Football

Depuis le début du XXe siècle, le football est le sport d’équipe le plus populaire et le plus médiatisé du globe. Puisant leur origine dans des jeux de balle traditionnels du Moyen Age et des Temps modernes, les règles de plusieurs variantes furent établies au XIXe siècle, parmi lesquelles celle appelée Association Football, codifiée à Londres en 1863, connut un succès mondial et s'imposa rapidement en Suisse comme sport masculin. L'engouement précoce pour le football dans le pays est lié aux étroites relations économiques et culturelles entre la Suisse et la Grande-Bretagne, deux Etats libéraux industrialisés. Au tournant du XXe siècle déjà, des femmes pratiquaient le football dans les public schools anglaises. En Angleterre et en France, la Première Guerre mondiale entraîna l’essor rapide des équipes féminines de football, où des joueuses issues des classes moyennes et ouvrières organisaient des matches de bienfaisance à des fins caritatives et pour remplacer les hommes mobilisés. Les premières activités footballistiques féminines en Suisse remontent aux années 1920, mais ce n'est qu'à partir de la fin des années 1960 que les femmes commencèrent à revendiquer leur place dans ce sport. Les personnes sourdes, pionnières du sport handicap, s’organisèrent quant à elles dès les années 1910.

Public captivé par le football. Photographie tirée d’un reportage de l'agence ATP-Bilderdienst lors de la rencontre internationale Suisse-Hongrie à Genève le 16 mai 1943 (Ringier Bildarchiv, ATP) © Staatsarchiv Aargau, Aarau / Ringier Bildarchiv.
Public captivé par le football. Photographie tirée d’un reportage de l'agence ATP-Bilderdienst lors de la rencontre internationale Suisse-Hongrie à Genève le 16 mai 1943 (Ringier Bildarchiv, ATP) © Staatsarchiv Aargau, Aarau / Ringier Bildarchiv.

En Suisse, l'histoire du football s'est longtemps écrite au travers des publications commémoratives des fédérations et des clubs (fédérations sportives), enrichie aussi par la culture mémorielle des supportrices et supporters. Certains clubs créèrent des musées et valorisèrent leurs archives dès les années 2000. Alors que le football fait l'objet de recherches historiques, sociales et culturelles dans les pays anglo-saxons depuis les années 1970, cette démarche ne fut adoptée en Suisse qu’à partir des années 1990. Les thèmes de recherche académique se concentrent notamment sur le phénomène de transfert culturel vers 1900, les processus de professionnalisation depuis les années 1920, le rôle du football dans la défense spirituelle, le football féminin, la construction de stades, le développement de la culture supportériste ainsi que les interactions entre football et migration. Le football joué par des personnes en situation de handicap est encore peu étudié. Cet article a pour objet l’évolution du jeu pratiqué en Suisse selon l’Association Football. Les disciplines moins répandues issues de celle-ci (football en salle, futsal, beach soccer), ainsi que les variantes du football obéissant à d’autres règles (rugby, football américain) ne sont pas prises en compte.

Le football masculin

Les premiers matches de football, disputés sous différentes formes, sont attestés en Suisse dès les années 1850-1860 sur les rives du Léman. Certaines sources témoignent même de l’existence d’activités similaires à Genève dans la première moitié du XIXe siècle. Les principaux vecteurs du transfert culturel depuis la Grande-Bretagne furent des internats, inspirés des public schools anglaises, avec un corps enseignant et des élèves internationaux (écoles privées), des étudiants et des hommes d’affaires britanniques établis en Suisse, ainsi que des Suisses formés dans des écoles d’outre-Manche. Les premiers clubs de football, avec une majorité de joueurs anglo-saxons, virent le jour dans les années 1870. A partir des années 1880, ce sport fit son entrée dans les programmes d’éducation physique pour les garçons du primaire et du secondaire; il fut toutefois confronté pendant des décennies à des réserves de la part des milieux pédagogiques. Dans les villes, le nombre de nouvelles équipes (souvent éphémères) augmenta. En 1895, 12 clubs fondèrent l’Association suisse de football (ASF; nommée Association suisse de football et d’athlétisme, ASFA, entre 1919 et 1958, puis à nouveau ASF).

Photographie du Grasshopper Club Zürich, champion de Suisse en 1900, réalisée par l’atelier de Johannes Meiner à Zurich (Baugeschichtliches Archiv der Stadt Zürich, MEI 9839).
Photographie du Grasshopper Club Zürich, champion de Suisse en 1900, réalisée par l’atelier de Johannes Meiner à Zurich (Baugeschichtliches Archiv der Stadt Zürich, MEI 9839). […]

Le premier championnat suisse, non officiel, fut remporté en 1898 par le Grasshopper Club Zürich. L’année suivante, l’Anglo-American Club Zürich, composé principalement d’étudiants en chimie anglo-saxons de l’Ecole polytechnique fédérale, décrocha le premier titre officiel. Au tournant du siècle, on vit apparaître les signes avant-coureurs d’une culture supporteriste, comme les lampions aux couleurs de l’équipe et la célébration des victoires. Seules quelques centaines de personnes assistaient aux matches de championnat et quelques milliers aux rencontres de la phase finale. Les premières parties d'une sélection suisse (composée majoritairement de joueurs étrangers) contre des formations des pays voisins furent organisées à partir de 1897, l’équipe nationale disputa son premier match international officiel en 1905. Certains clubs participèrent également à des rencontres internationales et à des tournois à l’étranger, comme le FC Winterthur (1909) et le FC Zürich (1911) au Sir Thomas Lipton Trophy à Turin. La Confédération fut en outre un carrefour pour la diffusion du football: des fondateurs de clubs helvétiques et des pionniers étrangers, qui avaient découvert ce sport dans des écoles suisses, contribuèrent à sa propagation en Italie, en France, en Allemagne, en Espagne, en Russie, dans le sud-est de l’Europe, en Afrique du Nord et au Brésil. Hans Gamper, de Winterthour, fonda par exemple le FC Barcelone (1899) et Walther Bensemann, qui avait effectué sa scolarité à Montreux, fut à l’origine de plusieurs clubs allemands ainsi que du magazine de football Kicker (1920). En 1904, la Suisse cofonda avec six autres pays d’Europe continentale la Fédération internationale de football association (Fifa). Son siège se trouve à Zurich depuis 1932 et elle est présidée par des Suisses depuis 1998 (Joseph Blatter, 1998-2015; Gianni Infantino dès 2016). La Suisse a également participé à la création de l'Union des associations européennes de football (Uefa) en 1954 à Bâle. Son siège était à Berne dès 1959, avant d'être transféré à Nyon en 1995. Le Suisse Gustav Wiederkehr en fut le président de 1962 à 1972.

Une expansion géographique et sociale du football masculin s’amorça tôt en Suisse. Après le tournant du siècle, des équipes virent également le jour dans les régions rurales. Si l’ASF comptait 26 clubs en 1902, elle en totalisait déjà 115 en 1914, avec quelques 15'000 membres. Jusqu’en 1918, presque toutes les régions du pays furent représentées dans le championnat de première division, à l’exception du sud et du sud-est de la Suisse (le FC Chiasso fit toutefois partie dès 1914-1915 de la première catégorie italienne). Pratiqué à l’origine surtout par des commerçants et des universitaires, le football se diffusa ensuite parmi les hommes d'autres couches sociales et, à partir de 1900 environ, aussi au sein de la classe ouvrière (associations ouvrières). Plusieurs matches furent disputés lors de l’Exposition nationale de 1914. Pendant la Première Guerre mondiale, les compétitions nationales et internationales se poursuivirent et le football fut intégré dans les activités de l’armée.

Dans l’entre-deux-guerres, la jeunesse masculine fut gagnée par une «fièvre du football» décriée à maintes reprises par les milieux pédagogiques. Bien que le handball fût promu comme alternative dans les écoles, le football non organisé, pratiqué par les garçons dans les rues, les places et les prés depuis les années 1880, gagna en popularité. La notoriété de cette discipline sportive connut un nouvel essor lorsque la Suisse atteignit la finale du tournoi olympique en 1924 (olympisme). Le football organisé se développa également: en 1945, l’ASFA comptait dans ses rangs 80'000 joueurs actifs. A cela s’ajoutèrent les activités concurrentes proposées par la Fédération ouvrière suisse de gymnastique et de sport (Satus), qui lança son propre championnat en 1921, par la Fédération catholique suisse de gymnastique et de sport et par l’éphémère association sportive communiste Rotsport-Verband (gymnastique). Le football d’entreprise, après des débuts régionaux dans l’entre-deux-guerres, désigna à partir de 1943 un champion national et connut son apogée dans l’immédiat après-guerre (politique sociale d’entreprise). Représenté par les sections footballistiques de différentes sociétés de gymnastique juives, par le FC Hakoah Zürich (fondé en 1922) et, à partir de 1950, par des sélections suisses participant aux tournois internationaux du mouvement Maccabi, le football juif fut intégré dans l’ASFA.

Parallèlement, le football devint un élément de la nouvelle culture de masse. Sa médiatisation s’accrut avec l’apparition de la photographie de presse, de la radio, du Ciné-Journal suisse et de la presse sportive spécialisée. Les joueurs devinrent des supports publicitaires (publicité). Douze stades d’une capacité de plus de 10'000 personnes chacun furent construits entre 1922 et 1934. En 1925, l’ASFA lança une deuxième compétition nationale, la Swiss Cup (plus tard Coupe Suisse). Une ligue nationale fut créée en 1931 avec des joueurs parfois professionnels. Le public ne fut toutefois pas au rendez-vous et le professionnalisme fut critiqué par divers cercles politiques et sportifs. En 1941, en raison notamment de problèmes financiers rencontrés par les clubs, l’ASFA interdit totalement le recours à des footballeurs professionnels.

Berne: Match de football: Suisse Allemagne. Ciné-Journal suisse, édition n° 39 du 25 avril 1941, sous-titrage postérieur (Archives fédérales suisses, J2.143#1996/386#39-1#5*) © Cinémathèque suisse, Penthaz, et Archives fédérales suisses, Berne.
Berne: Match de football: Suisse Allemagne. Ciné-Journal suisse, édition n° 39 du 25 avril 1941, sous-titrage postérieur (Archives fédérales suisses, J2.143#1996/386#39-1#5*) © Cinémathèque suisse, Penthaz, et Archives fédérales suisses, Berne. […]

La victoire de la Suisse contre la «Grande Allemagne» (national-socialisme) lors de la Coupe du monde de 1938, qui déclencha une euphorie générale dans le pays, fit du football, sport masculin, un élément de la défense spirituelle. Des matches de gala entre l’équipe nationale suisse et des sélections des pays voisins, ainsi qu’un tournoi international juniors, furent organisés lors de l’Exposition nationale de 1939. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les activités se poursuivirent au niveau national et, jusqu’en 1943, international. Des rencontres attirant un large public opposèrent des sélections d’unités militaires. Quatre matches amicaux disputés contre l’Allemagne en 1941 et 1942, auxquels assistèrent des personnalités politiques, militaires et diplomatiques des deux pays, firent sensation.

Le retour à l’amateurisme après 1941, suivi d’une timide transition vers le semi-professionnalisme à la fin des années 1950, entraîna le déclin du football suisse de haut niveau sur la scène internationale; l’équipe nationale réalisa néanmoins encore de bonnes performances lors des Coupes du monde au Brésil (1950) et à domicile (1954). Malgré la symbiose entre le football et la télévision, qui stimula la commercialisation de ce sport, et le passage au professionnalisme intégral à la fin des années 1970, la Suisse ne réussit jamais à se qualifier dans les années 1970 et 1980 pour une phase finale de la Coupe du monde ou du championnat d’Europe des nations. Même dans les compétitions européennes réservées aux clubs, disputées à partir de 1955, les équipes suisses furent souvent très vite éliminées. Seules exceptions les demi-finales atteintes par les Young Boys (1959) et le FC Zürich (1964 et 1977) en Coupe des champions et par le Grasshopper Club (1978) en Coupe de l’Uefa. Pendant ces années, l’affluence aux matches de championnat resta modeste et l’infrastructure des stades devint obsolète.

Scène de la finale de la Coupe Suisse entre le FC Sion et le Servette FC, stade du Wankdorf à Berne, lundi de Pentecôte, 19 mai 1986 (KEYSTONE, image 29180245).
Scène de la finale de la Coupe Suisse entre le FC Sion et le Servette FC, stade du Wankdorf à Berne, lundi de Pentecôte, 19 mai 1986 (KEYSTONE, image 29180245). […]

La culture supporteriste continua néanmoins à se développer. Des éléments britanniques, comme les chants, firent leur apparition autour des terrains suisses et les sympathisants de diverses équipes s’organisèrent en fan-clubs et en groupes de soutien. En 1951, des débordements furent enregistrés lors de la finale de la Coupe Suisse. Dès la fin des années 1960, l’utilisation d’engins pyrotechniques (explosifs) se fit de plus en plus fréquente, ainsi que les envahissements de terrain par le public, ce qui conduisit dans les années 1970 à l’installation de clôtures autour des pelouses. La vague internationale du hooliganisme, influencé parfois par l’extrême-droite, atteignit la Suisse au cours de la décennie suivante. La mutation sociale de l’après-guerre se manifesta aussi dans le football par la création de nombreux clubs reflétant la forte immigration qui caractérisa la période de haute conjoncture. Leur date de fondation permet de retracer la chronologie et l’origine géographique des différentes vagues d’immigration qui se sont succédé en Suisse. Ce processus se poursuivit au XXIe siècle, si bien que dans les régions urbaines près d’un tiers des clubs furent fondés par des immigrés. Le football féminin commença aussi à s’imposer vers 1970.

Les joueurs de l’équipe nationale suisse Manuel Akanji, Ricardo Rodríguez, Breel Embolo et Dan Ndoye (de gauche à droite) avec leurs escort kids avant le match de groupe contre l’Allemagne à l’Euro 2024, Francfort-sur-le-Main, 23 juin 2024 (KEYSTONE / Peter Klaunzer, image 617457307).
Les joueurs de l’équipe nationale suisse Manuel Akanji, Ricardo Rodríguez, Breel Embolo et Dan Ndoye (de gauche à droite) avec leurs escort kids avant le match de groupe contre l’Allemagne à l’Euro 2024, Francfort-sur-le-Main, 23 juin 2024 (KEYSTONE / Peter Klaunzer, image 617457307). […]

En phase avec la tendance internationale, la commercialisation du football masculin suisse connut une nouvelle montée en puissance dès les années 1990. En même temps, les performances de l’équipe nationale s’améliorèrent. En 1994, la Suisse se qualifia pour la première fois depuis 1966 pour une phase finale de la Coupe du monde; dès lors, elle participa régulièrement aux mondiaux et aux championnats d’Europe des nations. Des joueurs issus de la migration (étrangers) furent souvent les artisans de ces succès et devinrent l’emblème d’une politique d’intégration réussie. Suivant des exemples du passé, quelques clubs de haut niveau furent transformés en sociétés anonymes. Au début du XXIe siècle, les budgets annuels dépassèrent parfois les 60 millions de francs. Parallèlement, les problèmes économiques se multiplièrent en raison des montants excessifs des transferts, des salaires trop élevés des joueurs et des spéculations financières. Ils culminèrent avec les faillites spectaculaires de clubs de tradition comme Servette en 2005 et Neuchâtel Xamax en 2012. L’infrastructure des stades fut modernisée en vue du championnat d’Europe de football qui se déroula en 2008 en Suisse et en Autriche. La culture internationale des supportrices et supporters ultras, qui soutiennent leur équipe avec des chorégraphies élaborées tout en critiquant la commercialisation et la perte d’identité des clubs de football, se manifesta également sur les pelouses suisses à partir des années 1990. En même temps, les problèmes liés au hooliganisme restèrent d’actualité et atteignirent leur paroxysme avec des débordements violents à Bâle en 2006 et à Zurich en 2011, ainsi qu’avec le scandale suscité par des ultras lucernois antisémites à Saint-Gall en 2015.

En 2022, l’ASF comptait 325'000 membres (dont 12% de femmes), ce qui en faisait la plus grande fédération sportive de Suisse. La popularité du football est également attestée par le fait que différents groupes de pression s’organisèrent en dehors des structures officielles et furent parfois à l’origine de leurs propres compétitions internationales: citons les tournois LGBT+ disputés lors des Eurogames à Zurich (2000) et Berne (2023) ou l’Europeada, un championnat de football pour les minorités linguistiques organisé pour la première fois en 2008 dans les Grisons.

Le football féminin

En Suisse, les prémices du football féminin se situent à Genève, à l’instar de son pendant masculin, où des jeunes femmes issues de la classe supérieure et passionnées de sport fondèrent en 1923 le club Les Sportives. En 1927, une équipe de filles existait au sein du FC Young Fellows Zürich. Des équipes féminines participèrent également à des tournois de village à Adliswil entre 1939 et 1950. Par la suite, jusqu'aux années 1960, aucune trace d'activités footballistiques féminines n'est attestée dans des sources écrites. Si l’ASF n'interdisait pas le football féminin, contrairement aux fédérations nationales anglaise (1921-1971) ou allemande (1955-1970), elle entravait sa pratique sous prétexte que ce sport d’équipe très physique était peu féminin, inesthétique et médicalement nocif pour les filles et les femmes (rôles des sexes). Alors que les sports exercés par la grande bourgeoisie et l'aristocratie, tels le tennis, le golf et l'équitation, étaient déjà accessibles aux femmes à la fin du XIXe siècle, l’histoire de ces dernières dans le football est jalonnée de tracasseries, malveillances et marginalisations. Traditionnellement connoté comme un sport masculin – à l’image du rugby, hockey sur glace, bobsleigh ou saut à ski (sports d'hiver) –, le football s’ouvrit aux femmes plus tardivement que d'autres activités sportives, comme l'escrime, la natation, l'athlétisme ou le ski. Les clubs et les fédérations, marqués par une culture de clan axée sur la virilité, entretinrent l'image masculine du football, en concomitance avec les médias et les supportrices et supporters, imprégnés depuis longtemps de culture machiste.

Au début des années 1960, popularisé par les Grümpelturniere (tournois de loisirs, hors compétition officielle) et grâce aux mutations sociales qui s’amorçaient, le football se transforma en un sport de masse. En 1963, Monika et Silvia Stahel ainsi que Theres Rüsch fondèrent à Murgenthal le FC Goitschel, le premier club de football féminin de Suisse. Par ailleurs, l'ASF forma les deux sœurs et leurs coéquipières à l’arbitrage des matchs officiels des juniors. En 1965, la Valaisanne Madeleine Boll fut la première fille au monde à obtenir une licence de football d'une fédération nationale, ce qui suscita également un grand écho médiatique au niveau international. L'ASF cependant la lui retira peu de temps après, arguant qu'il s'agissait d'une erreur; de facto, cela revenait à interdire aux femmes de jouer au football.

L’équipe du Damenfussball-Club (DFC) Zürich, photographiée en juillet 1971 devant le stade du Letzigrund à Zurich (KEYSTONE / Photopress / Eugen Suter, image 334848912).
L’équipe du Damenfussball-Club (DFC) Zürich, photographiée en juillet 1971 devant le stade du Letzigrund à Zurich (KEYSTONE / Photopress / Eugen Suter, image 334848912). […]

A la fin des années 1960, des étapes décisives furent franchies en matière d'institutionnalisation. En 1968, le DFC Zürich (Damenfussball-Club, littéralement «club de football des dames») fut le premier club de football féminin à voir le jour sous forme d’une association au sens de l'article 60 du Code civil suisse. En 1969, les clubs de Suisse romande se regroupèrent au sein de l'Association romande de football féminin (ARFF). En 1970, la Ligue suisse de football féminin (LSFF) fut fondée à Berne en tant que faîtière nationale (18 clubs en 1970-1972, 34 en 1973-1974, plus de 60 au début des années 1980, 186 équipes adultes à sa suppression en 1993, soit un total de 3659 joueuses licenciées). La LSFF était affiliée à l’ASF depuis le début, mais n'était pas intégrée dans ses structures. L’ASF reconnaissait ainsi le football féminin, tout en le contrôlant. Seuls les clubs féminins ayant rejoint un club masculin organisé au sein de l’ASF étaient autorisés à adhérer à la LSFF; la création de clubs de football indépendants n'était désormais plus possible.

La LSFF avait ouvert la voie pour la tenue de matches réguliers. Le premier championnat suisse en 1970-1971 avec 18 équipes fut remporté par le DFC Aarau. Lors de la saison 1975-1976, les footballeuses jouèrent pour la première fois pour la Coupe Suisse, remportée par le FC Sion. En 1970 également, une sélection de joueuses suisses participa au premier championnat du monde non officiel de football féminin à Salerne. En 1972, l'équipe nationale suisse fit ses débuts officiels à Bâle contre la France. Le développement du football féminin coïncida avec l'introduction du suffrage féminin en 1971 et avec des avancées en matière d'égalité des sexes, comme l'article constitutionnel adopté en 1970 concernant l'encouragement de la gymnastique et des sports, qui rendit obligatoire la pratique du sport à l'école pour les garçons et les filles. Les footballeuses ne furent toutefois guère perçues comme des représentantes du mouvement des femmes. Jusque dans les années 1990, les médias tenaient généralement à leur sujet des propos dénigrants et sexistes, voire hostiles envers l’homosexualité, que ce soit par le verbe ou par l’image. Entre 1980 et 1988, les footballeuses suisses ne remportèrent que six des 38 matchs internationaux et ne purent renouer avec leurs succès passés.

Premier match international officiel de l'équipe nationale le 7 mai 1972 au stade Rankhof de Bâle. A gauche: les joueuses suisses menées par la capitaine Madeleine Boll avant le match contre la France; à droite: une action de Cathy Moser (KEYSTONE/Photopress, images 310166349 et 115065050).
Premier match international officiel de l'équipe nationale le 7 mai 1972 au stade Rankhof de Bâle. A gauche: les joueuses suisses menées par la capitaine Madeleine Boll avant le match contre la France; à droite: une action de Cathy Moser (KEYSTONE/Photopress, images 310166349 et 115065050).

Les années 1990 furent caractérisées par un succès planétaire du football féminin, érigé pour la première fois en sport olympique aux Jeux d’Atlanta en 1996. En Suisse, la LSFF et l'ASF décidèrent en 1993 la dissolution de la ligue de football féminin et l’intégration complète de la discipline dans les associations régionales de l'ASF; la désignation «club de football des dames» (DFC) pour les équipes féminines fut supprimée. Les filles furent autorisées dès 1995 à jouer avec des garçons dans des équipes mixtes dans tous les clubs de l’ASF. La durée des matchs et la taille du ballon furent alignées sur les règles du football masculin. Dans le même temps, les efforts entrepris par les clubs féminins pour être autonomes furent contrecarrés par les difficultés financières et ils s’affilièrent rapidement à des clubs professionnels masculins. Le club le plus performant fut le FFC Zürich Seebach qui, grâce à l’utilisation des infrastructures en synergie avec le FC Zürich, domina le championnat suisse à partir de 2009 sous le nom de FC Zürich Frauen. Les engagements en faveur du football féminin étaient bénévoles jusqu'en 2002, année où l'ASF créa pour la première fois un poste rémunéré. En 2004, l’association encouragea sérieusement la relève féminine en inaugurant le premier centre de formation pour footballeuses à Huttwil (à Bienne dès 2013).

Victoire des Suissesses sur le score de 10-1 dans le match de groupe face à l’Equateur lors de la Coupe du monde féminine au Canada en 2015. Reportage de l’émission Sport dimanche de la télévision suisse romande du 14 juin 2015 (Radio Télévision Suisse, Genève, Play RTS).
Victoire des Suissesses sur le score de 10-1 dans le match de groupe face à l’Equateur lors de la Coupe du monde féminine au Canada en 2015. Reportage de l’émission Sport dimanche de la télévision suisse romande du 14 juin 2015 (Radio Télévision Suisse, Genève, Play RTS). […]

Les qualifications régulières de l'équipe nationale suisse pour les phases finales des championnats du monde ou d'Europe initièrent dès 2015 une phase de consolidation en termes de sport et de politique d'égalité. Elle s'accompagna d'une attention accrue de la part des médias et d'une plus grande commercialisation. Des femmes siégèrent pour la première fois dans les organes centraux de l’ASF, en 2020 à la direction (Tatjana Haenni) et en 2024 au comité central. Entre 2022 et 2024, certaines primes pour les équipes nationales masculine et féminine ainsi que la rémunération des recettes publicitaires des joueurs et joueuses furent harmonisées (égalité entre femmes et hommes). En 2024, l'équipe nationale féminine battit des records d'affluence en Suisse avec plus de 14'000, respectivement 17’000 supportrices et supporters lors de matches amicaux à Zurich.

Demi-finale de la Ligue des champions: la défenseuse suisse Ana-Maria Crnogorcevic (à gauche) en action pour le FC Barcelone contre le VfL Wolfsburg, stade Camp Nou, Barcelone, 22 avril 2022 (KEYSTONE / AFP / Lluis Gene, image 517224047).
Demi-finale de la Ligue des champions: la défenseuse suisse Ana-Maria Crnogorcevic (à gauche) en action pour le FC Barcelone contre le VfL Wolfsburg, stade Camp Nou, Barcelone, 22 avril 2022 (KEYSTONE / AFP / Lluis Gene, image 517224047). […]

Malgré ces succès, le football féminin resta longtemps prisonnier d'un cercle vicieux économique: la faible fréquentation des matches de la plus haute ligue (seulement quelques centaines de supportrices et supporters dans les stades), diffusés sur la télévision suisse depuis 2020, entraîna une baisse des revenus provenant des sponsors et de la billetterie, ainsi que des possibilités limitées de marchandisation, ce qui à son tour nuisit à la marge de manœuvre financière et à l'attention du public. Le manque d'argent eut également un impact sur les infrastructures, les conditions d'entraînement et de déplacement, affectant de la sorte les performances et le succès. La plupart des joueuses professionnelles gagnent encore peu et doivent avoir un emploi rémunéré en dehors du football ou être en formation. Depuis les années 2020, on observe de lents changements dans la médecine du football, qui, comme la médecine du sport dans son ensemble, est caractérisée par un biais masculin et axée sur le corps masculin, induisant entre autres un risque accru de blessures pour les joueuses (méthodes d'entraînement et équipements inadaptés). Avec l'Euro féminin 2025 organisé par l'Uefa, l'ASF a réussi pour la première fois à faire venir en Suisse un événement majeur de ce sport international, qui le place sous les projecteurs médiatiques et donne un nouvel élan au football féminin.

Le football pour personnes en situation de handicap

Le football pour personnes en situation de handicap se développa en dehors du radar médiatique. Comme dans le sport-handicap en général, les personnes atteintes de surdité montrèrent la voie: le Taubstummen-Fussballklub Zürich fut fondé en 1916 déjà. Au sein de la Fédération sportive des sourds de Suisse créée en 1930 (Swiss Deaf Sport dès 2020), le football fut pratiqué dès le début, même au niveau international, avec notamment la participation aux Jeux internationaux silencieux de 1931. Des équipes de sourds jouèrent parfois dans les ligues inférieures de l’ASF. La première Coupe Suisse de football masculin pour sourds eut lieu en 1973; à partir des années 1970, les femmes sourdes eurent leurs propres équipes.

Scène de jeu avec le Taubstummen-Fussballklub Zürich (équipe de personnes atteintes de surdimutité), vers 1916. Image tirée de l’album photographique Bilder aus der Taubstummenwelt Schweiz & Ausland réalisé par Eugen Sutermeister (Archives sociales suisses, Zurich, F_5153-Fx-03-042).
Scène de jeu avec le Taubstummen-Fussballklub Zürich (équipe de personnes atteintes de surdimutité), vers 1916. Image tirée de l’album photographique Bilder aus der Taubstummenwelt Schweiz & Ausland réalisé par Eugen Sutermeister (Archives sociales suisses, Zurich, F_5153-Fx-03-042).

Depuis les années 1950, le sport pour d’autres formes de handicap s’organisa également. L’Association suisse pour le sport des invalides (ASSI, Fédération suisse de sport handicap en 1977, Plusport dès 2000) et la Fédération des groupes sportifs de l’Association suisse des invalides (ASI, Procap Sport dès 2002) virent le jour en 1960, année des premiers Jeux paralympiques. La fondation Special Olympics Switzerland pour les personnes en situation de handicap mental et de polyhandicap fut créée en 1995. Avec plus de 800 joueuses et joueurs en 2023, le football représente la discipline principale au sein de l’association et des équipes helvétiques ont participé à plusieurs reprises aux Jeux olympiques spéciaux. En revanche, aucune participation suisse n’a encore été enregistrée dans les différentes catégories du football paralympique masculin, présent aux Jeux depuis 1984. La Suisse est toutefois membre des fédérations internationales de football en fauteuil roulant (des variantes de cette discipline existent depuis les années 1970) et de football pour personnes atteintes de paralysie cérébrale. La Swiss Powerchair Football Association (fauteuils roulants électriques) fut fondée en 2011 et ses athlètes participèrent la même année à la Coupe du monde. Dans le domaine du cécifoot (personnes malvoyantes ou non-voyantes), une première équipe (mixte) fut créée en 2018 à Macolin à l’initiative de Plusport et en partenariat avec l’ASF. Un tournoi international de football pour personnes amputées eut lieu à Saint-Gall en 2024. Le Sitzfussball (football assis), pratiqué en Allemagne et en Autriche, n’est pas présent en Suisse.

Les joueuses et joueurs de la Brunau Stiftung Zürich Blau et du FC Appenzell posent pour une photo de groupe après leur match lors de l’International Helvetia Cup, un tournoi de football pour l’inclusion rassemblant des personnes en situation ou non de handicap, le 9 août 2024 au stade Gründenmoos à Saint-Gall (KEYSTONE / Gian Ehrenzeller, image 623625789).
Les joueuses et joueurs de la Brunau Stiftung Zürich Blau et du FC Appenzell posent pour une photo de groupe après leur match lors de l’International Helvetia Cup, un tournoi de football pour l’inclusion rassemblant des personnes en situation ou non de handicap, le 9 août 2024 au stade Gründenmoos à Saint-Gall (KEYSTONE / Gian Ehrenzeller, image 623625789).

Sources et bibliographie

  • Ruoff, Paul: Le livre d'or du football suisse, 1953.
  • Ducret, Jacques: Le livre d'or du football suisse, 1994.
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  • Schuler, Martin: «La dynamique géographique du sport d’élite suisse: le cas du football», in: Jaccoud, Christophe; Tissot, Laurent; Pedrazzini, Yves (éd.): Sports en Suisse. Traditions, transitions et transformations, 2000, pp. 125-149.
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Liens

Suggestion de citation

Christian Koller; Marianne Meier: "Football", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 16.06.2025, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/048188/2025-06-16/, consulté le 16.07.2025.