indésirables. Des pratiques de contrôle des naissances sont attestées dès le XVIIe siècle dans les classes supérieures des villes, surtout à Genève et Zurich. Le nombre d'avortements augmenta nettement dès 1870 et les moyens de contraception furent de plus en plus utilisés, même dans les quartiers ouvriers dès 1900, notamment grâce aux campagnes d'information sexuelle. Dans le contexte du planning familial, une culture du conseil s'établit dès les années 1950. Par la suite, les questions sexuelles furent de plus en plus souvent discutées dans le cadre des consultations conjugales. La décriminalisation de la prostitution et la création de clubs, forums et autres plates-formes de rencontres à la fin du XXe siècle, constituèrent de nouveaux développements importants, encore peu étudiés quant à leurs effets sur les pratiques sexuelles. Les mouvements pour la réforme sexuelle et pour celle du droit pénal déplacèrent peu à peu le débat sur le terrain du droit à disposer de son corps et à gérer sa sexualité, renforçant ainsi le lien entre subjectivité - ou identité - et sexualité. Le mouvement de libération des femmes qui, dès 1968, remit en question une sexualité dominée par les hommes, en est un exemple typique. Dequis les années 1970, le mouvement gay et lesbien modifia la perception et le quotidien des pratiques non hétérosexuelles et l'on commença à parler de trans- et d'intersexualité. Les abus sexuels sur les enfants, tolérés pendant des siècles, furent de plus en plus poursuivis pénalement dès la fin du XXe siècle.
Sources et bibliographie
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