21.9.1946 à Bienne, protestant, de Rohrbach. Avocat, politicien zurichois, membre du Parti socialiste (PS), conseiller d'Etat, conseiller national et conseiller fédéral.
Fils de Robert Leuenberger, professeur de théologie, et de Ruth née Mauch, romaniste, Moritz Leuenberger et ses trois frères et sœurs grandirent à Bienne et à Bâle. Après avoir fréquenté l'école primaire dans la première ville, puis le gymnase classique et le gymnase libre dans la seconde (maturité classique en 1966), il entreprit des études de droit à l'Université de Zurich (1966-1970), qu'il acheva par une licence. Influencé par l'effervescence sociale de 1968 (révoltes des jeunes), il s'engagea en politique déjà en tant qu'étudiant (Sozialistische Hochschulgruppe, Kleiner Studentenrat) et adhéra en 1969 au Parti socialiste. En 1972, Leuenberger obtint le brevet d'avocat zurichois et ouvrit son étude, où il travailla jusqu'en 1991. Il se fit connaître comme avocat d'organisations de la société civile critiques envers le système et comme représentant légal du gouvernement des Philippines pour le recouvrement des fonds déposés en Suisse par le dictateur Ferdinand Marcos. Leuenberger se maria une première fois avec Dolores Ackermann, avec qui il eut un fils en 1970 et dont il divorça en 1976. Son second fils naquit en 1975; le mariage avec la mère de celui-ci, l'architecte Gret Loewensberg, fut célébré en 2003.
Sa carrière politique débuta à Zurich où il fut président du PS de la ville (1972-1980) et conseiller communal (législatif, 1974-1983). Conseiller national de 1979 à 1995, il présida la commission de gestion et celle pour la révision du droit de la société anonyme. Leuenberger acquit une notoriété nationale lorsqu'il dirigea en 1989-1990 la commission d'enquête parlementaire chargée d'élucider les circonstances de la démission de la conseillère fédérale Elisabeth Kopp; c'est au cours de ses travaux que fut dévoilée l'affaire des fiches (protection de l'Etat). De 1986 à 1991, il fut également président de l'Association suisse des locataires (associations de locataires). Elu au Conseil d'Etat zurichois en 1991, il fut à la tête jusqu'en 1995 de la Justice et de l'Intérieur. En 1993, il dut assumer la responsabilité politique d'un meurtre commis par un délinquant sexuel en permission de sortie. Cet événement, qui eut un grand retentissement dans l'opinion publique, conduisit à un changement de mentalité dans le domaine de l'exécution des peines.
Le 27 septembre 1995, l'Assemblée fédérale le porta au Conseil fédéral après la démission d'Otto Stich. Candidat officiel du PS avec le conseiller national fribourgeois Otto Piller, Leuenberger fut élu au cinquième tour avec 124 voix (majorité absolue de 106 voix) après que les représentantes et les représentants de l'aile droite du Parti radical-démocratique (PRD) eurent tenté de briser la formule magique en proposant la conseillère aux Etats zurichoise Vreni Spoerry. A la suite d'une grande rotation des départements, il se vit attribuer le Département fédéral des transports et de l'énergie (DFTE), qu'il dirigea jusqu'à son retrait le 31 octobre 2010. Il fut président de la Confédération en 2001 et 2006.
Le DFTE, avec ses dossiers très diversifiés, devint l'un des départements clés au cours des années 1990; cette évolution, entamée sous son prédécesseur Adolf Ogi, se poursuivit sous la direction de Leuenberger. Tenant compte de l'importance croissante de la protection de l'environnement et du climat dans une société industrielle de plus en plus mobile – dont témoignent les conférences internationales sur le climat organisées depuis 1992 et l'adoption de l'initiative des Alpes en 1994 –, le DFTE fut rebaptisé en 1998 Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC). D'autres étapes en faveur d'une politique des transports durable grâce au transfert du trafic de la route au rail et à l'extension de l'infrastructure ferroviaire furent franchies en 1998 avec l'acceptation en votation populaire des modalités de la redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations (RPLP) – suivie en 1999 de l'accord donné par la Communauté européenne (CE) à la taxe sur les camions transitant par la Suisse – et du financement de grands projets touchant aux transports publics (NLFA, Rail 2000, raccordement au réseau européen à grande vitesse, réduction du bruit émis par les chemins de fer). Dans le domaine du trafic routier, l'accent continua d'être mis sur l'extension du réseau des routes nationales. Lancé pendant son mandat, le programme d'action visant à renforcer la sécurité routière Via sicura (réduction du taux d'alcoolémie, limitations de vitesse, etc.) permit de diminuer considérablement à partir de 2012 le nombre de morts et de blessés sur les routes. Leuenberger libéralisa le transport aérien. Le compromis qu'il négocia avec l'Allemagne sur le régime des approches à l'aéroport de Zurich fut rejeté par le Parlement qui le considéra comme discriminatoire; les Allemands imposèrent alors des conditions plus strictes. Après le grounding de Swissair en 2001, il participa aux discussions pour la création de la compagnie Swiss.
Si l'article constitutionnel sur une redevance pour l'encouragement des énergies renouvelables fut rejeté par le peuple en 2000, le DETEC réussit néanmoins à faire entrer en vigueur des ordonnances plus sévères sur les poussières fines, l'ozone, les boues d'épuration; en 2005, le Parlement approuva une loi sur la réduction des émissions de CO2. En matière de politique énergétique, Leuenberger s'opposa à une durée d'exploitation illimitée des centrales nucléaires (énergie nucléaire), mais aussi à leur arrêt rapide. Il soutint également la libéralisation du marché électrique, dont la mise en œuvre à travers la loi sur le marché de l'électricité (LME) fut toutefois rejetée par les électrices et les électeurs en 2002. En revanche, dans sa politique des médias, il s'en tint au mandat légal de service universel de la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR) et se montra sceptique à l'égard des prestataires privés. En 2007, la révision totale de la loi fédérale sur la radio et la télévision permit aux diffuseurs privés de recevoir, en lien avec un mandat de prestations, une quote-part de la redevance. En 2008, l'Office fédéral de la communication (OFCOM) octroya une concession à 41 radios locales et régionales et à 13 chaînes de télévision régionales. Leuenberger répondit en partie favorablement aux exigences néolibérales de dérégulation d'entreprises publiques telles que les Postes, téléphones et télégraphes (PTT) et les Chemins de fer fédéraux (CFF). Les PTT furent dissous en 1998. La Poste conserva la distribution des lettres et des colis ainsi que le trafic des paiements; parallèlement la distribution des colis fut ouverte aux prestataires privés. Les télécommunications furent prises en charge par la nouvelle société Swisscom SA; à partir de 2003, les opérateurs privés furent également admis sur le marché. Toujours en 1998, les CFF passèrent du statut de régie fédérale à celui de société anonyme de droit public. De nouvelles réglementations favorisèrent la concurrence dans le transport de voyageuses et voyageurs par rail et par route et, dans le trafic marchandises, la création de CFF Cargo (1999) ainsi que l'admission de fournisseurs de prestations étrangers. La Confédération se réserva une participation majoritaire dans Swisscom et les CFF, qui contrôlent CFF Cargo.
Elu au Conseil fédéral en tant que représentant d'une génération urbaine marquée par le mouvement de 1968, Leuenberger mena une politique pragmatique face aux exigences néolibérales, à la mise en réseau européenne, à la globalisation et à la critique écologique, tout en gardant à l'esprit les intérêts des personnes socialement défavorisées. Son interprétation de la notion de service public, selon laquelle les prestations de base peuvent également être fournies par des privés sous le contrôle de l'Etat, fut critiquée au sein de la gauche, y compris dans son propre parti. Les partis bourgeois l'accusèrent par contre de mener une politique de libéralisation trop timide; en conséquence, après son départ du Conseil fédéral en 2010, ils reprirent le DETEC au PS. Après sa démission, Leuenberger fut membre du conseil de la Fondation Swiss Aviation, qui devait assurer l'autonomie de Swiss au sein du groupe Lufthansa (2010-2015). Sa présence dans le conseil d'administration du groupe de construction Implenia (2011-2013), société participant à la réalisation de la NLFA, lui valut des critiques. Il fut ensuite administrateur de Susi Partners, une entreprise s'occupant d'investissements durables (2013-2016). De 2015 à 2021, il anima la causerie mensuelle de la «Bernhard Matinée» au Bernhard Theater de Zurich.
Pour sa contribution à la politique européenne des transports, l'Université d'Udine lui décerna en 2001 le titre de docteur honoris causa; la Communauté européenne du rail (CER) et l'Union des industries ferroviaires européennes (Unife) lui remirent en 2009 le European Railway Award. Brillant orateur, Leuenberger reçut en 2003 le prix Cicero pour le meilleur discours politique de l'année dans l'espace germanophone.