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Propriété foncière

La propriété foncière est le droit d'user, de jouir et de disposer de manière exclusive et absolue d'un bien-fonds. Au Moyen Age, elle se divisait entre "domaine utile" (droit d'usage concédé à titre précaire sous forme de tenure, plus tard de fermage ou de bail à loyer, et constituant tout au plus, au sens juridique, une possession) et "domaine direct" (propriété seigneuriale). Cette distinction fit place à la propriété paysanne pleine et entière dans le cadre des réformes agraires entreprises en 1798.

La propriété foncière (all. Grundeigentum ou, dans la langue courante, Grundbesitz) fait l'objet des articles 655 à 712 du Code civil (CC), ainsi que de la loi fédérale sur le droit foncier rural (annexe Ia).

Moyen Age et époque moderne

Acquisition et perte

Au Moyen Age, le sol était généralement propriété de seigneurs fonciers laïques ou ecclésiastiques. Les paysans qui le cultivaient n'avaient qu'un droit de jouissance à court terme (Seigneurie foncière). Ce fut seulement à partir du bas Moyen Age qu'il fut permis de léguer (Droit successoral), d'acheter et, moyennant une autorisation du seigneur, de vendre les domaines ayant le statut, créé à cette époque, de tenure héréditaire. Ainsi, la plus-value due au travail et aux investissements du paysan revenait à ce dernier et se reflétait dans la valeur vénale officielle du domaine. Dès le XVIe s., les tenures héréditaires furent de plus en plus librement partageables et hypothécables (Marché foncier, Droit de gage immobilier). Du fait de cette disponibilité, le droit de jouissance des paysans médiévaux se transforma de facto, avant la fin du XVIIIe s., en une libre disposition, même si les terres restaient soumises au cens. Dans les villes, cette évolution avait déjà eu lieu au XIIIe s., puisque le sol appartenait au seigneur, mais la maison au bourgeois.

On pouvait aussi acquérir des terres au moyen de défrichements. Les indigents s'en procuraient en mettant en valeur des parcelles sises sur les biens communaux ou sur les berges de rivières ou encore par usucapion au bout de dix à trente ans. La propriété pouvait se perdre en cas de guerre et de crise conjoncturelle (Villages désertés), par deshérence au décès du vassal (Heimfall), par mise en gage ou aux enchères ou lors de catastrophe naturelle.

Contenu

La propriété foncière rurale consistait généralement en une ou plusieurs parcelles limitées par des haies, barrières ou fossés; les éventuels bâtiments étaient considérés comme biens meubles. En ville comme à la campagne, la propriété individuelle impliquait des droits d'usage de biens collectifs (communaux, forêt, dispositifs d'irrigation).

Les propriétaires fonciers pouvaient être des particuliers, des hoiries et des copropriétés. Avec le partage de bâtiments en plusieurs unités d'habitation nacquit aux XVIIe et XVIIIe s. une sorte de propriété par étages. Un bâtiment et le terrain qu'il occupait avaient parfois des propriétaires différents (chalets privés sur des alpages communaux). Les divers droits d'usage d'un même terrain (par exemple le glandage et l'affouage d'une forêt) pouvaient être répartis entre différents bénéficiaires.

Limitations du droit de propriété

Certaines limitations restreignaient le libre usage du bien, au profit d'intérêts publics ou privés. Le droit des tenanciers imposait des charges foncières (cens, corvées, dîmes) et interdisait généralement de démembrer les tenures. L'assolement était soumis à des règles collectives. Dans les villes comme dans les villages, les propriétaires devaient observer les normes sur les constructions, sur la police du feu, sur l'hygiène et participer aux travaux communaux obligatoires (entretien des fortifications, des chemins, des ponts, des digues). Les activités polluantes (tanneries, forges, moulins) n'étaient admises qu'en certains endroits.

Un bien-fonds pouvait être grevé de servitudes (droit de passage, alignement, droit d'abreuvement, écoulement des eaux, canalisations); le voisin avait droit aux fruits des branches débordant sur son terrain. Les droits collectifs liés à une parcelle (par exemple les droits d'alpage) ne pouvaient être vendus ou légués à une personne extérieure à la communauté. Les communiers avaient un droit de préemption sur les biens-fonds mis en vente.

Rôle social et économique

Avant 1800, la propriété foncière jouait un rôle socio-économique prépondérant, puisqu'elle était une condition nécessaire pour être admis dans une bourgeoisie ou une communauté villageoise (Droit de cité) et jouir des privilèges afférents (droits d'usage des biens communaux). La plupart des gens, qu'ils fussent paysans, artisans ou commerçants, possédaient et cultivaient un terrain dont leur survie dépendait. Le sol servait de garantie en cas de cautionnement, de mise en gage et d'emprunt (Crédit). Il était le principal élément de la fortune (les papiers valeurs comme la lettre de rente occupant un moindre rang); les marchands et entrepreneurs y investissaient leurs capitaux. La propriété foncière déterminait le rang social, en ville comme à la campagne.

Structure de la propriété

Plan à vue de la campagne de Dardagny près de Genève, dessiné à l'encre en 1688 par Jacques Deharsu (Archives d'Etat de Genève, Cadastre B3).
Plan à vue de la campagne de Dardagny près de Genève, dessiné à l'encre en 1688 par Jacques Deharsu (Archives d'Etat de Genève, Cadastre B3). […]

Les partages successoraux, pratiqués avec l'accord du seigneur foncier, modifiaient la structure et la répartition de la propriété. Ils sont attestés localement dès le XVe s. Le partage réel entre héritiers s'imposa dans la seconde moitié du XVIe s. surtout dans les villages du Plateau, dans les régions viticoles et au centre des Alpes, là où les gains accessoires procurés par l'artisanat et l'industrie à domicile, la production de vin ou l'élevage permettaient de survivre sur de petits domaines (1-5 ha). En revanche, dans les zones d'habitat dispersé où ces activités accessoires faisaient défaut et où les domaines devaient avoir une certaine taille pour être rentables, la ferme allait à un seul héritier, par exemple au plus jeune fils ("minorat" de l'Emmental). Les patriciens pour leur part favorisaient souvent le fils aîné, surtout grâce au fidéicommis.

Le partage réel entraînait le morcellement des terroirs et l'apparition d'unités toujours plus petites, comme celles, minuscules, des Tauner ne comprenant qu'une habitation, ou partie de celle-ci, de petits champs et un potager. Au XVIIIe s., dans les villages protoindustriels, on comptait jusqu'à 90% de petits propriétaires dépendant de revenus accessoires et une minorité de paysans vivant de leurs terres. Malgré la tendance aux petites exploitations, les mariages et les rachats de parcelles permettaient néanmoins la reconstitution de grands domaines.

XIXe et XXe siècles

Acquisition et perte

Dès 1803, la réglementation en matière d'acquisition (essentiellement par achat ou par héritage) de la propriété foncière dépendit des cantons; quelques-uns autorisèrent les accords oraux, d'autres (Tessin et Suisse romande, sauf le Valais) prescrivirent la forme authentique. Cette diversité subsista jusqu'à l'entrée en vigueur en 1912 du Code civil, qui imposa dans toute la Suisse l'inscription au registre foncier et l'établissement d'un acte notarié comme condition de validité des transactions immobilières (art. 655-666). Des dispositions particulières s'appliquent à la propriété agricole dans le droit foncier rural (annexe Ia).

Aux XIXe et XXe s., il fallut régler de nouvelles formes d'acquisition et de perte de la propriété foncière, par exemple dans le cas de terres gagnées par abaissement du niveau d'un lac ou dans celui d'expropriation forcée dans l'intérêt de l'Etat ou du bien public (notamment pour des corrections de cours d'eau et des constructions routières). On dut en outre prendre des dispositions relatives aux dédommagements et compensations offerts en cas d'expropriation ou de dégâts dus aux forces de la nature.

Contenu et restrictions

Introduit dès les années 1830 en Suisse romande et au Tessin, puis dans quelques cantons alémaniques et réglementé sur le plan national par les articles 942 à 977 du Code civil de 1912 (Cadastration), le registre foncier permit d'avoir une image bien plus précise de la propriété foncière que les estimations en usage antérieurement. On y inscrivit les biens-fonds avec leur description (plans cadastraux), la propriété, les servitudes et les gages immobiliers. A l'origine, le Code civil ne légitima pas certaines formes de copropriété apparues dès le XVIIe s. (sources fréquentes de conflits), qui n'y seront introduites qu'en 1965, à la demande, notamment, des cantons romands, par l'adjonction des articles 712a à 712t sur la propriété par étages.

Si le XIXe s. apporta la libre disposition de la propriété foncière privée, par exemple en supprimant l'assolement obligatoire, le XXe s. imposa à nouveau des restrictions en matière de vente et d'usage, au nom de l'intérêt public, notamment en délimitant des zones agricoles, artisanales ou à bâtir soumises à des règles spéciales. De nombreuses restrictions, telles les servitudes contractuelles, relèvent du droit privé; elles remontent en partie, même quand elles sont décrites dans le langage moderne et précis du Code civil, à d'anciennes coutumes (droits de voisinage, de passage, d'eau). Des restrictions de droit public peuvent être apportées pour des motifs concernant la police sanitaire, la police des constructions, du feu, des forêts et des routes, les chemins de halage, le bornage, les améliorations foncières, le morcellement des fonds, le remaniement parcellaire et la protection de l'environnement.

Parmi les charges grevant un bien-fonds on trouve notamment l'obligation de laisser passer des conduites d'eau, des drains et des conduites électriques de même que les constructions sur le fonds d'autrui, réglementées par le droit de superficie (art. 675 CC, précisé en 1965 par les art. 779-779 l CC) qui fait la distinction entre la construction et le fonds.

Rôle économique et social, répartition de la propriété foncière

"Etatisation du sol, la fausse voie. Le 2 juillet 1967, non à l'initiative foncière socialiste". Affiche en vue de la votation du 2 juillet 1967 sur l'initiative populaire (Museum für Gestaltung Zürich, Plakatsammlung, Zürcher Hochschule der Künste).
"Etatisation du sol, la fausse voie. Le 2 juillet 1967, non à l'initiative foncière socialiste". Affiche en vue de la votation du 2 juillet 1967 sur l'initiative populaire (Museum für Gestaltung Zürich, Plakatsammlung, Zürcher Hochschule der Künste). […]

Au XIXe s., la propriété foncière restait la composante la plus importante de la fortune pour les paysans qui représentaient encore 36,9% de la population en 1880. Des fabricants enrichis investissaient dans la terre, tandis que l'industrie créait des emplois permettant aux ouvriers de vivre sans posséder de sol à cultiver et déclenchait indirectement, dès 1880, une forte hausse de la construction de logements, source de spéculations immobilières. Les immeubles de rapport contribuèrent à la rapide diffusion de la location et les appartements à louer pour les classes moyennes et supérieures aidèrent à la rendre socialement acceptable. La liberté d'établissement fit tomber au XIXe s. l'obligation d'être propriétaire autrefois imposée aux communiers; au XXe s., la propriété foncière perdit même une part de son rôle social, d'autant plus que les papiers valeurs devinrent le principal élément de la fortune. Cette évolution, jointe aux prix élevés pratiqués dans le secteur, aboutit à faire de la Suisse le pays d'Europe où le taux de propriété du logement est le plus bas: environ 37% en 1950, 33,7% en 1960, 28,5% en 1970, 31,3% en 1990, 34,6% en 2000. La remontée après 1970 est due à l'extension de la propriété par étages. Cependant, les bâtiments appartiennent en majorité à des particuliers (88,6% du parc immobilier en 2000). Vu la hausse continue de la demande, la vente d'immeubles à des étrangers non domiciliés en Suisse fut soumise à autorisation et contingentée dès les années 1960 (Bradage du sol national).

On observe une évolution analogue dans le domaine agricole. Certes, le partage réel entraîna encore au XIXe s. le morcellement des parcelles, surtout sur le Plateau et dans ses communes industrielles, mais aussi en montagne (Jura, Grisons). Mais un tournant se produisit dans les années 1880: entre 1888 et 1905, de nombreuses exploitations naines firent faillite, malgré l'apport des revenus accessoires. Le mouvement se poursuivit, favorisé par des exigences de rentabilité toujours plus élevées; dès 1950, il s'accéléra, touchant les petits domaines (1-10 ha) et de plus en plus aussi les domaines de taille moyenne (10-20 ha). Le nombre d'exploitations diminua de 55% entre 1905 (243 710) et 1990 (108 296), puis de 35% entre 1990 et 2009; mais celles qui subsistaient purent augmenter de taille grâce aux regroupements. Au cours de ce processus, la part des terres agricoles appartenant aux cultivateurs diminua de 76% (1905) à environ 56% (2005); le reste est en majorité aux mains de particuliers qui engagent des fermiers.

Si l'on considère la superficie totale de la Suisse, y compris les eaux, les infrastructures (rues, places, voies ferrées, etc.) et les bâtiments, on s'aperçoit, malgré l'absence de statistiques précises, que le plus gros propriétaire foncier est l'ensemble des collectivités publiques.

Sources et bibliographie

  • HWSVw, 2, 397-404, 427-436
  • O. Sommerhalder, Stockwerkeigentum, 1963
  • HRG, 1, 1821
  • H. Brugger, Manuel statistique de l'agriculture suisse, 1968
  • A. Krummenacher, Grundeigentum, 31968
  • Le logement en Suisse, 1986 (all. 1985)
  • LexMA, 4, 1736-1737
  • B. Mugglin, Die Bodenpolitik der Stadt Luzern, 1993
  • Le logement en Suisse, 1996
Liens

Suggestion de citation

Anne-Marie Dubler: "Propriété foncière", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 25.08.2010, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/016216/2010-08-25/, consulté le 17.04.2024.