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Mouvement des femmes

Par mouvement des femmes, on entend l'ensemble des groupements et organisations ayant pour but d'améliorer la position sociale, politique et civile des femmes. Ce mouvement, né au XIXe siècle, fut d'emblée influencé par divers courants et intégré à des structures internationales. Ses différentes composantes, pas toujours très distinctes les unes des autres, collaboraient de cas en cas. Son influence dépendait de son ancrage international, régional, politique ou confessionnel. Mais ce qui fut toujours déterminant pour son action, c'est l'inscription de ses membres dans un réseau personnel et social, qui leur permit non seulement de formuler des projets ambitieux dépassant les frontières, mais représentait aussi un univers spécifique.

Les débuts

Le mouvement des femmes en Suisse plonge ses racines dans la première moitié du XIXe siècle. Dans le cadre du débat sur le paupérisme, des associations féminines locales virent le jour dans les grandes communes protestantes du Plateau dès les années 1830. Lancées et dirigées par des pasteurs et des hommes politiques préoccupés par la question sociale, elles s'occupaient d'assistance et d'éducation des filles. Les membres de ces sociétés étaient des femmes issues des milieux dirigeants de l'économie, de la politique et de la formation. Les filles devaient recevoir une éducation qui les préparait à assumer leur fonction de mère et de ménagère (rôle des sexes), ce qui se traduisit par l'intégration de l'enseignement des travaux à l'aiguille dans les programmes scolaires (travaux manuels). Entre 1846 et 1870, des femmes posèrent les premiers jalons d'une organisation autonome, bien qu'encore informelle, au niveau cantonal. Elles intervenaient, le plus souvent sans succès, lors de révisions constitutionnelles (constitution) ou du droit privé, afin d'améliorer leur situation juridique ou d'étendre leurs moyens d'action.

La création d'associations

Des fédérations de portée nationale virent le jour dans les dernières décennies du XIXe siècle et avant la Première Guerre mondiale. C'est la révision totale de la Constitution fédérale de 1874, visant notamment le transfert de nombreuses compétences législatives cantonales à la Confédération, qui en donna le signal. Dans ce contexte, l'Association internationale des femmes, fondée à Genève en 1868 et dirigée par Marie Goegg-Pouchoulin, revendiqua, sans succès, l'égalité en matière de droit civil et de droit du travail (égalité féminine). Elle ne tarda pas à se dissoudre, tout comme l'organisation qui lui succéda, l'Association pour la défense des droits de la femme (également appelée Solidarité). L'action du Comité intercantonal de dames, qui coordonnait l'activité des comités locaux de la Fédération abolitionniste internationale (abolitionnisme) eut une plus grande portée, puisqu'il donna naissance, en 1877, à l'Association des femmes suisses pour l'œuvre du relèvement moral, qui ne regroupait alors que des protestantes de bonne famille et associait les préoccupations morales à la défense d'intérêts féminins (mouvement pour le relèvement moral). En 1901, les associations féminines alémaniques pour le relèvement moral se séparèrent de cette structure, afin de lutter contre la prostitution en coopérant avec la police et en faisant pression sur la législation pénale. Elles formèrent une nouvelle association qui devint la plus grande organisation féminine de Suisse avant la Première Guerre mondiale. 

Affiche en vue de la votation sur le suffrage féminin à Zurich, réalisée par Dora Hauth-Trachsler, 1920 (Museum für Gestaltung Zürich, Plakatsammlung, Zürcher Hochschule der Künste).
Affiche en vue de la votation sur le suffrage féminin à Zurich, réalisée par Dora Hauth-Trachsler, 1920 (Museum für Gestaltung Zürich, Plakatsammlung, Zürcher Hochschule der Künste).

La première Association suisse des femmes, fondée en 1885, dont les objectifs étaient très ambitieux, connut aussi une scission avec la création, en 1888, de la Société d'utilité publique des femmes suisses. Liée à l'influente Société suisse d'utilité publique, cette dernière considérait l'éducation ménagère comme un moyen de lutter contre la pauvreté et l'alcoolisme (abstinence). La Société d'utilité publique des femmes suisses s'engagea aussi pour la professionnalisation des métiers dits féminins et mit sur pied une école d'infirmières à Zurich et une d'horticulture à Niederlenz (formation professionnelle). Elle fut bientôt rejointe par ses sociétés locales, nouvellement créées ou non, dont les membres appartenaient à la classe moyenne aisée rurale. Le mouvement féminin d'utilité publique et de régénération morale ne contestait ni le rôle traditionnel des sexes, ni la collaboration avec les autorités et des sociétés masculines influentes, ce qui explique en partie son succès. A côté de ces sociétés confessionnellement neutres, il faut citer la Ligue suisse de femmes catholiques (LSFC), créée en 1912 à l'initiative de l'Association populaire catholique suisse, qui se préoccupait aussi de régénération morale et d'utilité publique. L'Association catholique des ouvrières (mouvement chrétien-social) fut fondée en 1899 pour faire concurrence à l'Union suisse des ouvrières, née en 1890, qui regroupait des femmes ne pouvant s'affilier à un syndicat de branche à cause de la nature de leur activité. En 1911, l'Union suisse des ouvrières organisa la première journée féminine de l'Internationale socialiste en faveur du suffrage féminin (future journée internationale de la femme du 8 mars). Elle s'affilia d'abord à l'Union syndicale suisse (USS), puis après la réorganisation de cette dernière, en 1912, au Parti socialiste (PS). Elle luttait notamment pour l'amélioration des conditions de travail (travail féminin), la protection des femmes en couches (maternité) et l'admission des femmes dans les caisses maladie. Elle fut dissoute en 1917. L'Association suisse des institutrices (instituteurs), fondée en 1893, et son pendant catholique, ainsi que les sections alémaniques et romandes de l'Association suisse des sages-femmes visaient aussi à protéger les conditions de travail de leurs membres.

Quant aux associations féminines comme l'Union des femmes de Genève, le Comité des femmes de Berne et l'Union pour l'avancement de la cause des femmes de Zurich, qui virent le jour dans les grandes villes dès 1890, elles prônèrent la réforme de l'éducation des filles, l'amélioration de la situation des femmes en matière de droit civil et du travail, et le suffrage féminin. A l'occasion de l'Exposition nationale de Genève, en 1896, ces associations essayèrent de coordonner les revendications d'un mouvement très hétérogène; elles organisèrent le Ier congrès suisse des intérêts féminins où furent débattues toutes sortes de questions allant de l'utilité publique à la participation politique. Mais la commission permanente des intérêts féminins mise sur pied après ce congrès fit long feu, de même que l'association destinée à chapeauter toutes les sociétés féminines, qui aurait pu avoir un impact sur l'élaboration du Code civil, du Code pénal et de la loi sur l'assurance en cas de maladie et d'accident (formation de la volonté politique). Hormis quelques sections locales, l'Union suisse des ouvrières, la Société d'utilité publique des femmes suisses, l'Union alémanique des sociétés féminines pour le relèvement de la moralité et les associations catholiques, qui se donnèrent leur propre organisation faîtière en créant la Ligue suisse des femmes catholiques, restèrent en dehors de l'Alliance de sociétés féminines suisses (ASF, renommée Alliance F en 1999), constituée en 1900. Malgré sa faiblesse numérique, c'est l'Association suisse pour le suffrage féminin (ASSF), fondée en 1909, comprenant aussi des hommes, qui parvint à se fixer un objectif clairement circonscrit. A la veille de la Première Guerre mondiale, malgré leur hétérogénéité d'organisation et de contenu, les sociétés féminines avaient réussi à collaborer occasionnellement pour défendre des objectifs communs parce que leurs membres avaient tissé des liens personnels et étaient parfois affiliés à plusieurs sociétés.

L'évolution du mouvement de 1914 à 1945

Quand la guerre éclata, les militantes pacifistes (pacifisme) s'organisèrent à l'échelle internationale en créant l'Union mondiale de la femme pour la concorde internationale et en 1915 à La Haye le Comité international de femmes pour une paix permanente, renommé Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté en 1919. Les deux organisations eurent des sections en Suisse. L'Internationale socialiste des femmes se retrouva aussi à Berne en 1915. Pour répondre à l'augmentation de la misère sociale due à la guerre, elle appela à des actions contre la faim et le renchérissement, que les comités locaux de l'Union suisse des ouvrières organisèrent ensuite dans plusieurs villes suisses. Les sections des grandes associations féminines se concentrèrent aussi sur des activités sociales et créèrent des centres de liaison sur le plan local et cantonal. En 1925, un bureau central d'information des Centres de liaison des associations féminines fut créé à Zurich sous la responsabilité du Centre de liaison local. Le principe d'une organisation géographique l'emportait ainsi sur le combat exclusif pour une idée, ce qui renforça la présence des organisations féminines dans la vie publique durant l'entre-deux-guerres (opinion publique).

La Fédération internationale des femmes universitaires réunie en congrès à Genève en 1929 (Bibliothèque nationale suisse, Berne).
La Fédération internationale des femmes universitaires réunie en congrès à Genève en 1929 (Bibliothèque nationale suisse, Berne).

L'ASF, à laquelle les centres de liaison des associations féminines adhérèrent, fit valoir ses compétences sur le plan fédéral. En 1921, elle organisa le IIe congrès suisse des intérêts féminins, qui décida de la création d'une Centrale suisse pour les professions féminines. L'importance accordée à la formation et à l'activité professionnelle s'exprima aussi par la création d'associations professionnelles féminines et la mise sur pied de manifestations comme l'Exposition nationale suisse pour le travail féminin (Saffa), en 1928, à Berne. Celle-ci suscita la fondation, en 1932, de l'Union des paysannes suisses, chargée de former les paysannes (paysannerie) pour le compte de l'Union suisse des paysans, et, en 1935, de l'Union suisse des associations de ménagères, qui préconisait la professionnalisation du travail ménager par la rationalisation (Institut suisse de recherches ménagères). La Saffa favorisa aussi le lancement de la pétition de 1929 pour le suffrage féminin, qui rassembla plus de 250'000 signatures en peu de temps, grâce à l'infrastructure mise à disposition par le PS et les syndicats. Cette action marqua le début d'une collaboration plus étroite avec les femmes socialistes, qui se prolongea au sein de la communauté de travail La femme et la démocratie, mise sur pied par une vaste alliance d'organisations féminines pour répondre à l'arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne. Absorbé par les conséquences de la crise, la défense spirituelle du pays et l'économie de guerre, le mouvement délaissa quelque peu les revendications féminines pour se consacrer avec zèle à la famille et à la nation. La branche militaire du Service auxiliaire féminin, organisme autonome créé par le mouvement des femmes, fut intégrée à l'armée (Service féminin de l'armée). Les grandes associations féminines étaient surchargées par l'exécution des mesures de l'Office fédéral de guerre pour l'alimentation, si bien que l'ASF décida d'ouvrir, en 1944, le Secrétariat féminin suisse, auquel participèrent aussi les associations professionnelles, les centres de liaison des associations féminines, la Société d'utilité publique des femmes suisses et les groupes de femmes socialistes. Le secrétariat concentra son action sur trois volets: professions, économie et société, droit et politique. Cette réorganisation permit aux associations de gagner de l'influence sur la législation, en intervenant au moment des procédures de consultation et du travail préparatoire des commissions (commissions extraparlementaires).

La politique de l'après-guerre

«Les femmes revendiquent une autre histoire», défilé du Premier mai à Zurich en 1989. Photographie de Tula Roy (Gretlers Panoptikum zur Sozialgeschichte, Zurich).
«Les femmes revendiquent une autre histoire», défilé du Premier mai à Zurich en 1989. Photographie de Tula Roy (Gretlers Panoptikum zur Sozialgeschichte, Zurich).

Le rapprochement des différents courants opéré durant la guerre s'exprima une fois encore lors du IIIe congrès suisse des intérêts féminins de 1946, une première, puisque toutes les composantes du mouvement assumèrent son organisation. Mais elles ne parvinrent pas à créer des structures unitaires. La Société d'utilité publique des femmes suisses, la Ligue suisse de femmes catholiques, ainsi que les associations protestantes pour le relèvement moral, qui fondèrent en 1947 la Fédération suisse des femmes protestantes pour faire pendant à la Ligue suisse de femmes catholiques, tenaient à préserver leur autonomie. L'ASF modifia ses statuts en 1949 pour pouvoir accueillir en son sein l'Association pour le suffrage féminin et les groupes de femmes socialistes; le Secrétariat féminin devint le bureau central de l'ASF. Les différentes associations se firent souvent concurrence par la suite, lors de consultations, car l'ASF passait pour la représentante des intérêts généraux des femmes auprès des autorités. C'est l'engagement en faveur du suffrage féminin qui amena toutes les associations à tirer de nouveau à la même corde. Un comité suisse d'action pour le suffrage féminin fut créé (chapeautant les diverses associations), auquel succéda en 1957 la Communauté suisse de travail des associations féminines pour les droits politiques de la femme. Dans les années 1950 et 1960, le discours du mouvement des femmes resta dominé par une conception dualiste du rôle des sexes; il attribua aux femmes une importance accrue au sein de la famille, notamment à cause des innovations techniques qui avaient fait leur entrée dans les foyers pendant les années de haute conjoncture. Le modèle de la femme mère et ménagère ne fut pas non plus mis en question à la Saffa de 1958, organisée par l'ASF, même si les succès des femmes dans diverses branches professionnelles y furent largement illustrés.

Entre réorientation et féminisme après 1968

La grève nationale des femmes du 14 juin 1991, La Chaux-de-Fonds (Photographie Monique Jacot, Epesses).
La grève nationale des femmes du 14 juin 1991, La Chaux-de-Fonds (Photographie Monique Jacot, Epesses).

L'année 1968 apporta des changements importants. Le Mouvement de libération des femmes (MLF), fondé sous l'influence des révoltes des jeunes et des étudiants (mai 68), lança des actions médiatiques efficaces pour contester la division du travail, hiérarchisée selon les sexes, au sein de la famille ainsi qu'une morale sexuelle répressive (sexualité). L'objectif de ce «nouveau» mouvement, transnational et constitué autour de la question de l'avortement, n'était plus d'intégrer les femmes dans les structures de droit public, mais d'assurer leur autonomie. D'abord réticent, une partie de l'«ancien» mouvement des femmes finit par se rallier à ces revendications. Lors du IVcongrès suisse des intérêts féminins, en 1975, placé sous le signe du «partenariat», une majorité de femmes se prononcèrent en faveur de la solution du délai, contre la volonté des femmes catholiques. Contrairement aux jeunes féministes, la plupart des associations féminines ne soutinrent pas l'initiative pour l'égalité des droits entre hommes et femmes, lancée lors du congrès. Elles défendirent le contre-projet plus modéré du Conseil fédéral, adopté en 1981, qui déboucha sur l'inscription de l'égalité des sexes dans la Constitution. La Commission fédérale pour les questions féminines, dont la création avait été revendiquée par les congressistes, avait été instituée en 1976. Claudia Kaufmann, sa secrétaire, dirigea le nouveau Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes, en 1988, qui servit de modèle aux cantons et aux villes. Véritables plaques tournantes, ces bureaux favorisèrent une collaboration à long terme plus étroite entre l'«ancien» et le «nouveau» mouvement, qui se réclamait du féminisme international. «Anciennes» et «nouvelles» féministes défendirent ensemble la solution du délai, l'inscription dans la Constitution de l'égalité et l'élaboration d'une loi sur la protection de la maternité (l'Organisation pour la cause des femmes relança le débat à ce sujet lors de son congrès constitutif en 1977). 

Débat entre représentantes de l'«ancien» et du «nouveau» mouvement des femmes dans l'émission En direct avec... de la télévision suisse romande du 4 février 1975 (Radio Télévision Suisse, Genève, Play RTS).
Débat entre représentantes de l'«ancien» et du «nouveau» mouvement des femmes dans l'émission En direct avec... de la télévision suisse romande du 4 février 1975 (Radio Télévision Suisse, Genève, Play RTS). […]

L'influence du nouveau mouvement déploya ses effets tant sur le plan organisationnel que thématique: apparition de nouveaux groupes locaux de femmes, réactivation du mouvement des femmes pour la paix et des structures féminines existantes dans les partis et les syndicats, création de centres de conseils, de lieux de contact pour migrantes, ouverture de garderies, développement de projets de logement. En s'appuyant sur le Manifest ausländischer Frauen (manifeste des femmes étrangères), élaboré en 1975 notamment par des représentantes de la commission féminine italienne de la Federazione delle colonie libere italiane in Svizzera, des organisations de migrantes de différentes nationalités européennes exigèrent lors de leur congrès à Berne en 1980 de participer à la vie sociale et politique du pays. En 1985, elles revendiquèrent lors du congrès à Zurich une naturalisation indépendante de leur conjoint pour les femmes mariées, la fin des expulsions judiciaires des étrangères et les mêmes conditions de travail pour les Suissesses et les étrangères. L'association Femmes Féminisme Recherche (FFR, en allemand FemWiss), fondée en 1983, s'est donné pour mission de lutter contre la discrimination des femmes dans le monde scientifique et de promouvoir la recherche féministe. A la même époque, le mouvement pour la santé des femmes se développa également en Suisse. Coopérant avec le réseau Isis International, domicilié à Genève, il se concentra sur les questions liées aux nouvelles technologies de reproduction, critiquées par plusieurs groupements féministes (dont Antigena à Zurich). En créant leurs propres organisations politiques, notamment Frauen macht Politik! (Frap!) à Zurich, les militantes tentèrent de porter leurs revendications directement dans les institutions. En 1991, lors de la grève des femmes, lancée par un groupe de travailleuses syndiquées, plus de 500'000 femmes se mobilisèrent pour protester contre le retard pris par l'application de l'article sur l'égalité, dont on fêtait alors les dix ans. En automne de la même année, lors de la première Session des femmes au Palais fédéral, les représentantes de diverses organisations formulèrent un grand nombre de revendications pour la réalisation de l'égalité des sexes. Le pouvoir de mobilisation généré par la grève des femmes se manifesta en 1993 lors de la non-élection de Christiane Brunner au Conseil fédéral. A la suite de la protestation massive des femmes et sous la pression de son parti, l'élu socialiste Francis Matthey renonça à son élection et Ruth Dreifuss entra une semaine plus tard au Conseil fédéral. La coopération de plus en plus étroite entre les différentes organisations se manifesta par le large soutien apporté au Ve congrès suisse des intérêts féminins, en 1996. Ce dernier fut marqué par de nombreuses requêtes féministes, par de nouveaux projets au caractère plus professionnel et par la forte présence d'organisations non gouvernementales (ONG). S'appuyant sur des expertes féministes, ces organisations s'inscrivaient dans un vaste réseau international, également favorisé par le forum des ONG lors de la quatrième conférence mondiale sur les femmes des Nations Unies à Pékin en 1995. Les points de vue divergents dus aux différences d'âge et d'appartenance politique s'exprimèrent à nouveau lors des votations sur l'assurance maternité, en 1999, et sur l'initiative pour une représentation équitable des femmes dans les autorités fédérales, dite «des quotas», en 2000, toutes deux refusées. 

Essor et diversification après 2000

Grâce au soutien presque unanime des militantes, les premières années du nouveau millénaire furent marquées par des percées dans la concrétisation de revendications importantes, formulées de longue date par le mouvement féministe. Les femmes du Parti démocrate-chrétien (PDC) s'opposèrent pour la première fois à ce dernier sur la question de l'avortement. La solution du délai fut accepté en votation populaire en 2002 tout comme l'assurance maternité en 2004. A cette fin, on modifia la loi sur les allocations pour perte de gain afin d'accorder un revenu de substitution aux mères exerçant une activité lucrative. La législation sur la violence domestique et les abus sexuels fut également améliorée durant ces années. Les divergences entre associations féminines, groupes moins organisés et services d'information se manifestèrent surtout sur les questions liées à la prostitution. Alors que le Centre de liaison des associations féminines zurichoises considérait la prostitution comme une forme d'exploitation et se prononça en faveur d'une pénalisation des clients, le bureau Frauenhandel und Frauenmigration (FIZ) et l'association des travailleurs et travailleuses du sexe Aspasie à Genève plaidèrent pour la reconnaissance de la prostitution comme une activité lucrative comparable à d'autres prestations. Des dissensions entre féministes de différentes générations et orientations politiques apparurent aussi dans le débat, récemment relancé, sur la rémunération des tâches domestiques et de soins. 

«Betti Bossy bout de colère». Livre de cuisine satirique, publié par la Frauengruppe gegen Sexismus und Rassismus (F.A.M.) de Berne à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes du 25 novembre 2006 (Bibliothèque nationale suisse, Berne, Nb 122404 Res).
«Betti Bossy bout de colère». Livre de cuisine satirique, publié par la Frauengruppe gegen Sexismus und Rassismus (F.A.M.) de Berne à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes du 25 novembre 2006 (Bibliothèque nationale suisse, Berne, Nb 122404 Res). […]

L'échec de la réélection de Ruth Metzler-Arnold lors du renouvellement du Conseil fédéral en 2003 (deux anciens opposants au suffrage féminin furent élus le même jour) déclencha une vague de protestations, portée initialement par de jeunes militantes et poursuivie par des sympathisantes plus âgées (avec une veillée devant le Palais fédéral), qui conduisit à la formation de nouveaux groupements féministes. L'Organisation suisse des lesbiennes (LOS, fondée en 1989), association faîtière des femmes suisses lesbiennes, bisexuelles et queer, milita avec succès pour l'adoption en 2005 de la loi fédérale sur le partenariat enregistré entre personnes du même sexe et pour l'acceptation en 2021 du mariage pour tous (qui garantit également les droits des familles arc-en-ciel, homosexualité). Le réseau de femmes noires féministes Bla*Sh, fondé en 2013, participa au débat public sur le racisme et le sexisme. Il prit la relève du mouvement Women of Black Heritage et des associations de femmes noires à Zurich, Bâle et Genève, actifs depuis les années 1990. Des militantes de longue date, parmi lesquelles on trouvait de nombreuses vétéranes du renouveau féministe des années 1960, fondèrent en 2010 la plateforme GrossmütterRevolution, consacrée à la réflexion sur les relations intergénérationnelles. L'Equal Pay Day, organisé pour la première fois en 2009 par l'association Business and Professional Women Switzerland (BPW) et soutenu par Alliance F et le Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes, permit de faire pression sur les politiques et les entreprises pour qu'elles appliquent l'égalité salariale. En Suisse aussi, des groupes féministes participèrent à la Marche mondiale des femmes, un mouvement international luttant contre la pauvreté et la violence envers les femmes. Dans le contexte des mouvances transnationales apparues à la fin des années 2010, de plus en plus de femmes de toutes les générations protestèrent dans la rue et sur internet contre les agressions sexuelles. En 2016, de nombreux cas de violences à caractère sexuel furent publiés sous le hashtag #SchweizerAufschreiQuelque 10'000 femmes défilèrent en mars 2017 à Zurich contre les différentes formes de sexisme en s'inspirant du Women’s March à Washington, dirigé contre Donald Trump. Le mouvement #MeToo trouva également un écho en Suisse et plus de 20'000 personnes manifestèrent en 2018 à Berne contre la discrimination salariale. Une volonté accrue d'agir, qui caractérisait presque toutes les composantes du mouvement féministe (des agricultrices aux membres du BPW, des syndicalistes aux groupes LGBT+ de la mouvance queer), aboutit à la deuxième grève des femmes de 2019, à laquelle participèrent quelque 500'000 femmes et hommes dans toute la Suisse pour protester contre la persistance des inégalités entre les sexes. Dans ce contexte, les manifestations organisées dans de nombreuses villes se focalisèrent sur la discrimination des migrantes et sur les tâches d'assistance et de soins (rémunérées ou non). Dans les campagnes, elles se concentrèrent sur les inégalités dans le secteur agricole. Cette forte mobilisation permit au mouvement des femmes de continuer à peser sur l'agenda politique, notamment sur les questions cruciales de la conciliation du travail et de la famille, de la parité dans les domaines économique et politique ainsi que des violences à caractère sexuel. La notion nouvellement introduite de féminicide clarifia le caractère spécifique de ce type de meurtre, dans lequel une femme ou une jeune fille est assassinée en raison de son appartenance au sexe féminin. Un nombre record de femmes furent élues au Parlement en octobre 2019. Au Conseil des Etats on en compta désormais 26%, contre 15% en 2015; au Conseil national leur proportion passa à 42%, contre 32% en 2015. Les célébrations du 50anniversaire de l'introduction du suffrage féminin culminèrent avec la deuxième Session des femmes au Palais fédéral, en automne 2021, dont les revendications reflétaient les principales préoccupations du mouvement des femmes (travail, égalité des sexes et violences à caractère sexuel). Au début des années 2020, le courant féministe disposait encore d'un fort potentiel de mobilisation, toutes générations confondues. 

Manifestantes à la grève des femmes du 14 juin 2019 dans diverses villes suisses. Photographies réalisées par Francesca Palazzi, Sabine Wunderlin, Sabine Cattaneo et Sandra Pointet/Magali Dougados du collectif de femmes photographes de la grève (Freshfocus, images 933055, 933327, 933511 et 995948).
Manifestantes à la grève des femmes du 14 juin 2019 dans diverses villes suisses. Photographies réalisées par Francesca Palazzi, Sabine Wunderlin, Sabine Cattaneo et Sandra Pointet/Magali Dougados du collectif de femmes photographes de la grève (Freshfocus, images 933055, 933327, 933511 et 995948). […]

Sources et bibliographie

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  • Archives sociales suisses, Zurich.
  • Archiv für Frauen-, Geschlechter- und Sozialgeschichte Ostschweiz, Saint-Gall.
  • Archiv Gosteli-Foundation, Worblaufen.
  • Frauenkulturarchiv Graubünden, Coire.
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  • Kiani, Sarah; Schmitter, Leena; Schulz, Kristina: Frauenbewegung. Die Schweiz seit 1968. Analysen, Dokumente, Archive, 2014.
  • Joris, Elisabeth; Witzig, Heidi: Frauengeschichten(n). Dokumente aus zwei Jahrhunderten zur Situation der Frauen in der Schweiz, 2021(1986), pp. 473-482, 575-580.
  • Schnegg, Brigitte; Stalder, Anne-Marie: «Zur Geschichte der Schweizer Frauenbewegung», in: Commission fédérale pour les questions féminines (éd.): La situation de la femme en Suisse. Rapport de la Commission fédérale pour les questions féminines, partie 4, 1984, pp. 5-28.
  • Mesmer, Beatrix: Ausgeklammert – Eingeklammert. Frauen und Frauenorganisationen in der Schweiz des 19. Jahrhunderts, 1988.
  • Benz, Sibylle: «Frauenfriedensarbeit in der Schweiz zur Zeit des Ersten Weltkrieges», in: Ludi, Regula; Lüthi, Ruth; Rytz, Regula (éd.): Frauen zwischen Anpassung und Widerstand. Beiträge der 5. Schweizerischen Historikerinnentagung (November 1988, Bern), 1990, pp. 69-83.
  • Käppeli, Anne-Marie: Sublime croisade. Ethique et politique du féminisme protestant 1875-1928, 1990.
  • Mesmer, Beatrix: «Die Organisationsstruktur der schweizerischen Frauenbewegung bis zur Reorganisation von 1949», in: Prongué, Bernard et al. (éd.): Passé pluriel. En hommage au professeur Roland Ruffieux, 1991, pp. 106-116.
  • Joris, Elisabeth: «Les mouvements de libération des femmes», in: Hugger, Paul (éd.): Les Suisses. Modes de vie, traditions, mentalités, vol. 2, 1992, pp. 953-970.
  • Pavillon, Monique; Vallotton, François: «Des femmes dans l'espace public helvétique 1870-1914», in: Pavillon, Monique; Vallotton, François (éd.): Lieux des femmes dans l'espace public 1800-1930. Actes du Colloque à l'Université de Lausanne, 11-12 nov. 1991, 1992, pp. 7-54.
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  • Mesmer, Beatrix: «Pflichten erfüllen heisst Rechte begründen. Die frühe Frauenbewegung und der Staat», in: Revue suisse d'histoire, 46/3, 1996, pp. 332-355.
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  • Voegeli, Yvonne: Zwischen Hausrat und Rathaus. Auseinandersetzungen um die politische Gleichberechtigung der Frauen in der Schweiz 1945-1971, 1997.
  • Broda, May B.; Joris, Elisabeth; Müller, Regina: «Die alte und die neue Frauenbewegung», in: König, Mario et al. (éd.): Dynamisierung und Umbau. Die Schweiz in den 60er und 70er Jahren, 1998, pp. 201-226 (Die Schweiz 1798-1998, 3).
  • Joris, Elisabeth: «Geschlechtshierarchische Arbeitsteilung und Integration der Frauen», in: Studer, Brigitte (éd.): Etappen des Bundesstaates. Staats- und Nationsbildung der Schweiz, 1848-1998, 1998, pp. 187-201.
  • Christensen, Birgit (éd.): Démocratie et sexes. Symposium interdisciplinaire à l'occasion du 150e anniversaire de l'Etat fédéral, 1999.
  • Lenzin, Danièle: Die Sache der Frauen. OFRA und die Frauenbewegung in der Schweiz, 2000.
  • Redolfi, Silke: Frauen bauen Staat. 100 ans Alliance de sociétés féminines suisses, 2000.
  • Commission fédérale pour les questions féminines (éd.): Femmes Pouvoir Histoire. Histoire de l'égalité en Suisse de 1848 à 2000, 2001 (avec bibliographie).
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  • Müller, Verena E.: Frauen für Frauen – einst und jetzt. Schweizerische Evangelische Frauenhilfe – ein Kapitel Schweizer Geschichte, 2005.
  • Nouveau mouvement des femmes en Suisse. Approches et perspectives de recherche, 2007 (Revue suisse d'histoire, 57/3).
  • Dardel, Julie de: Révolution sexuelle et Mouvement de libération des femmes à Genève (1970-1977), 2007.
  • Milani, Pauline: Femmes dans la mouvance communiste suisse. La Fédération des femmes suisses pour la paix et le progrès. Un militantisme entre conservatisme et émancipation, 1952-1969, 2007.
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Liens

Suggestion de citation

Elisabeth Joris: "Mouvement des femmes", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 06.12.2022, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/016497/2022-12-06/, consulté le 18.04.2024.