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Logement

Unité de base de l'habitat, le logement est un lieu clos (un toit et quatre murs le définissent pour l'essentiel) qui répond à un besoin fondamental de l'homme. Il protège, sépare ou rassemble ceux qui y vivent. Equipé de manière à ce qu'on y trouve notamment chaleur, eau et lumière, il offre des structures spatiales adaptées à la satisfaction de nécessités individuelles et collectives comme la préparation et la consommation des repas, le sommeil, les soins du corps; il permet le repli sur la sphère privée, mais aussi la vie sociale, voire l'ostentation, et toutes sortes d'activités (travail, loisirs). On peut découvrir des logements anciens dans divers musées suisses, par exemple au Ballenberg. On mettra ici l'accent sur les aspects liés à l'histoire sociale et culturelle du logement: évolution des idées générales en la matière, de la répartition spatiale des fonctions, de la culture matérielle des divers groupes sociaux. Les aspects architecturaux, politiques, juridiques et économiques seront traités plus complètement dans d'autres articles (Bail à loyer, Maisons d'habitation, Construction de logements).

Préhistoire

L'homme a cherché très tôt à se protéger des intempéries par des paravents, des huttes ou des tentes. En Suisse, les plus anciens témoignages remontent au Paléolithique. Les cavernes étaient privilégiées à cause de leur microclimat relativement doux, mais les chasseurs installaient aussi leurs camps soit dans des abris sous roche, soit au bord de plans d'eau (Wildkirchli, Cotencher, Kesslerloch, Moosseedorf, Hauterive-Champréveyres). Cette situation se perpétua au Mésolithique. Les chasseurs-cueilleurs nomades devaient se contenter d'équipements faciles à transporter (peaux de bête servant de lit, sacs et corbeilles en matériaux périssables). Il reste de leurs établissements temporaires tout au plus le foyer; la disposition des objets (outils en silex, en os et en bois de cervidés), telle qu'on a pu l'observer sur le site du Mollendruz-Abri Freymond, indique une répartition spatiale des activités (séjour et travail près des foyers).

Le Néolithique amena la sédentarisation; la plupart des sites connus sont des stations littorales. Les maisons, petites (20-70m2 env.) et rectangulaires (à l'exception des huttes rondes de Bellinzone), étaient des constructions à poteaux plantés, avec des murs et un plancher (généralement surélevé) en torchis. Elles n'avaient sans doute pas de fenêtres. De jour, la lumière entrait par de petites portes et par l'ouverture pratiquée au milieu du toit pour laisser s'échapper la fumée; de nuit, on s'éclairait à la lueur du foyer et par des lampes à huile en argile ou en bois de cervidés. Les seules pièces de mobilier attestées sont des métiers à tisser, des vases à provisions, des corbeilles; peut-être y avait-il des coffres en bois.

A l'âge du Bronze, en plus des stations littorales, l'habitat s'étend à des sites de hauteur fortifiés (Wittnauer Horn). Dans les Alpes, ceux de Savognin et Montlingerberg sont nés du trafic commercial par les cols et de l'exploitation minière. On trouve des constructions à poteaux plantés, à poteaux sur soubassement et à madriers horizontaux. Les dimensions varient entre 2 m sur 2 et 5 m sur 20 (env. 4 m sur 6 en moyenne). Des planchers intermédiaires pouvaient augmenter la surface utilisable. Les terrasses autour des maisons servaient d'entrepôts et de places de travail (Uerschhausen, comm. Hüttwilen). Un même toit recouvrait logis et atelier. Le travail du bois avait atteint un haut niveau, attesté par l'outillage; on peut donc supposer, même si l'on n'en a guère de traces, qu'il existait des coffres ou bahuts. La hiérarchie sociale lisible dans les sépultures ne se reflète pas dans l'habitat. A ce jour, l'on n'a retrouvé en Suisse aucun meuble spécial (fauteuil pliant, lit) symbolisant le statut de l'élite. La rareté des clés en bronze fait penser que seuls étaient munis de serrures quelques temples et greniers, mais non les maisons ordinaires.

Au début de l'âge du Fer, les anciens habitats sont abandonnés. On construit sur sol sec, selon les trois techniques (poteaux plantés, poteaux sur soubassement, madriers horizontaux), dans les Alpes souvent sur une assise en pierre (Brigue). Les surfaces varient entre 25 et 100 m². Des bâtiments excavés servent de dépendances. Les greniers sont soit enterrés, soit surélevés. A La Tène finale, la vie économique, politique et religieuse se concentre dans des sites fortifiés (Oppidum), où l'on peut observer une séparation entre les ateliers et les maisons d'habitation.

Sous la domination romaine, les tendances apparues à la fin de La Tène se renforcèrent: contraste entre simples villages comme le vicus de Vitudurum (Winterthour) et centres urbains comme Aventicum disposant d'infrastructures développées et de bâtiments publics (forum, temples, thermes, théâtres, etc.). En ville, les maisons en bois ou en pierre avaient deux étages: atelier, entrepôt, boutique au rez-de-chaussée, logis modestes à l'étage. L'élite indigène imitait le style de vie luxueux des familles de la noblesse romaine, qui possédaient un palais en ville et des maisons de campagne, comme la villa d'Orbe/Boscéaz ou celle de Dietikon. La maison de maître, en pierre, avait plusieurs étages, un toit de tuiles, un ou plusieurs portiques, des fenêtres aux vitres protégées par des grilles en fer forgé. Coutume nouvelle, chaque pièce remplissait une fonction unique (salle à manger, chambre à coucher, cuisine). Une belle demeure devait comporter un bain chaud et des salles de réception ornées de mosaïques, de fresques et de meubles précieux.

La continuité des habitats entre le Bas-Empire et le haut Moyen Age est attestée en maints endroits (par exemple Lausen, Schleitheim). Les colons germaniques vivaient dans des fermes composées d'un bâtiment principal à colombages, assez grand (50-200 m², parfois subdivisé intérieurement) et entouré de dépendances, notamment de cabanes semi-enterrées pour les tisserands. L'art de bâtir en pierre ne disparut pas entièrement. Dans les Alpes, une paroi rocheuse pouvait servir d'appui. Les élites possédaient certainement de beaux meubles, analogues à ceux que l'on a retrouvés dans des tombes en Allemagne: lits, tabourets, escabeaux, chaises, coffres, chandeliers.

Moyen Age et Temps modernes

Le logement des époques médiévale et moderne est étudié d'une part dans le cadre traditionnel de l'histoire de l'art, dont les recherches approfondies consacrées à la culture matérielle (meubles, poêles, ustensiles, décoration) ont principalement porté sur les classes supérieures (noblesse, clergé, élites urbaines). D'autre part, l'archéologie médiévale, grâce à des méthodes interdisciplinaires qui vont des fouilles et de la dendrochronologie au dépouillement d'archives, a apporté de nombreuses connaissances nouvelles sur le logement urbain et castral; il en va de même pour les campagnes, étudiées par les spécialistes de la maison rurale.

Dans bien des domaines, on observe une diffusion des modes et des formes du haut vers le bas de la société (processus compris soit comme une vulgarisation des valeurs culturelles, soit comme élimination de la culture populaire par celle des élites): des châteaux ou des palais urbains de la noblesse vers la maison bourgeoise, des manoirs patriciens vers la maison paysanne, tout au moins celle des agriculteurs aisés. Vers la fin du XVIIIe s., les patriciens suisses adoptaient avec un léger retard les dernières modes parisiennes et les paysans riches vivaient dans des intérieurs baroques; des formes archaïques, liées à l'économie alpestre, survivaient cependant dans les vallées alpines.

Moyen Age

La maison en tant que domicile avait un rôle central dans la vie publique et privée comme dans le domaine du droit (Droit familial, Marques domestiques). Ses occupants pouvaient prendre son nom (châteaux forts, patronymes en Ca- en italien et en romanche). L'âtre était le cœur de la paix domestique; sa destruction équivalait symboliquement à celle de la maison. On disait un "feu" pour un ménage. Le possesseur d'un foyer était donc un chef de ménage, généralement bourgeois ou communier de plein droit. Dans les recensements, on ne comptait pas les familles, mais les feux, qui servaient aussi d'unités fiscales. La maîtresse de maison devait sa position éminente dans la vie familiale au fait qu'elle s'occupait du feu. Une maison habitée se reconnaît à son toit qui fume; on l'inaugure donc en y allumant la cheminée, d'où l'expression "pendre la crémaillère" (installer la tige ou la chaîne à laquelle on accrochait le chaudron) pour désigner la fête organisée à cette occasion.

Pour le haut Moyen Age, on peut admettre que les habitations rurales étaient des constructions à poteaux, de plain-pied, presque dépourvues de séparations intérieures. Une série de bâtiments, dont des dépendances semi-enterrées, servaient aux diverses fonctions de l'exploitation. L'évolution du logement médiéval est principalement déterminée par celle des habitudes liées au chauffage et à la cuisson. Durant le haut Moyen Age, on avait sans doute un foyer au centre de la pièce unique, la fumée s'échappant par le toit. La maison tripartite, avec un logement divisé entre cuisine, salle de séjour et une ou plusieurs chambres, se développa peu à peu avant les XIIe ou XIIIe s.; le canton de Schwytz offre plusieurs exemples historiques de ce type, qui s'est maintenu presque sans changement jusqu'au XIXe, voire jusqu'au XXe s. dans certaines productions de l'architecture paysanne. Dans les régions alpines, on rencontrait, surtout pour les habitats temporaires, des maisons réunissant dans un même espace bêtes et hommes. Au centre et au sud des Alpes, on privilégiait une répartition verticale: cave, cuisine-salle de séjour au rez, chambres dans les étages, souvent accessibles uniquement par des escaliers extérieurs.

Lieu d'aisance à deux places au milieu du XVIe siècle (Zentralbibliothek Zürich, Handschriftenabteilung, Wickiana, Ms. F 12, fol. 250v).
Lieu d'aisance à deux places au milieu du XVIe siècle (Zentralbibliothek Zürich, Handschriftenabteilung, Wickiana, Ms. F 12, fol. 250v). […]

Dans les villes, le manque de place fut l'une des causes qui contraignit à construire en hauteur. Au Moyen Age classique, la pierre remplaça le bois, d'abord pour les églises, les halles des marchés, les entrées de ponts ou, comme à Zurich, pour les tours des familles nobles (au Rindermarkt, au Neumarkt), puis pour les maisons des marchands et artisans. Des portails décorés donnaient accès aux espaces consacrés aux activités économiques (rez-de-chaussée ou cave plus ou moins profonde). A l'origine, on gagnait les étages par un escalier extérieur, côté cour, plus tard par une cage d'escalier intégrée au bâtiment. Les pièces d'apparat (salon, grande salle), dont le propriétaire faisait décorer le sol, les parois, le plafond, les portes et les fenêtres selon son rang et sa fortune, se trouvaient au premier ("étage noble"). Aux XIIIe et XIVe s., on adopta l'ordre contigu pour les façades sur rue. A la même époque, les fosses d'aisance creusées dans la cour firent place aux latrines, dont les colonnes aboutissaient dans une ruelle "punaise", soit puante (Toilettes). Pour limiter les risques d'incendie, les tuiles furent substituées aux bardeaux.

La nouveauté la plus marquante du logement médiéval fut l'apparition du poêle. La distinction entre la cuisine, où l'on mangeait, et la salle de séjour mit en évidence la double fonction du foyer: cuisson et chauffage. En adossant le poêle à la cloison séparant les deux pièces, on pouvait se contenter d'un unique conduit de cheminée pour le fourneau de la cuisine et pour le poêle, élément essentiel de la salle de séjour. Si essentiel que poêle désignait autrefois aussi bien l'appareil de chauffage que la pièce où il se trouvait. Cette métonymie ne se produisit pas en allemand, entre Stube (la salle) et Ofen (l'appareil); un mot proche de Stube existe avec le même sens en romanche (stüva) et dans le dialecte des vallées tessinoises (stüa), alors qu'en Italie, qui ignore en général la notion de chambre chauffée, la stufa est l'appareil de chauffage. La salle servait de cadre, voire de vitrine, aux activités sociales de la famille; on y recevait, on s'y récréait, mais on n'y travaillait guère qu'à des occupations légères, dans le cadre des veillées. Pièce privilégiée, donnant au sud ou sur la rue, elle avait un sol en ciment, en bois ou en carreaux de céramique et un plafond boisé; ses fenêtres étaient munies de volets et garnies de panneaux coulissants translucides (tissu huilé, parchemin). Les vitrages (en culs de bouteille ou losanges juxtaposés) apparurent au XIIIe s., mais ne s'imposèrent qu'à la fin du Moyen Age. Au début, seuls les nobles avaient les moyens de s'offrir une salle à l'aménagement coûteux; c'est peut-être pour cette raison qu'il existait en ville des salles d'usage collectif, dites parfois salles à boire (Trinkstube), berceaux de l'émancipation des groupes de bourgeois, réunis en corporation ou société, auxquels elles appartenaient. La séparation des domaines d'activité entre les sexes ne permit pas aux femmes de participer à cette évolution; hors de la maison, elles se rencontraient au four communal et au lavoir. En Suisse romande, le "poêle communal" est l'ancêtre de l'hôtel de ville. Le Tessin ne connaît pas d'institution analogue, car la vie publique s'y déroulait souvent en plein air ou dans des halles ouvertes.

Chez les paysans et les artisans médiévaux, le ménage correspondait généralement à une exploitation familiale; ses membres (famille élargie aux domestiques et compagnons ou maisonnée), partageant le même toit et les mêmes travaux, constituaient une unité de production et de consommation. Leur cohabitation et leurs diverses activités (travail, repas, soins du corps, repos) exigèrent une spécialisation progressive des espaces. Ainsi, à l'origine, la "belle chambre" chauffée servait aussi de chambre à coucher, peut-être réservée au maître de maison; mais, au cours du temps, le lit matrimonial fut déplacé dans une pièce assurant davantage d'intimité. Dans les familles aisées, une pièce munie d'une cheminée (d'où le nom de Kemenate qui lui est donné en allemand) était réservée aux femmes, les autres membres de la maisonnée dormaient dans des pièces de l'étage supérieur bénéficiant d'un chauffage au moins indirect. On dormait sur un matelas de feuilles, de paille ou de laine brute, lui-même posé sur un sommier fait de lattes ou de courroies, entre des draps de lit en lin et sous une couverture ou des peaux de bête. Plusieurs personnes utilisaient simultanément le même lit; partager le sien avec un hôte était lui faire honneur. Le ciel de lit, qui protégeait contre la vermine, était déjà connu dans les classes supérieures au XIIIe s. Pour la cuisine, on utilisait des récipients en céramique ou en bronze: marmites à trois pieds posées directement sur la flamme, chaudrons suspendus à un crochet ou à une crémaillère pivotante. On faisait tout pour éviter que le feu ne s'éteigne, car les opérations permettant de l'allumer, par frottement ou percussion, étaient longues et difficiles. On pratiquait dans de nombreuses régions la conservation des aliments par séchage et fumage dans l'âtre; les installations correspondantes (la "borne") ont subsisté, surtout sur le Plateau central, jusqu'à une époque récente.

Les équipements nécessaires au logement étaient adaptés à la forte mobilité des populations. A la campagne, les bâtiments d'habitation et d'exploitation en bois se comptabilisaient normalement parmi les biens meubles. En cas de déménagement, on les démontait pour les emporter avec soi et les remonter sur un nouvel emplacement. Nombre de nobles vivaient en faisant la tournée de leurs diverses résidences; ils emmenaient la plus grande partie de leurs ustensiles de ménage et de leurs meubles, tels que tables sur tréteaux (avant le repas, il fallait littéralement dresser la table), sièges pliants et coffres. Les bancs encastrés, les coffres-banquettes et les bois de lit restaient en revanche sur place. Les coffres, garnis de serrures et de ferrures simples ou multiples, servaient au transport des habits et des objets précieux.

Les meubles, les poêles, la vaisselle, les lambris, les portes et les fenêtres des pièces de réception permettaient de manifester le prestige ou la richesse du maître de maison. Au bas Moyen Age, les gens fortunés faisaient orner de sculptures soit les panneaux des meubles (en Suisse romande), soit plutôt leurs montants porteurs (en Suisse orientale). S'ils en avaient les moyens, ils tendaient les murs de cuirs de Cordoue ou de tapisseries, ou faisaient exécuter sur les parois et les plafonds des fresques qui parfois visaient à donner l'illusion d'une construction en maçonnerie, comme au Schönes Haus de Bâle (dernier tiers du XIIIe s.) ou dans les maisons Zum Langen Keller (vers 1300), Zum Loch (1306) et Zum Kleinen Regenbogen (vers 1330) à Zurich. Les plus anciens lambris datent du bas Moyen Age. On faisait appel à des tailleurs de pierre pour les cadres de portes et de fenêtres. Pour la vaisselle et les ustensiles de ménage, le verre, d'abord réservé aux tables princières (gobelets émaillés et ornés de cabochons, bols, coupes et bouteilles), gagne les milieux bourgeois au bas Moyen Age. Ses formes sont très variées. Le bois en revanche (épicéa, érable, hêtre, if, cerisier, entre autres), tourné, taillé ou cintré selon les techniques de la boissellerie, donne une vaisselle qui évolue peu au cours du temps, toujours simple et presque partout la même. Les objets en céramique (marmites, assiettes, plats, gobelets, lampes), bruts ou émaillés sur une ou deux faces, fabriqués en majorité dès le XIIIe s. sur des tours, sont très répandus et de plus en plus diversifiés. Les gens riches avaient des "aquamaniles" (aiguières munies d'un bassin pour se laver les mains) en forme d'animal.

Temps modernes

Salon de la bonne société zurichoise au milieu du XVIIIe siècle. Gravure de David Herrliberger pour son ouvrage Kurze Beschreibung der gottesdienstlichen Gebräuche [...], 1751 (Zentralbibliothek Zürich, Abteilung Alte Drucke und Rara).
Salon de la bonne société zurichoise au milieu du XVIIIe siècle. Gravure de David Herrliberger pour son ouvrage Kurze Beschreibung der gottesdienstlichen Gebräuche [...], 1751 (Zentralbibliothek Zürich, Abteilung Alte Drucke und Rara).

La spécialisation des pièces (antichambre, cabinet de travail, bibliothèque, salle de bains, garde-robe, chambre pour les hôtes) se poursuivit dans les logements des milieux aisés, où le salon devint au XVIIIe s. le centre de la vie sociale et le symbole d'une certaine culture. La même tendance s'observe chez les bourgeois et les gros paysans (chambres pour domestiques). En revanche, les fermes des petits paysans reprenaient souvent les formes simples héritées du Moyen Age. Dans les campagnes gagnées à la protoindustrialisation apparurent des maisons servant à la fois au logement et au travail à domicile, comme la Flarzhaus de l'Oberland zurichois (maisons ouvrières mitoyennes avec étable pour le petit bétail), la maison-atelier jurassienne ou la maison avec cave de tisserand des Préalpes de Suisse orientale.

Les milieux aisés devinrent plus exigeants en matière d'aménagement intérieur. Les armoires de sacristie donnèrent l'idée des placards encastrés. Le ciel de lit évolua vers l'alcôve plus ou moins fermée. Pour la literie, on privilégia les matelas de crin. Le lit-armoire, attesté dès le XVIIIe s., répondit au manque de place dans les intérieurs ruraux. De manière générale, les meubles se firent plus nombreux, plus lourds et plus ornés (appliques en métal pour tables et armoires). Même les bourgeois voulurent désormais des sièges rembourrés (fauteuils, chaises, canapés). Le buffet permit de ranger et d'exposer la vaisselle; il était souvent muni d'une fontaine et intégré au lambrissage. On couvrit les sols de parquet en bois durs et précieux. On revêtit les murs de cuirs, plus tard de tapisseries en étoffe ou en papier, ou bien on y peignait des paysages. On appréciait les tapis et les tentures, les nappes, taies et draps de lit en lin, souvent artistement brodés par les filles de la maison. Aux XVIe et XVIIe s., on disposait volontiers entre les poutres du plafond des panneaux ornés de peintures en grisaille. Aux boiseries murales rythmées de motifs architecturaux correspondaient les plafonds à caissons. Au XVIIIe s., l'évolution du goût, sous l'influence française, mit à la mode les couleurs claires, les murs blancs, les plafonds en plâtre ornés de stucs, les meubles fins et élégants. On prit l'habitude des fenêtres vitrées avec rideaux et lambrequin, des embrasses à glands; miroirs et tableaux décorèrent les murs. Depuis le XVIe s., les poêles à catelles étaient souvent ornés de motifs peints et flanqués d'une banquette chauffante appelée en allemand Kunst (pour Holzsparkunst: utilisation économique du bois). Les poêliers de Winterthour et de Steckborn livraient des modèles d'apparat dans toute la Suisse alémanique et même à l'étranger. En Suisse romande, on construisait aussi des poêles en molasse, dans les Alpes en pierre ollaire. Meublées de tabourets, d'escabeaux, de tables et de buffets analogues à ceux des autres pièces, mais plus simples, les cuisines servaient de salle à manger pour les domestiques. A l'époque moderne, elles n'adoptèrent pratiquement qu'une seule innovation technique, le remplacement du foyer ouvert par un fourneau en fer, plus économique et autorisant l'emploi de marmites plus légères. Il fallait encore aller chercher l'eau au puits ou à la fontaine.

La maison Bethlehem à Schwytz, construite vers 1287, est l'une des plus anciennes habitations en bois encore conservées. Son histoire montre bien comment, en matière de logement, les élites se montrèrent de plus en plus exigeantes et comment les locaux de prestige peuvent se dévaloriser avec le temps. A l'origine, on accédait à la salle de séjour par la cuisine; celle-ci, à l'arrière de la maison, n'avait pas de cheminée et la fumée s'échappait par le toit. On gagnait les chambres à coucher de l'étage par un double escalier primitif. En 1544, on refit le plancher du rez-de-chaussée en le surélevant et l'on créa une grande salle au sous-sol; la salle de séjour fut transformée en salle de réception. Ital von Reding, qui y était né en 1573, fit construire en 1609, sur la même parcelle, la maison de maître à laquelle il laissa son nom. Au XVIIIe s., on aménagea dans l'ancien bâtiment deux appartements qui, jusqu'à leur transformation en musée à la fin des années 1980, furent loués à des gens de plus en plus simples.

XIXe et XXe siècles

L'offre et la demande

Le logement évolua sous le signe de l'essor démographique, des mouvements migratoires et de l'urbanisation. La part de la population suisse vivant dans des communes de plus de 5000 habitants était de 3,8% vers 1800, 30 % en 1900 et 59% en 2000. L'exode rural, cause déterminante de la croissance des villes, fut particulièrement rapide dans les années 1860, 1890 et 1950.

Dans les villes en pleine expansion et dans les bourgs industriels, là où l'on enregistrait la plus forte demande de logements neufs, on se mit à construire vers 1830, pour la première fois, des locatifs clés en main destinés à un marché anonyme. Ce phénomène résultait non seulement de la vigueur de la demande, mais aussi de l'introduction de la liberté du commerce et de la libéralisation du droit foncier. Au XIXe s., il y eut d'abord pour principaux acteurs les patrons d'entreprises artisanales de maçonnerie. Puis, dès 1870 environ, des sociétés capitalistes, parfois internationales, achetèrent de vastes terrains, les équipèrent, les lotirent et les transformèrent en quartiers résidentiels (Gundeldingen à Bâle en 1872, Kirchenfeld à Berne en 1883); ces opérations suscitèrent des critiques, avant 1900 déjà, pour leur caractère spéculatif. Au XXe s., les investisseurs institutionnels et les coopératives renforcèrent leur rôle, face aux propriétaires privés. L'emprunt hypothécaire ne devint une source de financement efficace qu'à la fin du XIXe s.

Dans la seconde moitié du XIXe s., on en vint à distinguer nettement, dans les villes d'une certaine taille, entre quartiers habités par la haute bourgeoisie (villas en périphérie, dans un environnement protégé), par les classes moyennes ou par les ouvriers (Topographie sociale). Les immigrants venus de la campagne en nombre croissant s'entassaient au centre ville dans de vieux immeubles transformés en maisons de rapport dont aucun recoin n'était perdu, jusqu'aux combles, que l'on surélevait. Tel était le sort, en particulier, des classes inférieures, qui se voyaient contraintes de payer pour des logements étroits, sombres et mal aérés un loyer surfait, plus élevé par mètre cube, que celui d'un grand appartement bourgeois. Dans ces conditions, il était nécessaire de prendre des sous-locataires ou des pensionnaires. Hors des centres historiques, dans les faubourgs en plein essor et dans les bourgades industrielles, la situation n'était pas meilleure. On y construisait, au milieu des fermes transformées, de grands locatifs sans eau courante ni système d'égout, dont les occupants étaient toujours parmi les premières victimes des épidémies de typhus et de choléra.

Des critiques s'élevèrent contre cet état de fait vers 1860 déjà; elles se renforcèrent après 1900. Karl Bücher fit en 1889 à Bâle une enquête remarquée sur le logement, révélatrice de la misère qui pouvait y régner et bientôt confirmée par des recherches analogues conduites à Lausanne, Berne, Zurich et Lucerne. Le logement devint le thème d'importants débats économiques et hygiénistes (critique des effets du marché, nécessité d'interventions éducatives), auxquels prirent part des philanthropes, des politiciens, ainsi que les associations de locataires et les fédérations immobilières qui se constituèrent dès 1890 environ. L'appel aux pouvoirs publics se combina avec l'espoir de pouvoir remplacer un jour les locatifs honnis par l'idéal de la villa individuelle.

Le marché du logement était sujet à de fortes variations. Lors du pic conjoncturel de 1874-1876, on trouvait à Zurich et Berne des familles sans domicile qui vivaient dans des granges, des étables, des galetas ou sous les ponts. La récession qui suivit se traduisit par des appartements vides et un effondrement de la construction. Ce cycle se répéta au XXe s. Les difficultés de l'économie de guerre engendrèrent de très graves crises du logement en 1917-1923 et 1942-1948. L'offre resta constamment inférieure à la demande de 1942 à 1992, avec un taux de logements vacants (1,49% en moyenne suisse le 1er juin 2000) trop faible pour jouer le rôle de régulateur du marché. Un arrêté fédéral, transformé en ordonnance en 1990, institua en 1972 des mesures contre les abus dans le secteur locatif.

Conceptions dominantes

La société bourgeoise élabora au début du XIXe s. un idéal assez rigide en fait de logement, dans lequel la notion de sphère privée, fondée sur la liberté individuelle et le droit de propriété, jouait un rôle central. Cette vision s'inscrivait dans l'opposition naissante entre le monde professionnel, public, masculin, lieu de lutte et de concurrence, et le domaine clos de la famille, à connotation féminine, cadre paisible et harmonieux des loisirs. Le lieu de travail fut de plus en plus souvent distinct du lieu de domicile. En milieu urbain, la production domestique (jardinage, élevage de petit bétail ou de volailles, fabrication de conserves) recula rapidement. L'accent mis sur la sphère privée bourgeoise aboutit à une conception architecturale isolant plus strictement l'appartement de l'extérieur, tandis que domestiques, compagnons et pensionnaires étaient de moins en moins considérés comme des membres de la famille admis à la table du maître. L'ancienne salle aux multiples fonctions fit place au salon, réservé aux réceptions et aux loisirs. La vie domestique fut perçue comme l'opposé du monde du travail; on ne reconnut plus la valeur économique des activités auxquelles elle servait de cadre.

Couverture de la brochure Befreites Wohnen publiée à Zurich et Leipzig en 1929 par l'historien et critique d'architecture Sigfried Giedion (Bibliothèque nationale suisse, Berne).
Couverture de la brochure Befreites Wohnen publiée à Zurich et Leipzig en 1929 par l'historien et critique d'architecture Sigfried Giedion (Bibliothèque nationale suisse, Berne). […]

La philosophie bourgeoise du logement trouva son expression dans le style Biedermeier qui régissait l'ensemble du mobilier. La possession de sièges rembourrés, de canapés au lieu de banquettes en bois, de rideaux pour garnir les fenêtres et, de plus en plus souvent, de lithographies pour orner les murs signalaient l'appartenance à la classe moyenne; ces symboles du nouvel art de vivre étaient encore inaccessibles aux ouvriers à la fin du XIXe s. A cette époque et au XXe s., certains fonctionnaires et employés acceptèrent de consacrer au loyer et à l'ameublement une part plus importante de leurs revenus que d'autres groupes sociaux, parce que cela pouvait favoriser leur carrière. Après 1870, la grande bourgeoisie vécut dans des intérieurs assombris par les tentures et encombrés de coussins, de bibelots et d'objets d'art, trophées culturels et mondains qui, par leur surabondance, lui permettaient de se distinguer de la classe inférieure prête à l'imiter. Cette tendance suscita en réaction, vers 1900, des mouvements réclamant de l'air, de la lumière, des formes simples et sans fioritures. Le Schweizerischer Werkbund (L'Œuvre) milita pour une esthétique des formes claires, correspondant à la production industrielle de masse. Sous l'influence du Bauhaus, ce style moderne s'imposa vers 1930 auprès des élites.

Jusqu'à la Première Guerre mondiale au moins, les familles de la classe moyenne se devaient d'avoir une bonne. Comme il devenait de plus en plus difficile de trouver du personnel docile et bon marché, des particuliers se plaignirent du "manque de domestiques"; les autorités prirent des mesures d'encouragement et parfois s'efforcèrent d'améliorer les conditions de travail (foyers pour jeunes servantes et offices communaux de placement avant 1900, contratstypes après 1920). Après la Deuxième Guerre mondiale, les appareils ménagers remplacèrent les bonnes comme symboles du statut social.

Aspects hygiéniques et techniques

Famille d'ouvriers à Zurich-Aussersihl. Photographie, vers 1900 (Zentralbibliothek Zürich).
Famille d'ouvriers à Zurich-Aussersihl. Photographie, vers 1900 (Zentralbibliothek Zürich). […]

La peur des épidémies (choléra, typhus) qui frappaient sporadiquement les villes marqua la seconde moitié du XIXe s. Une science nouvelle, l'hygiène, éveilla la crainte des mauvaises odeurs, de la poussière et des microbes. Elle lança une campagne permanente contre la saleté. Les réseaux publics d'adduction d'eau et d'évacuation des eaux usées améliorèrent les conditions sanitaires en ville dès 1860. Grâce au siphon, on put avoir, au lieu des cabinets au fond de la cour, des toilettes sans odeur qu'on installa dans les cages d'escalier, puis dans les appartements mêmes. En revanche, les salles de bain, très rares jusque vers 1900, ne se répandirent qu'après 1920, de même que le chauffage central et le chauffe-eau.

La cuisine, centre des activités ménagères, perdit une partie de ses fonctions. D'une part, on cessa d'y préparer certains produits, désormais fournis par l'industrie alimentaire. D'autre part, la cuisinière à gaz s'y imposa peu à peu entre 1880 et 1914; avec le gaz d'éclairage et l'eau courante (dès 1870), elle rendit le travail plus facile, rapide et efficace, mais fit disparaître le fourneau à bois auprès duquel la famille aimait se réunir. Par conséquent, les cuisines devinrent de plus en plus petites et furent reléguées du côté nord.

Les nouvelles normes bourgeoises n'étaient de loin pas celles de toute la population. Dans les régions pratiquant traditionnellement l'industrie à domicile (Jura, Suisse orientale), l'établi, le métier à tisser ou la machine à coudre gardèrent leur place dans le logement; toute la famille participait aux activités domestiques lucratives. A la campagne, les influences modernes se limitèrent longtemps à l'adoption du canapé comme signe de prestige et les innovations techniques (eau, gaz, électricité) pénétrèrent avec quelques décennies de retard.

L'après-guerre

Les principes de l'aménagement du territoire et la mobilité accrue renforcèrent après la Deuxième Guerre mondiale la division spatiale des fonctions. Le quartier purement résidentiel fut prescrit dans de nombreux plans de zones; il était certes à l'abri des nuisances industrielles, mais généra une augmentation du trafic, donc de la pollution. Les tours locatives tombèrent brusquement en défaveur après 1970. Le mitage généralisé des zones périurbaines (augmentation de 35% des villas individuelles entre 1980 et 1990) est lié à l'automobile qui, seule, permet de couvrir les distances toujours plus grandes séparant les fonctions (domicile, travail, loisirs, commerces) au sein des agglomérations.

Les modes de vie ont évolué depuis 1960, la part des ménages non conformes à l'image traditionnelle a augmenté et le logement doit en tenir compte. En 2000, les ménages formés d'une famille "normale" étaient devenus minoritaires en Suisse (28,2%); en ville de Zurich, 50,7% ne comptaient qu'une seule personne (19% en 1960). Cette tendance individualiste peut donner un sentiment pénible de solitude et d'anonymat, qu'on a tenté de contrer, dans certains nouveaux quartiers, en créant des espaces de rencontre et en encourageant des formes d'habitat communautaire.

Si les ménages rétrécissent, la taille des logements augmente (17,8% des appartements antérieurs à 1980 ont plus de 120 m², 32,7% de ceux bâtis dans la décennie suivante), de même que la surface habitable moyenne par personne. Celle-ci atteint 39 m² en 1990, soit 14% de plus qu'en Europe occidentale; mais elle varie selon le statut social (ainsi à Zurich, elle est de 37,2 m² dans l'ensemble de la ville, de 29,2 m² dans le quartier ouvrier de Saatlen, de 55,8 m² dans le quartier de villas de Fluntern) et plus encore selon l'âge et la situation de famille, les retraités et les couples sans enfants étant les mieux lotis.

Quant au mobilier, on ne considère plus qu'il doit durer au moins une génération; on trouve normal de le renouveler régulièrement, au gré des besoins et des caprices de la mode. Le salon d'autrefois est devenu la salle de séjour. Son centre n'est plus la lampe et la table, mais le téléviseur qui structure l'espace et la communication. Il est de plus en plus naturel de profiter aussi des annexes en plein air (balcon, jardin, emplacement pour barbecue).

Sources et bibliographie

Généralités
  • P. Hugger, éd., Les Suisses, 1, 1992, 231-250, 317-415
  • G. Buzzi, éd., Atlante dell'edilizia rurale in Ticino, 9 vol., 1993-2000
Préhistoire et Antiquité
  • UFAS, 1-6
  • SPM
  • Ch. Ebnöther, Der römische Gutshof in Dietikon, 1995
  • Die Alamannen, cat. expo. Zurich, 1997 (avec bibliogr.)
  • G. Pignat et al., Les occupations mésolithiques de l'abri du Mollendruz, 1998
Moyen Age et époque moderne
  • R. Weiss, Häuser und Landschaften der Schweiz, 1959
  • D.W.H. Schwarz, Die Kultur der Schweiz, 1967
  • J. Hähnel, Stube, 1975
  • J. Tauber, Herd und Ofen im Mittelalter, 1980
  • Stadtluft, Hirsebrei und Bettelmönch, cat. expo. Zurich, 1992
  • B. Furrer, Die Bauernhäuser der Kantone Schwyz und Zug, 1994, 437-443
XIXe et XXe s.
  • G. Heller, "Propre en ordre", 1979 (21980)
  • M. Albers et al., Wohnungen für unterschiedliche Haushaltsformen, 1988
  • K. Oester, H.-P. von Aarburg, éd., Wohnen, 1990
  • F. Walter, La Suisse urbaine, 1750-1950, 1994
  • B. Koller, "Gesundes Wohnen", 1995
  • W. Bellwald, Wohnen und Wohnkultur, 1996
  • Y. North et al., Le logement en Suisse, 1996
Liens

Suggestion de citation

Gisela Nagy-Braun; Peter F. Kopp; Alfred Zangger; Daniel Kurz: "Logement", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 03.02.2015, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/016229/2015-02-03/, consulté le 24.09.2023.