La notion d'équilibre européen apparaît au moment où l'unité de l'Europe médiévale, liée à une foi unique et à l'idée d'empire universel, est battue en brèche par la Réforme et par des ambitions nationales. L'idée s'imposa peu à peu qu'il fallait éviter la prépondérance d'une puissance et veiller à ce que soit conservée la "balance de l'Europe".
La contribution de la Suisse à l'équilibre européen réside d'abord dans la volonté d'exister. Défiant les conditions régnant à la fin du XIIIe s., le noyau primitif des ligues suisses a su imposer sa présence grâce à une position privilégiée, au carrefour des voies de communication irriguant le secteur alpin de l'Europe moyenne, dont elle assure la sécurité dans l'intérêt général. Dès le XVIe s., alors même que les puissances prépondérantes régissant successivement l'ordre européen (Espagne, France, Angleterre) s'efforcent de les opposer, les treize cantons de la Confédération restent liés entre eux, notamment grâce à la gestion de territoires dépendants, les bailliages communs. Lors de la paix de Westphalie en 1648, l'indépendance du Corps helvétique est pleinement reconnue pour sa fonction d'élément d'équilibre au cœur de l'Europe. D'autres liens s'établissent par le service étranger, les échanges commerciaux et la balance entre les confessions. A l'apogée de l'absolutisme, la politique d'abstention pratiquée par les cantons leur évite de pâtir des hégémonies successives des grandes puissances.
La Révolution rompt l'équilibre du XVIIIe s. en faveur de la France. Au traité de Campoformio, l'Autriche lui donne carte blanche pour envahir la Suisse. Par contre, l'Angleterre considère le retour des troupes françaises en septembre 1802 comme une violation du traité de Lunéville et du nouvel équilibre qu'il a créé; cela sera l'un des arguments pour la reprise de la guerre. Sous le Premier Empire, la Suisse est forcée d'abandonner de fait sinon de droit sa neutralité. En 1815, à la Restauration, le maintien de la Confédération justifie désormais la reconnaissance officielle de la neutralité suisse, jugée indispensable à l'Europe, organisée en un concert de puissances conservatrices (congrès de Vienne). Après 1870, l'équilibre européen repose sur deux systèmes d'alliances qui se font concurrence, la Triplice et l'Entente cordiale. Leur affrontement, au cours de la Première Guerre mondiale, débouche sur un nouvel équilibre, de type polycentrique, rattaché à une Société des Nations qui se veut universelle et pacifique. La Suisse s'y associe d'abord avec élan, avant de s'en distancer, lorsque les totalitarismes créent un "ordre nouveau", de nature despotique.
En 1945, les Alliés vainqueurs instaurent une organisation mondiale sous l'égide de l'Organisation des Nations unies (ONU) et de ses agences, qui récusent d'abord la neutralité helvétique. Mais la guerre froide entraîne à son tour une recomposition de l'équilibre européen en systèmes d'alliances de type militaire (Otan, Pacte de Varsovie) ou économique (Marché commun, Comecon). La Suisse s'en tient à l'écart, même après que la détente se confirme. Tout en bénéficiant des garanties offertes par le "monde libre", elle confirme sa neutralité au nom d'un équilibre plus général, qu'elle juge conforme à ses intérêts permanents. Après l'effondrement du communisme en 1989, la Suisse rend plus active encore sa neutralité tout en élargissant les moyens d'exercer sa solidarité. Elle agit alors au nom d'un équilibre général qu'elle contribue à consolider dans le cadre de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe (Accords d'Helsinki) et de l'organisation qui en a résulté (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)). Le refus de l'EEE en 1992 et le vote de 2001 rejetant une reprise rapide de la demande d'adhésion à l'Union européenne (UE) excluent à brève échéance l'entrée de la Suisse dans cet organisme, dans lequel le couple France-Allemagne assure l'équilibre européen.