Famille d'artistes et artisans (maestranze) originaire du val Muggio, présente sur de nombreux chantiers en Italie et dans le reste de l'Europe entre le XVIe et le XVIIIe siècle.
Les Cantoni de Cabbio – qui ont fait l'objet, avec ceux de Muggio, de recherches approfondies et dont il est question ici – descendaient des Agustoni, dont le nom de famille est très répandu dans le val Muggio. Les deux appellations coexistèrent souvent au cours du XVIe et dans les documents du début du XVIIe siècle. La formule de Augustonibus vocati Canton céda progressivement la place à la forme Cantone, qui devint ensuite Cantoni. L'origine du surnom Cantone est inconnue; ce qui est certain, c'est qu'il ne dérivait pas de celui d'un père ou d'une épouse, comme c'était fréquemment le cas. La forme Cantone apparaît déjà dans des documents génois (actes notariés et sources écrites de la main même de membres de la famille).
Les mentions les plus anciennes datent du XVIe siècle et concernent Taddeo (avant 1544) et Simone Agustoni, qui pourraient être des frères ou des cousins. Leurs descendants donnèrent naissance à deux lignées aux destinées très différentes. Ceux de Simone s'installèrent définitivement à Gênes, tandis que ceux de Taddeo, qui furent les premiers à contribuer à la renommée de la famille Cantoni dans la capitale de la Ligurie, conservèrent des liens avec leur pays d'origine. Parmi eux, Bernardo Cantoni (1505-1580 environ), connu également sous le nom de Bernardino da Cabio, devint célèbre en tant qu'architecte en chef de la ville de Gênes («architetto camerale per i Padri del Comune»), fonction qu'il exerça à partir de 1531 et presque jusqu'à sa mort. A ce titre, il conçut et réalisa la Strada Nuova (Rue neuve) et le luxueux quartier résidentiel adjacent (dès 1551), fut responsable du chantier de la basilique Notre-Dame-de-l'Assomption à Carignano (1556-1567), construite d'après les plans de Galeazzo Alessi, architecte originaire de Pérouse, et s'occupa de nombreux autres édifices publics et privés. Tout aussi actifs furent ses frères Antonio et Pietro (mort en Espagne en 1571), ses cousins Agostino et Giorgio, ses neveux Taddeo et Battista, ainsi que les fils de ce dernier, Pier Francesco et Bernardo Cantoni, architectes en chef de la ville de Gênes respectivement de 1625 à 1630 et de 1647 à 1653. Grâce à un contexte économique favorable («siècle des Génois»), ils eurent l'occasion de travailler pour une clientèle noble au cours du XVIe et des premières décennies du XVIIe siècle. Ensuite, ils s'adjugèrent d'importants marchés publics (construction de la nouvelle jetée, des murailles, du fort sur le mont Peralto, de tours de garde sur la côte et en Corse).
En même temps, au sein des différentes branches familiales émergea une stratégie basée sur le plurilocalisme. Certains pratiquèrent l'émigration temporaire afin de maintenir le feu à Cabbio. Cette tâche était souvent confiée aux femmes de la famille qui parfois, comme Caterina Cantoni, deuxième épouse de Pietro Cantoni, ou Anna Cantoni, suivirent néanmoins leurs maris dans l'émigration. D'autres préférèrent s'allier à une Ligurienne pour mieux s'intégrer dans la vie de Gênes. D'autres encore, à la suite d'une conjoncture économique moins favorable et surtout pour échapper à l'épidémie de peste de 1656-1657, se réfugièrent dans les vallées ou se dirigèrent vers d'autres destinations, comme la branche qui s'installa dans la région de Monaco. Les stratégies matrimoniales, instrument d'importance capitale pour assurer le succès professionnel de la famille et défendre l'intégrité de son patrimoine, se greffaient sur ce jeu d'absences et de présences. Les unions avec d'autres lignées d'artistes et artisans (maestranze) furent donc privilégiées et on eut parfois recours aux mariages entre parents, comme dans le cas des frères Simone et Gaetano (1745-1827) Cantoni qui épousèrent les sœurs Maria Giuseppa et Anna Cantoni (déjà mentionnée), leurs nièces.
Au sein de cette famille dispersée, le feu fut entretenu à Cabbio par Taddeo Cantoni (1617-1662) et plus tard par son fils aîné, le susmentionné Pietro Cantoni. Par ses mariages, ce dernier donna naissance à deux branches distinctes: celle des Cantoni ou Cantoni Grigo de Muggio, maîtres d'œuvre, architectes et ingénieurs, parmi lesquels se distinguèrent les précités Simone et Gaetano Cantoni, et celle des Cantoni de Cabbio, propriétaires d'un important atelier de stucateurs. Au cours du XVIIIe siècle, Francesco Maria Cantoni et ses fils Pietro Matteo (1724-1798), Rocco (1731-1818), Giacomo (1734-1804) et Giovanni Battista (1736-1789), tous stucateurs, commencèrent en outre à diversifier leurs destinations.
Pietro Matteo et Rocco Cantoni, avec leurs compatriotes et apprentis Bartolomeo Bernasconi, Giuseppe Petondi, Pietro Bossi, Pietro Chiesa et Carlo Fiandra, consolidèrent les relations avec leurs clients en achevant les travaux commencés par leur père Francesco Maria Cantoni dans des églises et oratoires (église du Gesù à Gênes, 1725-1758; église Saint-Roch à Ognio, 1734-1759), des villas de plaisance (des Brignole Sale à Albaro, 1742-1772; des Durazzo à Cornigliano et Albissola, 1752-1773 et 1756-1760) et des hôtels particuliers (des Brignole Sale: Palazzo Rosso, 1743-1783; des Durazzo: Palazzo Reale, 1725 et à partir de 1754; des Pallavicini, 1762 et 1778-1782). Les frères cadets Giacomo et Giovanni Battista Cantoni se rendirent par contre dans les Marches et en Ombrie, où ils confirmèrent leur talent de stucateurs (église Saint-François à Montegiorgio, 1771; église Saint-Augustin à Fabriano, 1768-1769) mais aussi de concepteurs (église Saint-Augustin à Sigillo, 1788-1791).
A Gênes, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la collaboration entre les cousins Pietro Matteo, Rocco, Simone et Gaetano Cantoni, qui avait déjà fait ses preuves lors des travaux dans les résidences de la famille Brignole Sale (villa d'Albaro et Palazzo Rosso) devint encore plus étroite au Palazzo Ducale, rénové après l'incendie de 1777 selon les plans de Simone Cantoni. Dans ce chantier œuvrèrent de nombreux artistes et artisans du val Muggio, unis par des liens biologiques ou spirituels plus ou moins étroits, ainsi que par les pratiques d'apprentissage. Aux côtés des Cantoni on trouvait, chacun dans sa spécialité, Gaetano Perucchi, contremaître de Castel San Pietro, les Pozzi, peintres et décorateurs, les Petondi, maîtres dans les métiers de la construction et stucateurs, et les Bonetti, habiles maçons. Cette différenciation des tâches, dépassant le concept d'atelier et répondant à une division du travail ciblée, synthèse et épilogue d'une histoire familiale séculaire, s'interrompit faute de descendance masculine directe. A Cabbio, la famille s'éteignit avec Maria Caterina, fille unique de Rocco Cantoni. A Muggio, Simone et Gaetano n'eurent pas d'héritiers; les Cantoni qui poursuivirent la tradition familiale dans le bâtiment étaient des parents éloignés qui tentèrent sans succès leur chance en Argentine, où le secteur offrait encore des opportunités. Dans le val Muggio, le souvenir des Cantoni, comme celui d'autres familles d'artistes et artisans, s'est perpétué à travers les nombreuses traces laissées dans la région. La maison familiale de Cabbio, devenue au XXe siècle le siège du Musée ethnographique de la vallée, en est un exemple parmi d'autres.