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Suicide

Le corps d'un dominicain suicidé, découvert à Bâle en 1484, est traîné le 12 janvier 1485 pour être enfermé dans un tonneau et jeté dans le Rhin, selon l'habitude. Episode relaté en 1513 dans la Luzerner Chronik de Diebold Schilling (Zentral- und Hochschulbibliothek Luzern, Sondersammlung, Eigentum Korporation Luzern).
Le corps d'un dominicain suicidé, découvert à Bâle en 1484, est traîné le 12 janvier 1485 pour être enfermé dans un tonneau et jeté dans le Rhin, selon l'habitude. Episode relaté en 1513 dans la Luzerner Chronik de Diebold Schilling (Zentral- und Hochschulbibliothek Luzern, Sondersammlung, Eigentum Korporation Luzern). […]

Au cours du Moyen Age, on se mit à considérer le suicide comme un péché, conformément à la doctrine de saint Augustin, à l'assimiler à un meurtre et à le condamner en tant qu'outrage à l'ordre divin. Les autorités soumettaient l'entourage du suicidé à une procédure judiciaire afin d'établir les causes du suicide. L'élément décisif de l'enquête était de savoir si le suicidé avait montré du repentir avant de commettre son acte. Si la famille pouvait prouver que le suicide avait été commis par "mélancolie", elle échappait à la confiscation de ses biens ou à la démolition de sa maison; du moins était-ce le cas à Zurich à l'époque moderne. Le corps du suicidé, jusqu'au XVIe s., était traité comme s'il s'agissait d'un criminel vivant: il était pendu, roué ou décapité (de là vient la croyance populaire selon laquelle les suicidés reviendraient hanter les vivants sous la forme de cavaliers sans tête). Pour éliminer le cadavre, à l'époque moderne, divers moyens étaient utilisés qui avaient pour trait commun de lui refuser le rituel funéraire chrétien et de ne lui laisser qu'une inhumation infâmante exécutée par le bourreau sans l'assistance d'un prêtre. A Bâle, jusqu'au XVIIIe s., les suicidés étaient mis dans un tonneau et jetés dans le Rhin, suivant un rituel appelé Rinnen (écoulement) et destiné à éloigner le corps du pécheur de la société dans laquelle il avait vécu. Il était courant, jusqu'au XVIIIe s., d'enterrer les suicidés à l'extérieur des cimetières, voire hors de l'enceinte des villes; les pratiques de ce genre avaient pour but de rétablir l'ordonnance sociale de la communauté chrétienne. Des discriminations dans les formes d'inhumation subsistèrent jusqu'au début du XXe s. Dans la région de Berne, par exemple, un petit grillage autour des tombes des suicidés, censé empêcher le mort d'en sortir, témoignait de la croyance encore vivace aux revenants.

Au cours du XIXe s., avec la naissance de la psychiatrie, le suicide fut imputé à un état de maladie mentale. On tenta de lui donner une explication scientifique, fondée sur l'alcoolisme, les maladies physiques, les problèmes relationnels ou la pauvreté. Les hommes, les célibataires des deux sexes et les personnes âgées furent regardés comme les principales catégories à risque. L'augmentation du taux de suicide au XIXe s. fut interprété (par Emile Durkheim notamment) comme une conséquence de la modernisation, de l'urbanisation, de l'industrialisation et de la déchristianisation. C'est un fait qu'à la fin du siècle, les chiffres les plus élevés sont enregistrés à La Chaux-de-Fonds, milieu industriel et citadin, que suivent les centres urbains protestants: Lausanne, Genève, Zurich, Winterthour, Berne et Bienne. Au XXe s., la médicalisation du suicide aboutit à la création d'une discipline spécifique, la suicidologie. Vers la fin du siècle, avec la question de la mort volontaire et de l'assistance au suicide, une importante polémique s'est engagée en Suisse sur le moment et la manière de mettre fin à sa propre vie. Un arrêt du Tribunal fédéral de 2006, reconnaît à tout être humain le droit de choisir la façon et le moment de mettre fin à sa vie. Cette décision a donné une base légale à l'assistance au suicide, telle qu'elle est pratiquée par des organisations comme Exit (fondée en 1982) ou Dignitas (fondée en 1998) par exemple, qui procurent à la personne désireuse de mettre fin à ses jours une substance létale qu'elle absorbe sans l'intervention de tiers. En 2012, le peuple ayant accepté le contre-projet des autorités cantonales à une initiative d'Exit sur l'assistance au suicide dans les EMS, le canton de Vaud est devenu le premier canton à se doter d'une loi en la matière.

Les historiens de la civilisation, de la médecine et du droit, tout comme les chercheurs en anthropologie historique n'ont commencé à s'intéresser au suicide que récemment et les travaux ont porté jusqu'à présent avant tout sur l'époque moderne. Il n'existe de chiffres, pour la Suisse, que depuis l'introduction de la statistique des causes de décès en 1876. A partir de cette date, il est aussi possible d'établir des comparaisons, dont il ressort que la Suisse présente constamment un des taux de suicide les plus élevés du monde. Au vu de cette réalité, il est étonnant que la recherche sur le suicide soit si peu avancée en Suisse.

Les études historiques en Suisse se sont concentrées sur les différences de taux de suicide entre les milieux urbains et ruraux et entre les régions catholiques et protestantes. Avant le XIXe s., c'est surtout dans les villes protestantes de Genève et Zurich que les taux de suicide étaient élevés et que le problème était sérieusement débattu. Selon certains historiens, ce phénomène pourrait s'expliquer par des évolutions dues à la Réforme, c'est-à-dire par la mutation culturelle que celle-ci a provoquée et qui aurait marqué la manière de penser et de ressentir de la population, dans le sens d'une laïcisation (instauration d'une autorité suprême toute-puissante, pratique de l'examen de conscience, maîtrise des sentiments, refus des causes surnaturelles).

Sources et bibliographie

  • E. Waldstein, Der Selbstmord in der Schweiz, 1934
  • A. Schnegg, «Justice et suicide sous l'Ancien Régime», in MN, 69, 1982, 73-94
  • M. Schär, Seelennöte der Untertanen, 1985
  • HRG, 4, 1616-1619
  • M. Porret, «"Je ne suis déjà plus de ce monde": le suicide des vieillards à Genève aux XVIIe et XVIIIe s.», in Le poids des ans, éd. G. Heller, 1994, 67-94
  • Stat. hist.
  • V. Ajdacic-Gross, Suizid, sozialer Wandel und die Gegenwart der Zukunft, 1999
  • J.R. Watt, Choosing Death: Suicide and Calvinism in Early Modern Geneva, 2001
  • A. Steinbrecher, Verrückte Welten: Wahnsinn und Gesellschaft im barocken Zürich, 2006
  • F. Botti, L'eutanasia in Svizzera, 2007
  • B. Tag, Sterbehilfe in Deutschland und in der Schweiz, 2008
  • P. Zihlmann-Märki, "Gott gebe das wir das Liebe Engelein mit Freüden wieder sehen Mögen": eine kulturgeschichtliche Untersuchung des Todes in Basel, 1750-1850, 2010
  • M. Canevascini, Le suicide comme langage de l'oppression, th. Lausanne, 2012
Liens

Suggestion de citation

Aline Steinbrecher: "Suicide", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 22.06.2016, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/017450/2016-06-22/, consulté le 16.04.2024.