Realta (établissement)

L'établissement de travail forcé de Realta (Domleschg) fut ouvert en 1855 par le canton des Grisons pour succéder à celui de Fürstenau. Il accueillit non seulement des femmes et des hommes issus des classes sociales inférieures (internement administratif), mais aussi des délinquants et des «malades mentaux». Au cours du XXe siècle, il se transforma en un complexe multifonctionnel (institutions de confinement); la clinique psychiatrique Asyl Realta vint s'y ajouter en 1919. Dès le début des années 1990, la psychiatrie et l'exécution des peines (prisons) furent séparées.

Realta: carte de situation 2023 (Géodonnées: Office fédéral de la statistique, Swisstopo, OpenStreetMap) © 2023 DHS.
Realta: carte de situation 2023 (Géodonnées: Office fédéral de la statistique, Swisstopo, OpenStreetMap) © 2023 DHS.

L'établissement de travail forcé créé en 1840 dans l'ancien château épiscopal de Fürstenau, fut l'une des premières institutions cantonales de ce genre en Suisse. Il pouvait accueillir une cinquantaine de femmes et d'hommes considérés comme «dépravés» ou «fainéants» qui, dans le cadre d'une politique répressive à l'égard des pauvres, devaient être «éduqués» au travail (pauvreté, assistance). Ceux-ci furent notamment utilisés comme main-d'œuvre bon marché pour la correction du Rhin (correction des eaux). Achevée à la fin du XIXe siècle, celle-ci contribua au désenclavement du Domleschg du point de vue des transports et de l'économie. Un grand nombre de gens qui ne trouvaient pas leur place dans la société (marginaux) fut de même enfermé dans l'établissement. Une section pour les «fous incurables» fut créée en 1843. Les détenues et détenus s'installèrent en 1855 dans la nouvelle «maison de correction de Realta» (Korrektionsanstalt Realta), où une plus grande surface agricole pouvait être exploitée. Egalement appelée «maison de correction et d'internement pour aliénés de Realta» (Korrektions- und Irrenverwahrungsanstalt Realta), elle fut rebaptisée «établissement d'éducation au travail de Realta» (Arbeitserziehungsanstalt Realta) en 1941. Elle pouvait aussi héberger une cinquantaine de personnes.

Dans le périmètre de la maison de correction, le canton construisit en 1919 l'Asyl Realta, un complexe offrant environ 250 places supplémentaires, principalement destiné à accueillir des personnes atteintes de maladie mentale; il fut renommé «établissement psychiatrique de Beverin» (Heil- und Pflegeanstalt Beverin) en 1951, «clinique psychiatrique de Beverin» (Psychiatrische Klinik Beverin) en 1967 et Klinik Beverin en 2002. Au cours des années 1920, l'institution engloba en outre l'asile de Rothenbrunnen, une ancienne station de cure thermale située à quelques kilomètres de là qui hébergea des personnes âgées (vieillesse) et, jusqu'au milieu des années 1930, des enfants. Au XXe siècle, les établissements de Realta abritèrent une population variée: «malades mentaux», internés administratifs (également appelés «correctionnels»), «invalides» (handicapés), «buveurs» (alcoolisme) et «colons-ouvriers» (surtout des volontaires, soumis à un régime moins strict). Les limites entre punition, traitement et réhabilitation furent longtemps floues; de nombreuses personnes internées furent privées de leur liberté personnelle dans des conditions parfois inhumaines.

A gauche: construction de l’Asyl Realta dans une photographie de 1916; à droite: internés de l’établissement d’éducation au travail de Realta, avec des «colons-ouvriers», lors de la récolte des pommes de terre, vers 1950 (Staatsarchiv Graubünden, Coire, StAGR 2015/056).
A gauche: construction de l’Asyl Realta dans une photographie de 1916; à droite: internés de l’établissement d’éducation au travail de Realta, avec des «colons-ouvriers», lors de la récolte des pommes de terre, vers 1950 (Staatsarchiv Graubünden, Coire, StAGR 2015/056). […]

Dans la seconde moitié du XXe siècle, on assista à une clarification des différents objectifs. Dans la maison de travail forcé, la section réservée aux femmes, qui avaient toujours représenté une minorité des personnes détenues (environ un quart), fut fermée en 1949. Au début des années 1960, deux nouveaux quartiers de cellules furent construits à la place de l'ancienne maison. Le «centre de détention de Realta» (Verwahrungsanstalt Realta), inauguré en 1965, fut renommé «établissement pénitentiaire de Realta» (Justizvollzugsanstalt Realta) en 2007. Dans le cadre du Concordat d'exécution des peines et mesures de Suisse orientale stipulé en 1956, l'établissement accueillit désormais des personnes condamnées, dans ces cantons, à des courtes peines privatives de liberté et à la détention pénale, tout en continuant à héberger des femmes et des hommes soumis à un internement administratif. Jusqu'à la suppression de ce dernier en 1981, on estime qu'entre 1000 et 1500 personnes (des Grisons et d'autres cantons) placées administrativement furent internées à Realta. En 1991, l'établissement pénitentiaire de Realta et la clinique psychiatrique de Beverin furent séparés sur le plan institutionnel. Le lien historique entre les mesures de coercition à des fins d'assistance, la psychiatrie et l'exécution des peines ne fut cependant pas rompu. C'est ainsi que la psychiatrie légale devint une spécialité de la Klinik Beverin.

Fouilles de l’ancien cimetière de l’établissement de Realta, sur lequel fut construit le pénitencier de Cazis Tignez. Photographie du 26 juillet 2016 (Archäologischer Dienst Graubünden, Coire).
Fouilles de l’ancien cimetière de l’établissement de Realta, sur lequel fut construit le pénitencier de Cazis Tignez. Photographie du 26 juillet 2016 (Archäologischer Dienst Graubünden, Coire). […]

En 2017, le Conseil d'Etat grison présenta ses excuses aux victimes de mesures de coercition à des fins d'assistance et des placements extrafamiliaux, dont beaucoup avaient été internées dans le complexe de Realta. L'établissement pénitentiaire fermé de Cazis Tignez (Cazis) fut ouvert en 2019 à proximité immédiate du Justizvollzugsanstalt Realta; il remplaça la prison du Sennhof, qui existait depuis 1817 en ville de Coire. Lorsque le terrain fut préparé pour la nouvelle construction, les archéologues mirent au jour le cimetière de la maison de correction de Realta, utilisé jusqu'en 1910. On constata, sur les squelettes analysées (plus d'une centaine), un nombre particulièrement élevé de côtes fracturées, ce qui témoigne du climat de violence général qui caractérisait le quotidien de l'établissement (paléopathologie). Une plaque commémorative fut érigée en 2022 à côté de l'ancien cimetière.

Sources et bibliographie

Liens
Notices d'autorité
GND
VIAF
En bref
Variante(s)
Arbeitserziehungsanstalt Realta
Asyl Realta
Heil- und Pflegeanstalt Beverin
Justizvollzugsanstalt Realta
Klinik Beverin
Korrektionsanstalt Realta
Korrektions- und Irrenverwahrungsanstalt Realta
Psychiatrische Klinik Beverin
Verwahrungsanstalt Realta

Suggestion de citation

Tanja Rietmann: "Realta (établissement)", in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 05.08.2024, traduit de l’allemand. Online: https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/061128/2024-08-05/, consulté le 03.10.2024.