Le sucre, qui séduit par sa douceur, est non seulement l'un des plus anciens produits à avoir été négocié à l'échelle mondiale, mais aussi l'une des premières denrées alimentaires produites industriellement. Au début du XXIe s., il est un ingrédient central de l'alimentation humaine, notamment par le biais des préparations industrielles prêtes à consommer. Le sucre est un glucide (saccharose) qui sert de réserve à de nombreuses plantes, comme la canne à sucre et la betterave sucrière. La culture de la canne, produit de la sélection entreprise il y a quelque 10 000 ans en Asie à partir de plantes herbacées sauvages, s'est étendue au Ve s. apr. J.-C. en Perse où l'on réussit pour la première fois à fabriquer un produit raffiné, très proche du sucre que nous connaissons. Les Arabes diffusèrent la production dans le bassin méditerranéen, les Espagnols dans le Nouveau Monde. En raison de son prix élevé, on rechercha des alternatives et on parvint ainsi, en 1799 en Prusse, à produire du sucre à partir de la betterave sucrière, issue de la betterave fourragère. L'industrie sucrière européenne, encouragée par des mesures politiques, devint au XIXe s. l'un des principaux segments de la filière agroalimentaire, défiant pour un temps la concurrence des produits d'outre-mer. Depuis, le sucre de canne a repris le dessus. En 2007, la production mondiale de sucre brut se montait à 170 millions de tonnes, dont 79 % issues de la canne (surtout Brésil et Inde) et 21 % de la betterave. La production suisse, qui couvre environ la moitié des besoins du pays, se montait à 0,25 million de tonnes.
Venu d'Orient via Venise, le sucre arriva en Suisse vers l'an 1000 et s'utilisa tout d'abord comme condiment et médicament. Dans les cuisines seigneuriales, il servait à assaisonner viande, poisson et légumes. Son prix baissant, le sucre colonial supplanta au XVIe s. le miel, édulcorant traditionnel. Sa consommation fut dopée par la création de nouveaux produits de luxe, liqueurs, limonades et crèmes glacées, ainsi que par la diffusion de boissons coloniales comme le café, le thé ou le cacao, qui se buvaient chaudes et sucrées. Jusqu'au XIXe s., ces denrées restèrent toutefois réservées aux classes aisées. En Suisse, la consommation moyenne de sucre a passé de 3 kg par habitant en 1850 à 16 kg en 1890, 32 en 1932, 44 en 1960 et 40 en 2009. La proportion consommée sous forme de produits transformés (crème glacée, chocolat) est de 85%, celle utilisée directement par les ménages (boissons, pâtisseries, confitures) de 15%. Un siècle plus tôt, cette proportion était inverse.
En Suisse, les paysans n'adoptèrent que tardivement la culture de la betterave sucrière. La loi sur l'agriculture de 1951 favorisa son essor dans la seconde moitié du XXe s. et la production quintupla entre 1965 et 2007, Vaud étant le plus gros fournisseur. Si elle était encore lucrative au début du XXIe s., cette culture subit depuis la fin de la première décennie du siècle une énorme pression sur les prix, conséquence des restructurations qui touchèrent le monde agricole en Suisse comme à l'étranger (réforme du marché sucrier européen); elle bénéficie toutefois depuis 2008 des paiements directs versés par la Confédération.
L'industrie sucrière suisse connut des débuts difficiles au XIXe s. Les premières tentatives furent un échec, ainsi à Bâle (1811), Genève (1820), Herdern (1857), Hochdorf (1887) et Monthey (1895). Le coût élevé de l'énergie, l'absence de protection douanière qui permettait aux fabricants de chocolat et de lait condensé d'utiliser du sucre importé meilleur marché, ainsi que le manque d'intérêt des agriculteurs pour cette culture, qui pourtant s'intégrait très bien dans la rotation et dont les feuilles fournissaient un fourrage supplémentaire, expliquent cet insuccès. Seule survécut la sucrerie d'Aarberg, fondée en 1898, qui bénéficia longtemps du soutien du canton de Berne. Tous les échelons de la filière - de la culture des betteraves aux conditions d'importation - sont encore (2011) réglementés par le régime sucrier, critiqué notamment par les organisations tiers-mondistes. En 1997, la sucrerie de Frauenfeld (fondée en 1963) fusionna avec la société bernoise pour former les Sucreries Aarberg et Frauenfeld SA. Durant la campagne de 2011, 380 personnes étaient occupées durant l'arrière-automne à la transformation des betteraves dans ces deux fabriques.
Autrefois considéré comme un remède, le sucre acquit dès la seconde moitié du XXe s. la réputation d'être addictif, ainsi que d'être la cause de surpoids et d'autres maladies de civilisation. Cette perte d'image fut tout bénéfice pour les produits concurrents comme le glucose et le fructose, mais surtout pour les édulcorants sans calories tels que la saccharine, le cyclamate, l'aspartame et l'acésulfame K.
La saccharine, dérivé d'hydrocarbure découvert en 1878, est l'édulcorant artificiel le plus ancien. Dans les années 1890, il fut largement répandu comme "sucre des pauvres", au point que, sous la pression de l'industrie sucrière et du fisc, plusieurs pays en interdirent la vente. Il ne put dès lors être obtenu qu'en pharmacie et sur ordonnance, ce qui profita à l'industrie pharmaceutique suisse, plusieurs entreprises se hissant parmi les principaux producteurs (Sandoz, Ciba). Des filières de contrebande diffusèrent la saccharine en Allemagne et jusque vers la Bohême. La convention internationale qui voulait imposer à la Suisse des lois sucrières restrictives ne put être mise en application avant 1914. La rareté du sucre durant la Première Guerre mondiale fit de la saccharine jusque-là dédaignée un produit de remplacement. Au XXIe s., les édulcorants sont appréciés en premier lieu pour leur absence de calories; de succédanés bon marché destinés à la population pauvre, ils sont depuis la seconde moitié du XXe s. l'édulcorant prisé des membres de la classe moyenne soucieux de leur ligne et de leur santé.