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Proche-Orient

Terme apparu au XIXe s. et désignant alors une partie de l'"Orient" (par rapport à l'Europe occidentale), à savoir la Turquie ottomane, ses dépendances en Méditerranée orientale ("Levant") et dans les Balkans (en voie d'indépendance et dont le sort constituait la "question d'Orient"), ainsi que la Perse (non ottomane). Au XXe s., on cessa d'inclure les Balkans dans le P., pour lequel on se mit à utiliser aussi l'expression, d'origine américaine, de "Moyen-Orient" (qui cependant implique une plus grande extension à l'est, jusqu'à l'Afghanistan). Le P. englobe en particulier les "pays de la Bible"; il a pour cœur la Palestine/Israël. Au début du XXIe s., on considère qu'il comprend la Turquie, la Palestine, Israël, l'Irak, l'Iran, la Syrie, le Liban, la Jordanie, l'Egypte, l'Arabie Saoudite, voire les Etats du Golfe. Il constitue l'un des points chauds de la politique mondiale à cause du conflit israélo-palestinien et des conséquences du "Printemps arabe".

Relations avec l'empire ottoman

Le sultan régnant à Istanbul devint au XVIe s. le maître de tout le P., y compris les Balkans, ainsi que de l'Afrique du Nord. Après avoir perdu au XIXe s. et, au début du XXe, l'Afrique du Nord et les Balkans presque tout entiers, l'Empire ottoman fut complètement démembré à la fin de la Première Guerre mondiale.

Etiquette pour des colorants de Ciba destinés à l'exportation, vers 1900 (Firmenarchiv der Novartis AG, Bâle, CIBA PW 2.04.2, Nr. 1165).
Etiquette pour des colorants de Ciba destinés à l'exportation, vers 1900 (Firmenarchiv der Novartis AG, Bâle, CIBA PW 2.04.2, Nr. 1165). […]

Les Suisses actifs dans l'Empire ottoman, essentiellement pour des raisons commerciales, se plaçaient sous la protection de puissances européennes, telle la France, disposant dans le pays d'un réseau consulaire et de privilèges reconnus par des accords internationaux (dits capitulations). Assez rares au XVIe s. (quelques horlogers protestants à Istanbul, par exemple), ils devinrent plus nombreux au XIXe s.: du fait de l'ouverture économique du monde ottoman, des marchands et entreprises suisses s'installèrent à Istanbul, Smyrne (auj. Izmir), Beyrouth, Alep ou Bagdad (textiles, chimie, banque). Des Suisses trouvèrent du travail dans les chemins de fer turcs, à la Banque ottomane ou dans l'administration de la dette publique ottomane. Quelques-uns d'entre eux, tels Louis Rambert ou Edouard Huguenin, atteignirent de hautes positions. D'importants investissements furent consentis avant 1914 dans les chantiers ferroviaires (par l'intermédiaire de la Banque des chemins de fer orientaux à Zurich et de la Société des chemins de fer orientaux à Glaris, toutes deux fondées en 1890), ainsi que dans le réseau d'eau et les tramways d'Istanbul.

L'aide humanitaire et religieuse suisse au P. fut déclenchée par le massacre des Arméniens en 1895 (Arménie). Avec des chrétiens venus d'autres pays européens, les animateurs du secours aux Arméniens, pilotés par des missionnaires américains, fondèrent en Anatolie centrale et orientale des orphelinats, des écoles, des manufactures et des hôpitaux, dont celui d'Urfa (créé par la doctoresse zurichoise Josephine Fallscheer-Zürcher, puis dirigé par des médecins de Bâle et par Jakob Künzler, d'Appenzell Rhodes-Extérieures). A Alep (Syrie du Nord), des hommes d'affaires et des missionnaires (dont l'institutrice bâloise Beatrice Rohner) mirent sur pied pendant la Première Guerre mondiale, en étroite collaboration avec l'œuvre américaine Near East Relief, une organisation de secours en faveur des orphelins arméniens.

Les idées inspirant la Croix-Rouge se propagèrent précocement au P. Le gouvernement ottoman utilisa pour la première fois dans la guerre de 1877-1878 contre la Russie l'emblème du croissant rouge qui, comme celui de la croix rouge, protégea plusieurs hôpitaux lors de la Première Guerre mondiale. La Croix-Rouge resta cependant largement impuissante face au génocide des Arméniens en 1915.

Aux XIXe et XXe s., la Suisse était considérée au P., avec admiration, comme une démocratie indépendante et progressiste, dépourvue de visées impérialistes (ce qui était juste sur le plan politique, mais non sur le plan économique). De ce fait, elle devint dans la seconde moitié du XIXe s. une destination appréciée des réfugiés, étudiants, opposants et agitateurs ottomans. Elle accueillit notamment Abdullah Djevdet, traducteur du Guillaume Tell de Schiller, le nationaliste égyptien Muhammad Farid, le prince Sabahaddin, chef des libéraux ottomans, plusieurs futurs ministres de la Turquie kémaliste, des membres dirigeants des partis arméniens Dachnak et Hentchak, le porte-parole kurde Abdurrahman Bedirhan (Kurdistan), le futur président israélien Chaim Weizmann et le futur ministre-président iranien Muhammad Mossadegh. Des penseurs ottomans comme Ali Suavi et Said Nursi s'intéressèrent au fonctionnement d'une démocratie fédéraliste multiethnique. Les Jeunes-Turcs contraints à l'exil se concentrèrent à Genève (1896-1901), avec le soutien du Neuchâtelois Edmond Lardy, ancien président de la Société ottomane de médecine.

Etablissement de relations diplomatiques dans l'entre-deux-guerres

La Confédération n'était pas représentée officiellement dans les parties asiatiques de l'Empire ottoman. Celui-ci démembré, elle établit des relations diplomatiques avec les nouveaux Etats et les territoires placés sous mandat de la SdN (le processus dura jusque dans la seconde moitié du XXe s.).

Représentations diplomatiques suisses au Proche-Orient

PaysReconnaissanceReprésentationAmbassade
Arabie Saoudite192719581961
Bahrain19711977 Agence consulaire2001 Consulat général
Egypte192419351957
Emirats arabes unis19711976 Bureau1998
Irak1930 de facto1936 Consulat1961
Iran1873a19191936
Israël19491949 Consulatb1958
Jordanie19491960 Agence consulaire1971
Koweït19611967 Consulat1975
Liban19451949c1958 (avec des interruptions)
Oman1973d1988 Agence consulaire2003 Consulat général
Qatar19711973d-
Syrie19451946 Chancellerie d'ambassade1962
Turquie1923 de facto19281953
Yémen1948/1967e1981 Agence consulaire-

a Traité d'amitié

b à Tel Aviv; sous le mandat britannique, consulat d'abord à Jaffa (1927-1942), puis à Jérusalem (1942-1952 )

c depuis 1934 consulat sous le mandat français

d Accréditation

e Reconnaissance du Yémen du Nord en 1948, du Yémen du Sud en 1967

Représentations diplomatiques suisses au Proche-Orient -  Suisse-Proche-Orient de l'après-guerre aux années 1990, 2004; Hans-Lukas Kieser

Les capitulations concédées par la Turquie furent abolies par le traité de Lausanne du 24 juillet 1923 qui, révisant celui de Sèvres du 10 août 1920, conclut la conférence de Lausanne (1922-1923). Cette conférence entre le gouvernement kémaliste et les puissances victorieuses de la Première Guerre mondiale réorganisa le P. Elle donna aussi à des responsables politiques et économiques suisses l'occasion de nouer des contacts avec des personnalités de la nouvelle Turquie.

En raison de sa neutralité et de l'image positive dont elle bénéficiait au P., la Suisse fut souvent choisie pour abriter des réunions importantes, à commencer par la conférence d'Ouchy, où fut signé en 1912 le traité mettant fin à la guerre italo-turque (invasion de la Libye). Dans l'entre-deux-guerres, citons encore les conférences de Montreux sur les Détroits (1936) et sur l'abolition des capitulations dont la Grande-Bretagne bénéficiait en Egypte (1937). La SdN à Genève surveillait les mandats britanniques (Irak, Palestine) et français (Syrie, Liban). Après la guerre gréco-turque, le CICR assuma en 1922-1923 diverses tâches dans le domaine des échanges de prisonniers et de l'encadrement des réfugiés.

Conflits du Proche-Orient depuis 1945

Guerres israélo-arabes

La guerre liée à la proclamation de l'Etat d'Israël (de mai 1948 au printemps 1949) créa des problèmes qui furent discutés à Lausanne de février à septembre 1949, lors de la seule grande conférence multilatérale de paix avant celle de Madrid en 1991. Israël et tous ses voisins y acceptèrent les résolutions 181 (plan de partage de 1947) et 194 (droit au retour des réfugiés palestiniens) de l'ONU. Dans le contexte de la crise de Suez et de l'insurrection hongroise, le Conseil fédéral proposa aux quatre Grands et à l'Inde une conférence sur sol suisse, mais l'initiative fut fraîchement accueillie. La Suisse mit aussi à la disposition de l'ONU des avions pour transporter en Egypte des troupes et du matériel. Lors de la guerre des Six Jours (juin 1967), le Conseil fédéral publia une déclaration (conforme à l'opinion publique suisse) si bienveillante à l'égard de l'Etat d'Israël qu'elle provoqua de vives protestations des pays arabes.

Peu après, des actions terroristes palestiniennes secouèrent l'Europe. Trois attentats, revendiqués par le Front populaire de libération de la Palestine, touchèrent la Suisse: assaut contre un avion d'El Al à Kloten le 18 février 1969 (deux morts); explosion d'un avion de Swissair au-dessus de Würenlingen le 21 février 1970 (47 morts); détournement de trois avions, dont un de Swissair, vers Zerka dans le désert jordanien, en septembre 1970. Sept prisonniers palestiniens, dont les trois assaillants de Kloten arrêtés en 1969 à Zurich, furent alors relâchés et les 418 otages eurent la vie sauve. Dans cette crise d'une intensité sans précédent pour la diplomatie suisse depuis 1945, le CICR joua un rôle important, notamment en assurant les contacts entre les autorités suisses et les ravisseurs. Lors de l'invasion israélienne du Sud-Liban (juin 1982), la Suisse mit en œuvre trois de ses instruments traditionnels de politique extérieure: aide humanitaire (crédit de 5 millions de francs), bons offices (deux conférences de réconciliation nationale à Genève et Lausanne en 1983 et 1984) et interventions pour assurer le respect du droit international humanitaire. Un diplomate (en 1985) et trois collaborateurs du CICR (en 1988 et 1989-1990) furent enlevés au Liban, puis libérés. Le CICR resta particulièrement actif dans les zones en conflit du Proche-Orient. L'introduction en 2005 du cristal rouge comme emblème sans connotation religieuse, internationalement reconnu à côté de la croix et du croissant rouges, fut un pas important dans le contexte proche-oriental.

Le Conseil fédéral était prêt dès 1977 à recevoir un représentant de l'OLP, mais des oppositions internes repoussèrent à 1981 la première visite de Farouk Kaddoumi, responsable des Affaires étrangères de l'OLP. A cette occasion, Berne exprima clairement sa position, encore actuelle: toute solution devra prendre en compte à la fois "le droit d'Israël à l'existence et à la sécurité, dans des frontières internationalement reconnues, et le droit du peuple palestinien à déterminer son propre avenir". Après les accords d'Oslo (1993), la Suisse octroya un crédit de 60 millions de francs, d'une durée de cinq ans, pour des travaux de reconstruction en Cisjordanie et à Gaza. Elle ouvrit un bureau de liaison auprès de l'Autorité palestinienne et œuvra dans le domaine humanitaire et social. Avec cinq autres Etats, elle participa dès 1997 à la Temporary International Presence (organisme d'observation) à Hébron. Elle s'engagea activement pour le respect des conventions de Genève. Elle soutint aussi l'Initiative de Genève, projet de paix non officiel, présenté fin 2003, mais resté jusqu'à maintenant (2010) sans succès, qui veut offrir des solutions concrètes aux principaux problèmes en suspens: statut de Jérusalem, frontières de l'Etat d'Israël, droit au retour des réfugiés palestiniens. Ce soutien, la suspension temporaire de la coopération en matière d'armement, quelques déclarations suisses favorables à l'Autorité palestinienne pendant l'invasion israélienne du Liban en 2006 et la conclusion d'un contrat gazier avec l'Iran en 2008 irritèrent l'Etat d'Israël. Lors des interventions militaires d'Israël dans la bande de Gaza (fin 2008-début 2009), la Suisse demanda à toutes les parties de respecter le droit international humanitaire. Une partie substantielle de l'aide suisse au Proche-Orient va depuis le milieu des années 1950 aux réfugiés palestiniens, par le biais de l'agence onusienne spécialisée.

Guerres du Golfe de 1991 et 2003

L'invasion du Koweït par l'Irak (2 août 1990) entraîna des sanctions économiques de l'ONU. La Suisse participa au boycott, qui toucha environ 200 de ses entreprises (partiellement indemnisées ultérieurement grâce à un fonds onusien financé par les exportations de pétrole irakien). Les pays voisins de l'Irak bénéficièrent d'une aide internationale à laquelle la Suisse contribua pour 130 millions de francs. Après l'échec d'une ultime tentative de résolution pacifique du conflit (rencontre à Genève entre Tarek Aziz et James Baker), une coalition emmenée par les Etats-Unis engagea les hostilités contre l'Irak le 17 janvier 1991 (opération "Tempête du désert"); le Conseil fédéral interdit le survol du territoire à des fins militaires. Alors qu'il n'avait pu intervenir au Koweït occupé, le CICR déploya une intense activité durant et après la guerre, notamment lors du rapatriement de près de 80 000 prisonniers de guerre, surtout irakiens. L'aide humanitaire suisse était présente en Irak depuis 1993. En mars 2003, le Conseil fédéral "regretta" le lancement d'une opération militaire contre l'Irak conduite par les Etats-Unis sans l'aval onusien et appliqua le droit de neutralité. A la fin de 2004, la Suisse effaça 264 des 330 millions de francs de la dette irakienne.

Le "Printemps arabe"

Les révoltes populaires connues sous le nom de "Printemps arabe" éclatèrent à la fin de 2010 en Tunisie et touchèrent aussi plusieurs Etats du P. Dans ce contexte, la Suisse essaya de soutenir la transition vers la démocratie, le respect du droit international et des droits humains et le développement économique et social dans les pays de la région. Après la chute, en février 2011, du gouvernement égyptien, le Conseil fédéral ordonna le gel des avoirs en Suisse de l'ancien président Hosni Moubarak et de son entourage. Pour faire la lumière sur les brutalités commises en Syrie, théâtre depuis 2011 d'une sanglante guerre civile, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a institué une commission d'enquête dont fait partie l'ancienne procureure générale de la Confédération Carla del Ponte.

Sources et bibliographie

  • Suisse-Proche-Orient de l'après-guerre aux années 1990, 2004
  • A. Fleury, «Le mouvement national arabe à Genève durant l'entre-deux-guerres», in Relations internationales, 1979, no 19, 329-354
  • B. Witschi, Schweizer auf imperialistischen Pfaden, 1987
  • C. Girod, Tempête sur le désert: le Comité international de la Croix-Rouge et la guerre du Golfe 1990-1991, 1995
  • H.-L. Kieser, Der verpasste Friede: Mission, Ethnie und Staat in den Ostprovinzen der Türkei 1839-1938, 2000
  • A.R. Schnur, Agieren oder reagieren?, 2000, 137-191
  • S. Hueber, Die Schweiz und die Suez-Krise 1956, mém. lic. Berne, 2002
  • E. Wehrli, Le jour où mon destin bascula, 2003
  • Politorbis, 35, 2004
  • A. Keller, L'Accord de Genève, 2004
  • S. Sigerist, Schweizer im Orient, 2004
  • H.-L. Kieser, Vorkämpfer der "Neuen Türkei", 2005
  • A.C. Perrez, Die Kurdenfrage im Irak 1970-1988, mém. lic. Fribourg, 2007
  • Ch. Pfenninger, La guerre des Six Jours, mém. lic. Neuchâtel, 2007
Liens
Notices d'autorité
GND

Suggestion de citation

Hans-Lukas Kieser; François Wisard; HLS DHS DSS: "Proche-Orient", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 02.04.2015, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/024655/2015-04-02/, consulté le 19.03.2024.